Fin de la récréation. La rentrée scolaire, mère de toutes les rentrées, remet les pendules à l’heure de la valeur travail. A la reprise des cours, les chaînes de production, mises en hibernation tout au long des vacances scolaires d’été, se remettent à vibrer. La Tunisie est ainsi faite, elle a fait de l’enseignement le maître des horloges. Il donne le signal et le sens de la marche du pays. Il est rare qu’une nation soit à ce point viscéralement attachée à l’école. Et pour cause ! Notre conscience collective a été façonnée par cette croyance que la Tunisie, qui a émergé des brumes de la nuit coloniale et qui a survécu à tous les envahisseurs, doit tout à l’école qui fut et reste le bras armé de la résistance à toute forme d’ingérence ou de domination.
L’enseignement sous toutes ses formes a sorti le pays des ténèbres de l’analphabétisme, de l’ignorance et du sous-développement. Il a été, par la seule force des bras et de conviction des maîtres fondateurs, le principal vecteur d’indépendance, d’émancipation, d’ascension sociale, de développement et d’émergence au plan mondial.
L’enseignement sous toutes ses formes a sorti le pays des ténèbres de l’analphabétisme, de l’ignorance et du sous-développement. Il a été, par la seule force des bras et de conviction des maîtres fondateurs, le principal vecteur d’indépendance, d’émancipation, d’ascension sociale…
Les premières décisions dans la foulée de la proclamation de l’indépendance nationale furent toutes à la gloire de l’école : enseignement obligatoire, Code du statut personnel, mixité, planning familial. L’école était un passage obligé et la voie républicaine pour une ascension sociale en perspective, balayant du coup archaïsmes, tabous, préjugés sociaux, culturels, voire religieux, brisant ainsi toutes les chaines du sous-développement. C’est ce prodigieux développement de l’enseignement, dans les villes comme dans les campagnes dans des conditions de dénuement total et de dévouement proche du sacrifice d’enseignants de la première heure, qui a favorisé et rendu possible le décollage de l’économie tunisienne et sa marche vers la maturité. Il lui a permis de rivaliser en si peu de temps, dans bien des secteurs et à bien des égards, avec les grandes puissances industrielles.
Budget sans restriction, investissements à tout va, il n’y avait que pour l’enseignement, laissé hélas aujourd’hui en jachère et tombé en déshérence alors même que le pays revendique davantage de moyens et de ressources que par le passé. Les turbulences géopolitiques et l’impératif de sécurité nationale en ont décidé autrement. Ce qui n’est pas sans lien avec le recul de la croissance potentielle. Les pionniers de la construction de l’Etat moderne, portés par leur instinct, leur conviction et leur idéal républicain, avaient fait le choix du capital humain. Et c’est tout à leur honneur. Le retour sur investissement ne s’est pas fait attendre. L’école naissante avait porté au pinacle l’industrie et l’économie avant qu’elles ne s’effondrent six décennies plus tard, dans le fracas de chocs cumulés et récurrents internes et externes, aux effets dévastateurs.
Budget sans restriction, investissements à tout va, il n’y avait que pour l’enseignement, laissé hélas aujourd’hui en jachère et tombé en déshérence alors même que le pays revendique davantage de moyens et de ressources que par le passé.
Le constat est amer : l’économie va mal, doux euphémisme. Tous les clignotants sont au rouge et certains au rouge vif. De nombreuses entreprises, toutes tailles confondues, sont à l’agonie, le plus souvent privées d’assistance publique alors même qu’elles étaient ou sont en danger le mort. L’école, notre principale assurance vie, ne se porte pas mieux. Elle a perdu de son éclat et nous a fait perdre nos dernières illusions. Faute de budget conséquent, de vision, de projet, elle n’arrête pas de péricliter. D’une rentrée (scolaire et universitaire) à l’autre, l’école étale au grand jour ses déficits, ses handicaps, son dysfonctionnement, ses lignes de fracture et un décrochage alarmant.
Hier, haut lieu du savoir, de la connaissance, du dévouement, du civisme et du patriotisme, elle est devenue le théâtre d’affrontements autorité-syndicat pour le partage d’une valeur ajoutée qu’elle n’est plus en capacité de créer, au grand dam de parents d’élèves complètement désemparés. Elle est désormais désincarnée, sans ambition, sans un grand dessein ni projet sinon celui de la soumettre aux revendications, certes légitimes, mais peu compatibles avec la situation financière du pays.
Résultat des courses: un enseignement public au rabais qui ouvre la voie à toute une industrie informelle de cours particuliers et fait le lit de l’enseignement privé, à cause de ses multiples défaillances. L’école publique perd sa vocation originelle. Elle creuse les écarts sociaux, alors qu’elle est censée les atténuer et les abolir.
Revendications, du reste, sujettes à caution : moins d’heures de cours et de présence, pas de prise en charge d’élèves en difficulté contrairement aux pratiques et aux standards mondiaux et davantage de salaires, laminés, il est vrai, par l’inflation. Résultat des courses: un enseignement public au rabais qui ouvre la voie à toute une industrie informelle de cours particuliers et fait le lit de l’enseignement privé, à cause de ses multiples défaillances. L’école publique perd sa vocation originelle. Elle creuse les écarts sociaux, alors qu’elle est censée les atténuer et les abolir.
L’enseignement public républicain est en panne d’idées, de projets et d’ambition. Il est à la traîne des mutations économiques et technologiques qui dessinent la nouvelle cartographie mondiale de la richesse et de la puissance. Il doit se repenser, se réinventer, innover, anticiper les besoins et les métiers de demain et intégrer le développement des technologies émergentes et de l’IA qui vont gagner en intensité et en importance, d’autant qu’elles constituent déjà les principaux vecteurs et foyers de la croissance. Il y va de sa survie et de celle du… pays.
Cet édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n°902 du 11 au 25 septembre 2024