En Tunisie, on a toujours associé la rentrée des classes avec la rentrée économique, politique et sociale. L’Economiste Maghrébin ne déroge pas à la règle et lance, pour son édition de mi-septembre, le grand débat sur la rentrée 2024-2025. Il sera surtout question de la rentrée économique, mais on ne pouvait pas, à l’occasion, occulter celle qui touche tous les Tunisiens, la rentrée scolaire. Pour le débat, nous avons invité M. Aslan Berjeb, président de la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (Conect) et M. Mongi Boughzala, économiste, professeur émérite et ancien doyen de la faculté des Sciences économiques et de gestion de Tunis. Deux fins connaisseurs de la chose économique qui seront à la fois face à face et côte à côte. Un face-à-face avec des contradictions d’idées et d’analyses, mais aussi un côte-à-côte, compte tenu de l’intérêt général qu’ont montré nos deux invités pour le pays.
Mongi Boughzala (M.B.): La forme, mais aussi le fond
C’est vrai que l’économie tunisienne et le Tunisien ont appris à se comporter comme si l’année commençait à partir de septembre. Donc, j’accepte qu’on parle aujourd’hui de rentrée économique.
Cela pour la forme. Maintenant, pour le contenu, c’est vrai qu’aujourd’hui, l’économie tunisienne, et le pays en général, ont pu continuer à tourner. On ne voit pas encore de grandes me- naces, mais en réalité, quand on y réfléchit, on sait que les défis sont énormes. Il y a énormément d’incertitudes, en partie liées aux défis économiques, mais aussi à la situation sociale et politique. Donc, je ne peux rien prévoir avec certitude, mais il y a certainement des dangers qui nous menacent. Cependant, le potentiel de la Tunisie est réel. On a beaucoup perdu de ce potentiel, mais ce n’est jamais trop tard. Il est possible de faire des réformes, un certain nombre de réformes, pour que le pays sorte par le haut de la crise. Voilà en général comment je vois les choses.
Il faudra peut-être aussi parler plus en détail de la dette, de la croissance, de l’emploi, de l’éducation, de la qualité des services publics, de la situation des entreprises publiques qui présentent une réelle menace. Je ne comprends pas personnellement, comment, depuis au moins 17 ans, on laisse la situation perdurer, comme si de rien n’était. Aucun gouvernement, y compris l’actuel, n’a entrepris quoi que ce soit de suffisamment important pour affronter la situation des entreprises publiques. J’ai nommé la STEG, Tunisair, les sociétés de transport… qui assurent les services publics de base. On ne se rend pas compte que ces entreprises connaissent une situation extrêmement difficile, et pas nécessairement à cause de la corruption ou d’une mauvaise gestion. Il y a un peu de cela, mais leurs problèmes sont surtout structurels.
Bref, les problèmes sont immenses et très nombreux. Mais les possibilités de sortie de crise existent aussi. Le pays n’a qu’à s’organiser et décider de faire les choses autrement.
Aslan Berjeb (A.B.): Tout tourne autour de la scolarité
J’évoquerai tout d’abord la rentrée la plus importante, celle scolaire. J’aime bien le terme que vous avez utilisé, à savoir que l’éducation est l’assurance vie de la Tunisie.
La rentrée scolaire, chaque année, est une fête en Tunisie, une fête socio-culturelle. Toutes les familles s’y préparent d’une manière ou d’une autre. Et même une partie des acteurs de l’économie s’y prépare : les librairies, les crèches, les écoles, les universités. Même l’architecture liée directement ou indirectement à cette rentrée scolaire s’y prépare: certains restaurants, certaines buvettes… La vie reprend avec la rentrée scolaire, on ne peut pas le nier. L’économie, la politique, tout reprend. Tout a été adossé chez nous sur la rentrée scolaire. La Tunisie post indépendance a toujours misé sur l’éducation.
Cela dit, on ne peut pas, à l’occasion, ne pas parler du recul de l’école publique. Nous sommes tous issus de l’école publique, du moins notre génération. Ce n’est malheureusement plus le cas. Les familles préfèrent désormais scolariser leurs enfants dans de écoles privées. Je pense qu’il faudrait une réforme structurelle de l’école publique pour qu’elle continue à jouer son rôle historique. Le Tunisien a toujours investi dans la scolarité de ses enfants, au sens propre comme au sens figuré. Il va même jusqu’à souscrire un crédit pour assurer la scolarité de ses enfants dans des écoles privées. C’est un investissement justement pour réaliser ce à quoi on a déjà fait allusion, à savoir que l’éducation est l’assurance vie du pays.
Maintenant, pour revenir à la chose économique, s’il y a quelque chose, en tant que patronat, à saluer, c’est justement la résilience de nos entreprises. Une résilience aux chocs externes et internes, aux problèmes mondiaux que nous avons connus et subis, comme la crise sanitaire, la guerre en Ukraine et les changements géopolitiques qui en découlent, mais aussi et surtout une résistance aux chocs internes comme ceux cités par M. Boughzala, à savoir l’inflation, la récession, le chômage… L’entreprise tunisienne a même changé son modèle économique, elle a pris justement en considération ces aléaslà, au détriment de sa compétitivité. Voilà donc les premières réflexions qu’on peut faire sur cette double rentrée, scolaire principalement, mais aussi économique.
Le match du mois est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 902 du 11 au 25 septembre 2024