La campagne électorale pour l’élection présidentielle du 6 octobre prochain a démarré, samedi 14 septembre, dans une ambiance particulière. A savoir : trois candidats en lice dont l’un croupit en prison. Alors même que le Tribunal administratif aura ordonné en vain la réintégration de trois autres candidats (Abdellatif Mekki, Mondher Zenaïdi et Imed Daïmi).
A moins d’un rebondissement spectaculaire, le terrible bras de fer qui oppose les deux institutions constitutionnelles- en l’occurrence le Tribunal administratif, dernier bastion des libertés et de l’Etat de droit- et l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), chargée de superviser le processus électoral, semble tourner à l’avantage de cette dernière. Pour le moment.
Bras de fer
Ainsi, par un geste de main méprisant, Najla Abrougui, membre de l’ISIE, décréta lors de l’émission « Midi Show » le 16 septembre 2024 que la décision du Tribunal administratif d’inclure Mondher Zenaïdi, ancien ministre du président Zine El Abidine Ben Ali; Abdellatif Mekki, secrétaire général du Parti du Travail et de la Réalisation et Imed Daïmi, directeur de cabinet de l’ancien président Moncef Marzouki dans la liste des candidats pour l’élection présidentielle est « dépassée » et « sans signification ». Bigre.
« Le processus électoral a déjà commencé de manière légale, définitive et officielle », a-t-elle déclaré le 16 septembre 2024 lors de l’émission « Midi Show » sur les ondes de Mosaïque. Tout en précisant que la liste officielle des candidats « a été publiée et que les bulletins de vote ont été imprimés ». Les jeux sont faits, circulez il n’y a rien à voir!
Pourtant, le Premier président du Tribunal Administratif a adressé, vendredi 13 septembre 2024, une lettre au président de l’ISIE pour lui rappeler que la Commission électorale « est légalement tenue d’exécuter la décision de l’Assemblée judiciaire plénière du Tribunal concernant l’inclusion de Mohamed Mondher Zenaïdi dans la liste des candidats finalement retenus pour les élections présidentielles ». C’est clair, net et précis.
Ainsi, il est impératif « de réviser le calendrier d’une manière qui soit cohérente avec la mise en œuvre de la décision et qui garantisse le principe de connexion entre le pouvoir judiciaire et la loi électorale », rappelle la même source.
Faudra-t-il le cas échéant ajourner l’élection présidentielle pour permettre à MM. Zenaïdi et Mekki d’intégrer la course vers Carthage. Sachant que ces deux personnalités ayant déposé un recours en interprétation, ont de nouveau bénéficié d’un jugement en leur faveur. Mais l’ISIE n’a toujours pas réagi à cette nouvelle donne? D’autant plus que selon la même correspondance, « le calendrier n’est rien d’autre qu’une décision organisationnelle influencée par les délais que peut prendre le contentieux électoral ».
Et si, simple hypothèse, le tribunal administratif, allant au bout de sa logique, décidait par la suite d’annuler l’élection? La situation institutionnelle virerait à l’imbroglio en l’absence de la Cour constitutionnelle.
Rappelons que Farouk Bouaskar a déjà annoncé lundi 2 septembre la liste « définitive » des candidats retenus pour l’élection présidentielle. En l’occurrence : le président sortant Kaïs Saïed, candidat à sa propre succession; Ayachi Zammel, en ce moment détenu dans le cadre de multiples affaires liées à des soupçons de falsification de parrainages; et enfin Zouhair Maghzaoui qui bat la campagne au Kef et à Kairouan. Toutefois, l’inscription d’Abdellatif Mekki, Mondher Zenaïdi et Imed Daïmi sur la liste a été refusée. Et ce, en dépit de la décision du Tribunal administratif d’annuler les décisions de l’ISIE relatives au rejet de leurs dossiers de candidature.
Sujet clos
Ayant mis tout le monde devant le fait accompli, le président de l’ISIE, Farouk Bouaskar, annonça que la période électorale démarrera le samedi 14 septembre 2024 et s’achèvera le 4 octobre 2024 à minuit et doit ainsi se dérouler sur une durée de 21 jours.
D’autre part, il a rappelé que le plafond de financement de la campagne électorale est fixé par décret présidentiel publié au Journal officiel, le 4 septembre 2024. Lequel précise qu’il n’y a plus de financement public pour toutes les campagnes électorales. Ainsi, le plafond des dépenses pour la campagne présidentielle du premier tour est fixé à 50 000 dinars et 100 000 dinars pour le second tour.
Morosité
Que nous sommes loin de l’engouement populaire pour le scrutin présidentiel, dont le premier tour a eu lieu le 15 septembre 2019 et qui a vu émerger des figures inattendues : d’un côté Kaïs Saïed, professeur de droit constitutionnel qui s’est distingué par son discours anti-système et sa campagne de terrain minimaliste, sans grandes ressources financières ni médiatiques. De l’autre côté, Nabil Karoui, homme d’affaires et fondateur de la chaîne Nessma TV, qui faisait campagne tout en étant emprisonné pour des accusations de blanchiment d’argent.
Or, à trois semaines du scrutin présidentiel prévu pour le 6 octobre prochain, le lancement de la campagne électorale semble tristounet et morose, comme si le cœur n’y était pas. Pas assez de pancartes placardées sur les murs, pas de banderoles, pas d’affiches électorales qui auraient dû orner les murs de toutes les villes du pays. De plus, ucun débat politique sur les idées et les programmes entre les postulants à la magistrature suprême sur les chaînes publiques ou sur Al Watanya. A l’instar de cet automne qui s’annonce froid, l’ambiance de cette campagne est triste à mourir!