La situation du candidat à la présidentielle, Ayachi Zammel, condamné à 18 mois de prison par le tribunal de Jendouba dans une affaire de falsification de parrainages, soulève nombre d’interrogations d’ordre juridique et constitutionnel. Et si un tel verdict ne signifiait pas forcement l’annulation de sa candidature? Puisque la décision a été prise en première instance et peut encore faire l’objet d’un appel.
Casse-tête chinois juridique et constitutionnel à quelques semaines du scrutin présidentiel prévu pour le 6 octobre prochain : un président peut-il être élu du fond de sa cellule? La question se pose avec insistance depuis que l’un des candidats en lice, Ayachi Zammel, est en détention depuis le 4 septembre en pleine campagne présidentielle.
Un parallélisme troublant
Un cas de figure qui ressemble étrangement à celui de l’homme d’affaires et magnat des médias, Nabil Karoui. En effet, ce dernier était qualifié au second tour de la présidentielle alors qu’il était placé en détention provisoire et sous le coup d’une enquête pour blanchiment d’argent et fraude fiscale. Comment imaginer un chef de l’Etat condamné pour corruption?
Pour rappel, l’Instance supérieure indépendante pour les élections, présidée à l’époque par Nabil Baffoun, rappela au soir du premier tour, que M.Karoui « est un candidat comme les autres et il est qualifié pour le second tour. La loi ne l’empêche pas ». On connaît la suite, le fondateur de la chaîne Nessma a dû s’incliner au second tour devant l’actuel locataire du palais de Carthage, Kaïs Saïed.
« Sauf la mort »
Ne dit-on pas que l’Histoire n’est pas un long fleuve tranquille? Cinq ans plus tard, nous nous trouvons face à une situation juridique, presque à l’identique : un candidat à la candidature suprême poursuivi dans plusieurs affaires concernant des soupçons de falsification de parrainages, est condamné mercredi 18 septembre par le tribunal de première instance de Jendouba à un an et huit mois de prison, mais il reste en lice pour l’élection. Par quel miracle?
« Cette condamnation n’empêche pas M. Zammel d’être candidat au scrutin présidentiel du 6 octobre. Il reste candidat à la présidentielle et son équipe va continuer sa campagne électorale ». C’est ce qu’indiquait Maître Abdessatar Messaoudi, président de son comité de défense. Tout en assurant que « rien ne peut mettre fin à sa candidature, sauf la mort ».
Candidat même incarcéré
« Les condamnations récentes prononcées contre le candidat Ayachi Zammel, ne compromettent en rien sa participation au processus électoral », renchérit Mohamed Tlili Mansri, le porte-parole de l’ISIE dans une déclaration jeudi 19 septembre à la TAP, précisant que « le processus électoral et le processus judiciaire sont distincts ». Et que « les condamnations ont été prononcées après la publication de la liste finale des candidats. Les éventuelles condamnations pénales durant la période électorale seront examinées au moment de la déclaration des résultats ».
A noter également que Najla Abrougui, membre du conseil de l’Instance supérieure indépendante pour les élections, avait déjà annoncé le 13 septembre 2024 que l’équipe d’Ayachi Zammel « a le droit de poursuivre sa campagne électorale, malgré la détention du candidat en question; avec un préavis de 48 heures pour chaque activité prévue. »
Dans une déclaration accordée à l’agence de presse Tap, Mme Abrougui a d’autre part déclaré que la question de savoir si Ayachi Zammel participera ou non à sa campagne électorale « relève du pouvoir judiciaire ». Elle précisait que son équipe de campagne « a effectué toutes les procédures légales et nécessaires auprès de l’instance et déposé notamment le dossier relatif au compte bancaire et les tracts ».
« Graves violations »
A cet égard, notons qu’en vertu des articles 878 de la loi portant sur la protection des données à caractère personnel et l’article 161 de la loi électorale, l’intéressé est poursuivi dans pas moins de 25 affaires liées à la falsification de parrainages, la falsification de documents et la manipulation de données électroniques. Il fait l’objet de deux mandants de dépôt émis contre lui par le tribunal de Kairouan et neuf autres poursuites judiciaires déclenchées entre les tribunaux de Siliana, Manouba et Tunis 2.
Concernant la décision du tribunal de Jendouba d’infliger une peine d’un an et huit mois à son client, Me Messaoudi, membre du comité de défense a fait savoir dans un post publié sur sa page Facebook, qu’Ayachi Zammel, n’a pas assisté à son procès ayant décidé de le boycotter. Et ce, « en raison des violations flagrantes et du manque de fondements pour un procès équitable ».
Reste une question lancinante : si Ayachi Zammel restait un candidat à la présidentielle du 6 octobre même en étant incarcéré, selon les révélations du porte-parole de l’ISIE en personne, comment pourrait-il animer sa campagne électorale, même par partisans interposés? Et surtout comment participer à un éventuel débat télévisé exigé avec insistance par l’autre protagoniste, Zouhair Maghzaoui; alors qu’il est derrière les barreaux? Bien malin celui qui pourra prédire une solution à ce embrouillamini.