L’analyse du contenu de la note de Fitch Ratings du 16 septembre 2024 – 11:02 reclasse la Tunisie à « CCC+ » dévoile des aspects critiques sur la situation économique du pays, avec des implications complexes sur sa stabilité financière et ses perspectives à moyen terme.
- Amélioration relative de la note : confiance dans la capacité de financement
La révision de la note de « CCC- » à « CCC+ » traduit une amélioration perçue de la capacité de la Tunisie à honorer ses engagements financiers, surtout dans le contexte d’une position extérieure renforcée et des réserves internationales suffisantes.
Cependant, cette amélioration reste relative et fragile, marquée par un accès limité au financement extérieur et une forte dépendance au secteur bancaire national pour soutenir les besoins de financement.
Les vulnérabilités budgétaires persistent, ce qui pose des questions sur la soutenabilité à long terme d’un financement principalement interne, et sur la résilience de ces mécanismes face à des chocs économiques.
- Risques liés aux besoins de financement budgétaire élevés
Les besoins de financement budgétaire qui s’élèvent à 18 % du PIB en 2024 reflètent une situation alarmante.
Ce niveau dépasse largement la moyenne des pays similaires, et place la Tunisie dans une situation délicate, dépendante de prêts domestiques et internationaux.
Le financement des déficits par des emprunts élevés accroît l’endettement, et expose la Tunisie à des chocs, notamment externes, tels que des fluctuations des prix des matières premières et des variations des taux d’intérêt.
La stratégie actuelle repose sur une contraction des dépenses publiques (masse salariale, subventions, investissements) pour réduire progressivement le déficit budgétaire. Cependant, ces mesures pourraient exacerber les tensions sociales, dans un contexte où la réforme des subventions est politiquement sensible. Cette dépendance sur des réformes budgétaires internes, sans un soutien financier substantiel de partenaires internationaux comme le FMI, constitue un risque important pour la stabilité économique.
- Perspectives d’une réduction limitée des déficits
Bien que la note prévoie une diminution du déficit budgétaire à 6,4 % du PIB en 2024 et une réduction progressive à 4,7 % en 2026, cette trajectoire reste sujette à caution. L’absence de réforme substantielle des subventions et la rigueur budgétaire limitée pourraient compromettre cet objectif. En effet, le gouvernement fait face à une forte opposition politique concernant la réduction des subventions sur les produits de base, ce qui limite ses marges de manœuvre.
Le rôle des banques publiques dans le financement de l’État est aussi préoccupant. L’exposition accrue du secteur bancaire au secteur public pourrait fragiliser le système financier, notamment si les conditions macroéconomiques se détériorent ou si la demande pour le crédit bancaire augmente dans le secteur privé.
- Vulnérabilité aux chocs externes et endettement élevé
L’endettement public, qui devrait rester au-dessus de 80 % du PIB jusqu’en 2026, montre une grande sensibilité aux chocs externes, comme une dépréciation de la monnaie ou une hausse des prix des matières premières. Bien que la stabilité du dinar ait été maintenue grâce à des mesures de contrôle des changes, les perspectives de réduction de la dette demeurent faibles, et toute dépréciation importante augmenterait le ratio dette/PIB.
- Rôle limité du financement extérieur et absence de programme FMI
La note souligne que la Tunisie a pu sécuriser 2,8 milliards USD de financement extérieur en 2024 malgré l’absence d’un programme avec le FMI, avec des prévisions additionnelles de 600 millions USD d’ici la fin de l’année. Toutefois, ce financement est loin d’être suffisant pour compenser les besoins budgétaires et extérieurs élevés. L’absence de programme avec le FMI limite aussi l’accès à des financements plus larges et des conditions plus favorables, tout en ajoutant de l’incertitude aux perspectives de stabilisation économique.
L’absence d’accord avec le FMI pourrait également réduire la confiance des investisseurs et accroître les difficultés d’accès aux marchés internationaux. Cela est particulièrement préoccupant, car une partie importante de la dette publique est libellée en devises étrangères, accentuant la vulnérabilité à une dévaluation du dinar.
- Diminution du risque de liquidité extérieure et réduction du déficit courant
La réduction du déficit courant (CAD) à 2,4 % du PIB en 2024 est un point positif, soulignant une amélioration des comptes extérieurs grâce à la baisse des importations et à un redressement des exportations. Cette amélioration contribue à stabiliser les réserves internationales, mais des incertitudes demeurent quant à la capacité de la Tunisie à maintenir cette dynamique dans un contexte de volatilité des prix internationaux de l’énergie et des matières premières.
- Facteurs politiques et gouvernance
Les risques politiques autour des élections présidentielles, bien que jugés faibles, pourraient néanmoins avoir un impact négatif sur la confiance des investisseurs.
La gouvernance reste aussi un enjeu central, avec des indicateurs ESG (Environnement, Social, Gouvernance) qui pèsent sur la notation souveraine.
La faiblesse de la qualité institutionnelle, la corruption perçue et la détérioration perçue de l’État de droit représentent des obstacles importants à l’amélioration de la note de la Tunisie.
En définitive, le reclassement de la Tunisie à « CCC+ » par Fitch marque une amélioration modérée des perspectives financières, mais reste un avertissement sur les risques structurels importants qui pèsent sur l’économie du pays.
La dépendance accrue au financement interne, les vulnérabilités aux chocs externes, l’absence d’un accord avec le FMI et les tensions politiques internes sont autant de facteurs qui pourraient compromettre les efforts de stabilisation.
La réduction du déficit budgétaire et l’amélioration des réserves internationales sont des avancées, mais elles demeurent fragiles et pourraient s’effondrer face à des chocs externes ou à une dégradation de la gouvernance économique.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)