Dans quelques jours, on annoncera le vainqueur de l’élection présidentielle, qui, comme on le sait ne sera pas une surprise, en raison des candidats admis par l’ISIE. Mais ce rendez-vous ne sera pas ce qu’il aurait pu être, car le processus politique, entamé depuis un certain temps, risque de diviser encore plus la Nation et d’affaiblir l’Etat. Réduire le problème à une simple bataille politique et un jeu juridique, en jonglant avec les lois et les procédures, n’a fait que rendre plus difficile la sortie de la grave crise que traverse le pays. Le 6 octobre prochain fera entrer le pays dans un nouveau processus dont l’issue est inconnue, même si en apparence, une fausse stabilité politique et sociale semblerait s’installer. Une insoutenable légèreté politique des différentes strates de la classe régnante depuis 2011, a abouti à cette impasse. Car le système politique actuel n’est que l’aboutissement logique du processus dit « révolutionnaire », dont se réclame encore une partie des opposants au Président de la République ainsi que ses défenseurs. Tant qu’on n’a pas compris cette vérité, l’on ne pourra pas sortir de ce cercle vicieux.
C’est presque une loi, qui a régi l’histoire politique du pays depuis l’émergence de l’Etat. Et la situation actuelle caractérisée par la tentative de voter une loi pendant la campagne électorale, pour garantir les résultats des élections, ne fait que confirmer ce fait. Bien sûr ce n’est pas politiquement correcte, mais cela ne fait que perpétuer une mauvaise tradition; même si elle ne fera qu’accentuer la crise politique aigue et rendre la sortie plus compliquée.
En Tunisie, le droit, toujours au service du vainqueur
Ennahdha et ses alliés n’ont-t-il pas changé carrément la constitution et la loi électorale, pour garantir leur victoire? Idem pour Chahed. Tous jouent actuellement aux démocrates infaillibles. Bien sûr KS a choisi la même voie!
Cela n’excuse pas pour autant les initiateurs de cette tentative de changer le juge (Tribunal administratif) au cours du match et peut être aussi les juges de touche. Ecarter le Tribunal administratif de la partie qui se joue, c’est tout simplement changer le goal de l’équipe adverse en mettant un de ses propres joueurs à la place. Mais à notre avis, ce n’est qu’une tentative « juridiste » de changer la donne. Or la donne n’est plus, qui vaincra, électoralement, mais qui vaincra l’élection politiquement?
Il est peu sûr que le vainqueur sorti des urnes sera le véritable vainqueur politique et là nois ne sommes plus devant un simple problème électoral mais devant une situation inédite. Car elle met notre indépendance et notre souveraineté en jeu.
En effet, la Tunisie est signataire de plusieurs conventions internationales, et aussi membre de plusieurs organisations comme l’ONU et l’Union Africaine, sans parler des accords avec l’Union Européenne et le fait d’être allié stratégique des USA, sans être membre de l’OTAN. Jusqu’à preuve du contraire, elle est toujours liée par ces accords et conventions. Elle avait décidé de cela souverainement, selon l’acceptation que donne le droit international de ce concept et elle est de ce fait tenue à honorer ses engagements. Or l’élection actuelle est sous le microscope de ces sphères influentes et l’intérêt de la Tunisie, quel que soit le vainqueur reste le même. Ainsi, l’actuelle proposition, si elle passe risque de déclencher un déluge de critiques et mettra à mal la crédibilité même du système judiciaire tunisien et aussi du système exécutif. Il ne servirait alors à rien de crier au loup, lorsqu’on lui a ouvert la porte de la bergerie. On se demande quelle mouche a piqué ces députés qui ont parrainé ladite proposition, si ce n’est un manque de visibilité politique.
Jusqu’à maintenant, les potentiels électeurs, dont le nombre est encore inconnu, à cause de l’absence des sondages, mais qui vraisemblablement avoisinerait le même pourcentage par rapport au nombre des inscrits, ne savent rien des programmes futurs des candidats admis. Ce qui vide l’élection de son contenu fondamental, puisque aucun livre ou même brochure n’est venu éclairer la lanterne des électeurs. Une première dans l’histoire de la République.
Bien sûr, un des candidats est en détention pour des délits que seuls les tribunaux peuvent juger. Ce qui explique peut-être cette absence, mais pour les deux autres candidats, qui sont libres de leurs mouvements, cette absence pèsera sur la crédibilité de la présidentielle. De même qu’elle viendra ajouter de l’eau au moulin de ceux qui l’ont déjà condamnée comme non crédible et confirmer leurs approches.
Voter ou ne pas voter, that is the question
Le point le plus positif et le plus intéressant politiquement est qu’une grande partie de la classe politique en place n’a pas appelé au boycott de ces élections, sous prétexte qu’elles ne sont pas démocratiques. C’est selon nous un signe de maturité. Car l’erreur fondamentale de toutes les oppositions était d’appeler au boycott depuis le fameux référendum sur la constitution, en passant par les législatives et jusqu’aux dernières élections de la seconde chambre.
Un vrai parti politique participe aux élections quelles que soient les conditions. Dans certaines vielles démocraties comme l’Inde, à chaque élection on constate des dizaines de morts et des arrestations depuis toujours; et dans d’autres pays, comme les USA, des candidats, comme Trump sont victimes de tentatives d’assassinat, sans que cela ne pousse certains à appeler au boycott. C’est le vrai prix à payer pour avancer sur la voie balbutiante de la démocratie et de la modernité politique.
En réalité les oppositions tunisiennes ont eu souvent recours à ce stratagème pour cacher leurs incapacités à mobiliser l’électorat, certes difficile, mais mobilisable si on a servi les discours adéquats. Nous avons eu l’expérience depuis 2011. A cet égard, notons que les élections de 2011 avaient vu les Destouriens éliminés d’office par la loi scélérate de l’époque. Ce qui n’avait pas empêché ces derniers de voter pour les listes d’el 3aridha el sha’biya en masse. A tel point qu’elle a eu 27 députés éliminés par une décision arbitraire de l’ISIE de l’époque et c’est aussi le même Tribunal administratif qui avait annulé la décision de Kamel Jendoubi; alors que des émeutes éclataient à Sidi Bouzid, berceau de ce qui était considérée comme une révolution. Sans parler de la liste des députés qui a été imposée et qui en réalité n’avaient pas été réellement élus.
La leçon à tirer est que le processus de l’instauration d’une vraie démocratie élective est extrêmement long. Et focaliser uniquement sur une de ses étapes, sans tenir compte de l’histoire réelle et non seulement du jeu politicien, est une erreur grave. Ce qui est sûr c’est que la Tunisie a une vie avant, pendant et après les élections et que le devoir nous impose de regarder plus loin que cette échéance. En pensant plutôt à comment préparer l’avenir, sans mettre en danger l’unité nationale. Et c’est là le véritable rôle des vrais politiciens, pas de ceux qui courent après le pouvoir ou ses avantages.
On remarque l’absence quasi-totale et le silence suspect de ceux qui ont occupé des postes clefs, ceux qu’on aurait pu appeler « Les sages de la Nation » qui continuent à bénéficier de ses avantages, comme les anciens Présidents de la République ou les anciens premiers ministres, avant et après « la révolution » et qui en général continuent à êtres payés sur le budget de l’Etat. Leur silence est une honte pour toute la classe politique, toutes périodes confondues. On ne leur demande pas de s’enrôler dans l’opposition ou dans le camp du Président de la République, mais seulement d’agir pour limiter les dégâts de la fracture qui va en s’aggravant. L’histoire les condamnera pour leur silence lorsque la Nation a eu besoin de leur présence. Certains prétendront qu’ils ont peur alors que rien ne les menace, sauf peut-être leur propre lâcheté.
Aller voter ou ne pas voter est un acte politique individuel d’abord, c’est aussi un acte civique, même si on n’a pas le candidat idéa, car on peut voter blanc. C’est un geste citoyen. Mais aussi ne pas voter est un acte politique, ce qui risque d’être le cas de l’écrasante majorité des inscrits sur les listes électorales qui dépassent les 9 000 000 de citoyens, soit les trois quarts de la population. Ne pas voter n’est pas boycotter, car le boycott est actif et constitue une forme de militantisme. Ceux qui condamnent les abstentionnistes ont tort et c’est devenu une mode sur les réseaux sociaux. Ce qui constitue une grave erreur politique, car les citoyens sont libres d’agir selon leurs convictions. Chacun doit agir en son âme et conscience, un point c’est tout.