Historiquement, l’Allemagne était considérée comme le modèle de la haute productivité, avec une expertise en ingénierie de premier plan et une solide éthique de travail. Sans surprise, elle a également été le moteur économique de l’Europe durant de longues périodes, notamment lors de la reprise après la Seconde Guerre mondiale et après la réunification du pays.
Cependant, au cours des deux dernières décennies, des obstacles structurels ont commencé à apparaître. Parmi ceux-ci figurent des tendances démographiques défavorables, une bureaucratie excessive, des erreurs politiques, ainsi qu’une incapacité à moderniser les secteurs manufacturiers clés et à s’adapter à l’ère numérique. En conséquence, l’économie allemande a commencé à sous-performer ces dernières années, au point que le pays a même été qualifié de « l’homme malade de l’Europe ».
Depuis le quatrième trimestre 2019, le dernier avant que la pandémie de Covid-19 ne commence à déployer son impact à l’échelle mondiale, le PIB réel de l’Allemagne est resté pratiquement inchangé. Cinq années de croissance économique perdue ne sont pas un léger revers dans un contexte en évolution rapide où l’économie mondiale se développe à un rythme moyen de 3 % par an. De plus, sur une base cumulée, la performance allemande est défavorable par rapport à l’expansion de 9 % des États-Unis, ou même à la croissance de 5 % du reste de la zone euro au cours de la même période. Pour la période 2022-2026, la croissance économique en Allemagne devrait atteindre en moyenne 0,9 % par an, bien en deçà de la moyenne de 2 % d’avant la pandémie.
Comprendre la stagnation économique de l’Allemagne nécessite une analyse des conditions externes et internes, ainsi que des défis à la fois cycliques et structurels. Dans cet article, nous examinons trois facteurs clés qui expliquent la sous-performance économique de l’Allemagne.
Premièrement, le secteur manufacturier, autrefois pilier du succès économique de l’Allemagne, connaît une période prolongée de déclin et constitue désormais un frein à la croissance. Plus que dans la plupart des pays, l’industrie manufacturière est un secteur clé en Allemagne, où elle a représenté près de 22 % du PIB ces dernières années. Ce poids s’élève à environ 35 % si l’on prend en compte son impact sur d’autres secteurs, allant des matières premières aux services, tels que la logistique et le financement. Historiquement, entre 2000 et son pic en 2017, la composante industrielle du PIB réel a crû à un taux annuel de 1,9 %. Ce rythme soutenu s’est inversé de manière spectaculaire par la suite, et sa contribution à la croissance du PIB est devenue négative alors que le secteur a subi une série de chocs négatifs successifs. Parmi les événements défavorables, on note l’escalade des tensions commerciales mondiales, le ralentissement de l’économie mondiale, la pandémie de Covid, une grave pénurie de semi-conducteurs et la crise énergétique due à la guerre russo-ukrainienne (dont l’Allemagne était particulièrement vulnérable en raison de sa dépendance au gaz russe). Depuis son pic en 2017, la production industrielle accuse une contraction de 16 %, un écart frappant par rapport à la croissance de 1,7 % aux États-Unis, ou même au déclin de 2 % dans le reste de la zone euro sur la même période.
La production automobile, l’une des industries phares de l’Allemagne, est affectée par unchangement des préférences des consommateurs en faveur des véhicules électriques, des réglementations environnementales plus strictes et une pénurie de travailleurs qualifiés. La production automobile a chuté de 28 %, passant de 471 000 unités par mois en 2017 à 337 000 en 2024. Cela représente un défiimportant pour l’économie, étant donné que la fabrication automobile représente 5 à 7 % du PIB en Allemagne, contre 2 à 3 % aux États-Unis et en France. Compte tenu de l’importance de l’industrie manufacturière, ces tendances pèsent sur la performance de l’économie allemande.
Deuxièmement, une politique budgétaire conservatrice a conduit à un sous-financement dans des infrastructures clés, telles que les transports, les technologies numériques et l’énergie, contribuant ainsi à la baisse de la croissance économique. L’engagement de l’Allemagne en faveur de la discipline budgétaire est incarné par des règles telles que la « SchwarzeNull », qui visent un budget équilibré sans nouvel endettement. En conséquence, le bilan public de l’Allemagne est l’un des plus solides parmi les principales économies avancées. Le ratio de la dette publique par rapport au PIB est de 64 % et en baisse, contre 122 % et 112 % pour les États-Unis et la France, respectivement. Cependant, cette discipline budgétaire a un coût en termes de faibles niveaux d’investissement public, qui, en 2023, sont tombés à 2,6 % du PIB, contre 4,1 % en France, par exemple. En conséquence, des infrastructures vieillissantes pour les transports et l’énergie, ainsi qu’un retard dans les technologies numériques, freinent la croissance économique à long terme.
Troisièmement, l’économie est confrontée à des défis institutionnels importants qui continuent d’éroder la compétitivité et la productivité de l’Allemagne. Le rapport mondial sur la compétitivité fournit une évaluation utile de la compétitivité des pays. Il y a dix ans à peine, l’Allemagne occupait la 6e place mondiale. Cependant, depuis lors, le pays a chuté de manière significative dans le classement pour atteindre la 24e position cette année. Le rapport met en lumière des problèmes clés qui expliquent ce déclin, notamment une politique budgétaire lourde et une législation des affaires contraignante. La « rigidité » des marchés du travail est une autre source d’inquiétude, compte tenu des lois strictes sur la protection de l’emploi et des coûts de main-d’œuvre élevés qui réduisent la capacité des entreprises à s’adapter dans un environnement en constante évolution. Les accords de négociation collective, qui peuvent couvrir des industries et des régions entières, réduisent la flexibilité pour ajuster les salaires en fonction des performances individuelles des entreprises ou des conditions économiques. La perte de compétitivité se reflète dans la productivité : depuis 2017, la production par travailleur a chuté de 2,5 %. Ces problèmes structurels ne peuvent pas être corrigés rapidement et ils contribueront à la faible performance économique dans les années à venir.
En somme, nous prévoyons que le PIB réel restera inchangé en 2024 et qu’il atteindra une croissance moyenne de 1 % au cours des prochaines années. Cette performance est décevante, car l’économie fait face à des obstacles importants dus aux tendances négatives dans le secteur industriel, à des infrastructures inadéquates et à une perte de compétitivité. Il est important de noter que cela n’est pas uniquement dû à une faiblesse cyclique, mais à une tendance structurelle qui nécessiterait des changements politiques profonds pour inverser la situation et retrouver des taux de croissance plus sains.
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