Par Hatem Mliki, expert en gouvernance et développement régional :
Le rôle, voire le devoir, des politiques n’est pas seulement d’assurer la gestion courante des affaires publiques, mais plutôt et surtout de pouvoir faire face à l’avenir. De la capacité de prévoir l’avenir et d’agir en conséquence naissent les qualités des politicien(ne)s.
La Tunisie, à l’instar de tous les autres pays du monde, est exposée à des défis majeurs. Parmi ces défis, on recense deux changements profonds qui nous obligent à concevoir autrement nos méthodes de gestion. Il s’agit de deux phénomènes récents à savoir (i) les changements climatiques et (ii) les avancées technologiques, notamment l’IA. Alors que le premier affecte directement notre système de gestion des ressources en eau et en énergie, le second touche toute notre vie et surtout notre modèle d’éducation et de formation.
Les causes et effets de plus en plus visibles des changements climatiques montrent clairement la limite de notre modèle classique de gestion des ressources en eau. De manière simplifiée, ce modèle est basé sur l’idée que, abstraction faite des variations annuelles des précipitations, et par conséquent de la quantité d’eau disponible, la moyenne annuelle sur une période de 3 à 5 ans permet d’assurer l’accès de la population à l’eau potable ainsi que l’approvisionnement des exploitations agricoles (y compris celles en irrigation) en eau. Et que l’impact de ces variations est largement supporté par les réserves d’eau dans les barrages et par les subventions accordées par l’Etat aussi bien aux consommateurs (en cas d’augmentation des prix des produits agricoles à la vente) qu’aux agriculteurs (en cas de mauvaise récolte).
Il est clair que nous n’avons pas besoin d’arguments pour démontrer que les hypothèses et paramètres qui définissent cette approche se sont effondrés et ne sont plus d’actualité. Il est donc indis- pensable de repenser notre modèle et de ne pas se limiter à l’idée simpliste, voire parfois ridicule, qui réduit la question au taux de remplissage des barrages. Un nouveau modèle de gestion des ressources en eau doit intégrer des paramètres (i) scientifiques concernant directement la gestion des barrages et lacs collinaires, techniques pour provoquer les pluies, dessalement de l’eau de mer, valorisation des eaux usées et grises, carte agricole…, (ii) financiers portant sur les ressources pour l’investissement, les systèmes de fixation des prix, les équilibres financiers des entreprises publiques impliquées (SONEDE, ONAS), le pouvoir d’achat des ménages…, (iii) institutionnels liés au déploiement et organisation des administrations publiques en charge de la vulgarisation, la formation, la planification et le contrôle relevant notamment du ministère de l’Agriculture et (iv) sociaux en relation avec le comportement des consommateurs (eau potable et irrigation).
Cette refonte de la gouvernance de l’eau qu’imposent les changements climatiques ne peut pas être dissociée de la gouvernance de l’énergie. Le déficit de la balance énergétique depuis 2000 est devenu structurel et constitue une menace sérieuse des équilibres budgétaires de l’Etat et financiers des entreprises publiques (notamment la STEG). Le coût de l’énergie est une composante essentielle de la structure des prix de tous les produits, y compris les produits agricoles et aussi l’eau. Le choix de produire de l’électricité à partir des énergies fossiles ou renouvelables (avec ses différentes sources : soleil, vent, hydrogène…) n’est pas seulement une question de choix politique idéologique. Il doit aussi tenir compte des paramètres scientifiques, financiers, institutionnels et sociaux. Ce choix affecte toute notre vie (nous vivons dans un monde où on ne peut pas se passer de l’électricité). A titre d’exemple, la production de l’hydrogène nécessite de l’eau et le dessalement d’eau nécessite de l’énergie. Les deux choix affectent directement l’environnement. Ce choix doit donc nécessairement être en parfaite harmonie avec le nouveau modèle de gestion des ressources en eau et de notre politique environnementale selon la tryptique 3E Eau-Energie-Environnement.
Le défi des avancées technologiques est certainement aussi important que les 3E et nous impose une mutation du système éducatif non seulement pour se préparer aux métiers d’avenir (par conséquent repenser notre système pédagogique dans son ensemble), mais surtout pour bâtir une nouvelle génération capable d’affronter ce monde hyper-connecté avec des risques divers. Il faut que nos prochains médecins, ingénieurs, policiers, professionnels, ensei- gnants… et citoyens soient capables de cohabiter, de tirer profit et de se proté- ger de ce nouvel arsenal technologique. Les avancées en IT et l’émergence de l’IA ne vont pas se limiter à des smartphones plus beaux, elles vont définir les critères de puissance des nations.
En somme, nos politiques et nos politicien(ne)s doivent rompre avec les approches classiques et archaïques pour que notre chère Tunisie puisse mieux se préparer pour l’avenir. A défaut, ils ont le choix, aussi héroïque, de se retirer.
Cet article est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 903 du 25 septembre au 9 octobre 2024