Karim Ben Kahla, professeur d’université à l’Ecole supérieure de commerce de Tunis Karim Ben Kahla est professeur d’université à l’Ecole supérieure de commerce de Tunis, président du think tank « Cercle Kheireddine ».
Ancien directeur de l’Institut supérieur de comptabilité et d’administration des entreprises (ISCAE) de Tunis et de l’Ecole doctorale d’économie et de gestion de l’université de La Manouba, il est parmi les mieux placés pour diagnostiquer le système éducatif tunisien et plus particulièrement l’université tunisienne. Avec lui, on essayera de réfléchir sur ce que devra être l’université de demain. Tout un programme, surtout lorsqu’on sait, comme il nous l’explique, que la situation n’est pas fameuse.
Le tableau est assez sombre
Plus encore, avec le système LMD, pratiquement plus personne ne voulait faire de master de recherche, si bien que l’université était incapable de se reproduire.
En fait, ceux qui aujourd’hui font un master, sont ceux qui n’ont trouvé aucune autre solution. Les meilleurs vont ailleurs et on se retrouve avec des doctorants moyens, avec des étudiants en troisième année de thèse de doctorat incapables de rédiger une seule phrase. Je ne parle pas des petites fautes d’orthographe, de conjugaison… Le problème est plus profond. On parle là des futurs enseignants de l’université publique. Donc, on a bouclé la boucle de la mé- diocrité. On a cassé le système et le LMD a été le coup de grâce.
Le fait qu’on est aujourd’hui hors classement Pisa, à la traine du classement des universités dans le monde, est-ce que cela vous interpelle ?
Pour la précision, c’est la Tunisie qui a décidé de ne plus faire partie du classement Pisa. Cela dit, on ne retient de Pisa que le classement. Il faut savoir que Pisa, c’est quatre tomes, ce sont des milliers de pages, c’est une mine d’informations, avec des analyses très détaillées des salaires des enseignants, des cours particuliers, du nombre d’heures à faire… La Tunisie était très mal classée, mais elle a tou- jours joué le jeu. Ce qui a permis une comparabilité dans le temps. Tous les trois ans, on pouvait savoir si on avait évolué ou pas, si on s’était amélioré ou pas. Il s’agit quand même d’une comparabilité internationale, même si elle est discutable.
Mais sous prétexte que le classement Pisa coûte un million de dinars et que notre système éducatif est différent, la Tunisie a décidé d’arrêter d’en faire partie. Conséquence : On a privé l’école tunisienne de s’auto-évaluer. C’est un peu la politique de l’autruche : cache-moi ce que je ne saurais voir. Le classement des universités, c’est autre chose ; il n’est pas lié à l’évaluation des étudiants, mais à celle des enseignants. A ce propos, il faut savoir que notre système d’enseignement supérieur n’a pas été conçu autour d’une université, mais autour d’établissements universitaires. Et c’est la première difficulté.
La deuxième difficulté est que notre université n’est pas ouverte à son environnement, donc à la recherche, comme c’est le cas, par exemple, des universités américaines. Or, la recherche prend une place très importante dans le classement des universités. C’est en ce sens que je pense que le classement Pisa des universités est contestable, que les configurations ne sont pas tout à fait comparables, que l’environnement n’est pas le même. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il faut être content d’être classé à la 980ème place.
Pour aller plus loin, quelle est votre vision de l’université de demain ?
Depuis des années, on s’est mis à penser que l’université devait suivre la société au lieu d’être la locomotive de la société. Résultat : l’université n’est plus une institution, mais une organisation qui doit s’adapter. Or, à mon avis, il faut faire la distinction entre une institution qui véhicule et qui répond à des valeurs et une organisation qui doit s’adapter. L’université-institution, c’est l’université des valeurs. L’université-organisation, c’est l’université de l’adaptation.
Après l’indépendance, l’université était pensée comme institution, comme locomotive devant changer le pays. Mais à partir de la massification, l’université, a cessé d’être une locomotive. Il faut repenser le système universitaire autour de vraies universités. Et mal- heureusement, avec la gouvernance des universités conduite aujourd’hui, rien n’est fait pour qu’il y ait de vraies universités. Avec cette nouvelle gouvernance, l’université est devenue la somme, l’addition d’un certain nombre d’établissements. Or, une université doit avoir une âme, une vocation, une vision.
Extrait de l’interview qui est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghérbin n 903 du 25 septembre au 9 octobre 2024