En ce début de second quinquennat, alors que la Tunisie traverse une crise économique profonde, il est opportun de rappeler certaines réalités inquiétantes. Tandis que les autorités politiques et monétaires se focalisent sur des signes de reprise, les fondamentaux économiques du pays dévoilent une situation préoccupante.
En 2024, la Tunisie enregistre un déficit budgétaire d’environ 7 % de son PIB, un niveau certes inférieur aux sommets atteints lors des crises européennes de la dernière décennie, mais tout de même significatif.
En 2023, le déficit était resté stable à 6,8 % du PIB, malgré une pression fiscale de 24,5 %. Cependant, certains indicateurs montrent que le déficit global pourrait fluctuer, avec des projections atteignant jusqu’à -7,9 % du PIB les années précédentes.
Sans réformes structurelles, l’économie peine à générer les richesses nécessaires pour sortir de cette situation, rendant difficile toute réduction du déficit à moyen terme.
Ce déficit s’explique principalement par des dépenses publiques élevées, un secteur privé affaibli et une croissance économique quasi inexistante. D’après certaines prévisions, l’économie tunisienne devrait croître de 2,4 % en 2024, après une hausse de seulement 0,6 % au premier semestre. Cependant, certains secteurs, comme l’industrie et la construction, continuent de reculer avec des baisses respectives de 5,0 % et 6,8 %.
Sans réformes structurelles, l’économie peine à générer les richesses nécessaires pour sortir de cette situation, rendant difficile toute réduction du déficit à moyen terme.
Dette publique
Parallèlement, la dette publique s’élève à près de 90 % du PIB, un niveau qui commence à inquiéter les créanciers internationaux. La dette publique a continuellement augmenté, passant d’environ 10 milliards de dinars en 2019 à 14 milliards de dinars en 2021, puis à 18 milliards de dinars en 2022, atteignant un total de 115 milliards de dinars cette année-là.
La dette intérieure, en particulier, a pris une part croissante, représentant 20 % du total en 2019, 73 % en 2021, et 55 % en 2022. Ces tendances se sont poursuivies en 2023, avec une dette publique atteignant 24,3 milliards de dinars, pour un total de 127 milliards de dinars, dont environ 40 % de dette intérieure. Selon la loi de finances 2024, la dette devrait s’établir autour de 36 milliards de dinars, portant le total à environ 139,9 milliards de dinars.
La dette intérieure, en particulier, a pris une part croissante, représentant 20 % du total en 2019, 73 % en 2021, et 55 % en 2022.
Comparaison avec la Grèce
La Tunisie se retrouve, comme la Grèce lors de sa crise financière, face à un dilemme : réduire les dépenses publiques, notamment dans les secteurs sociaux; ou risquer de compromettre sa solvabilité. Cependant, contrairement à d’autres pays, la Tunisie ne dispose pas de la flexibilité d’une monnaie dévaluée pour stimuler ses exportations. Ce qui la rend encore plus vulnérable aux fluctuations économiques internationales.
Chômage
Sur le plan social, le chômage, en particulier chez les jeunes diplômés, dépasse les 16 %, exacerbant les tensions économiques et sociales. Selon l’INS, le taux de chômage était de 16 % au deuxième trimestre de 2024, contre 16,2 % au premier.
Bien que le nombre de chômeurs ait légèrement diminué, passant de 669 300 au premier trimestre à 661 700 au deuxième, le taux de chômage masculin est resté stable à 13,6 % sur cette période; tandis que celui des femmes a baissé de 22 % à 21,3 %.
Le chômage parmi les diplômés de l’enseignement supérieur a également reculé, atteignant 23 % au deuxième trimestre, contre 23,4 % au premier, avec un écart important entre les diplômés hommes (13,4 %) et femmes (30,6 %). Cependant, le chômage chez les jeunes de 15 à 24 ans a augmenté, atteignant 41 % au deuxième trimestre 2024, contre 39,2 % au premier.
La faiblesse du secteur privé, freinée par des contraintes administratives et une concurrence déloyale alimentée par les lobbies, ne fait qu’aggraver la situation. Ce manque de dynamisme et d’investissement est exacerbé par des facteurs comme l’inflation élevée et la sécheresse.
Le risque que la Tunisie bascule dans une spirale de stagflation devient de plus en plus concret, surtout avec des perspectives de croissance limitées. La faiblesse du secteur privé, freinée par des contraintes administratives et une concurrence déloyale alimentée par les lobbies, ne fait qu’aggraver la situation. Ce manque de dynamisme et d’investissement, en comparaison avec d’autres pays au niveau de développement similaire, est exacerbé par des facteurs comme l’inflation élevée et la sécheresse, qui ont ralenti l’activité économique en 2023 et affaibli la demande privée.
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Inquiétudes
Les obligations tunisiennes à dix ans suscitent déjà des inquiétudes chez les investisseurs. Avec des taux en hausse et une prime de risque qui ne cesse d’augmenter, le coût de financement pour l’État tunisien devient de plus en plus élevé. La prime de risque, indicateur du rendement supplémentaire exigé par les investisseurs pour compenser le risque, a récemment été évaluée à 8 %, un niveau correspondant à la médiane des primes observées lors des introductions en Bourse en Tunisie. Ce taux est susceptible de fluctuer en fonction des conditions économiques et des performances du marché.
À l’instar des pays périphériques de l’Union européenne en 2010, la Tunisie fait face à une méfiance croissante des marchés, accentuée par des notations de plus en plus défavorables des agences internationales.
Dans ce contexte, envisager une croissance plus soutenue en 2024 paraît plus utopique que réaliste. Les discours optimistes des autorités peinent à dissimuler la dépendance croissante du pays à l’endettement et les défis liés à la mise en œuvre des réformes structurelles nécessaires, comme la rationalisation des subventions, la réforme fiscale et l’optimisation des circuits de distribution.
En conclusion, tout comme les pays européens ayant fait face à de graves crises budgétaires, la Tunisie se trouve à un moment crucial. Pour éviter une spirale de stagflation prolongée, il est impératif d’adopter des mesures de « RI-LANCE », alliant rigueur budgétaire à des réformes audacieuses pour stimuler la production et l’offre. À défaut, la Tunisie pourrait, à l’instar de la Grèce, sombrer dans une léthargie, voire connaître une « mort lente » sur le plan économique.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)