Après l’attaque iranienne sur Israël et compte tenu de l’évolution de la situation au Moyen-Orient et des répercussions possibles de cette évolution au niveau régional et même mondial, il était intéressant d’analyser en profondeur ce qui s’est passé afin d’essayer d’établir les scénarios auxquels nous pourrions être confrontés et leurs conséquences.
C’est ce que nous avons fait avec Rafaa Tabib, géopoliticien et chercheur universitaire. « On est aujourd’hui devant un instant de vérité », dit-il. Et pour cause, une guerre totale dans la région aura des conséquences désastreuses. « Une escalade dont on connaît le début mais dont on ignore la fin », dit-il encore, même s’il se dit convaincu que la « grande déflagration n’aura pas lieu ». Pourquoi ? C’est ce qu’il va nous expliquer
L’attaque iranienne aura tout de même un impact ?
Ce qui me fait peur, c’est l’impact sur le Moyen-Orient, mais aussi sur le Maghreb et le Sahel. Il serait inutile de rappeler que les Américains ont encore sous leur coupe quelques dizaines de milliers de combattants de Daesh disséminés à travers le monde et qu’à chaque fois qu’il y a un mouvement qui remet en cause les interventions américaines ou israéliennes dans la région, le terrorisme bouge juste après. Donc moi, ça me fait peur, sachant pertinemment que ce qui se passe aujourd’hui au nord du Mali, c’est une déflagration générale, et nous risquons de voir l’Algérie entrer en guerre contre les factions maliennes.
C’est pour cette raison que je me dis que dans une pareille situation, il faudrait que la Tunisie joue un rôle de stabilisation dans la région.
La Tunisie peut réellement jouer un rôle ?
Il y a même une attente. Parce que quand les ennemis s’éloignent trop les uns des autres, mais qu’il y a une volonté des uns et des autres de trouver une solution de sortie de crise, on attend l’apparition d’un troisième acteur que toutes les parties acceptent. Maintenant, on sait que les accords ou les négociations égypto-qataro-américaines, c’est du leurre. Les Américains veulent simplement gagner du temps. Donc, on attend de nouveaux acteurs et ces acteurs, on les connait. Soit les Émirats pour l’autre front, soit l’Algérie et la Tunisie pour le front en face. En tout cas, si cette guerre continue, et si le côté eschatologique, religieux, avec pour connotation la guerre des civilisations, continue, je pense qu’on ira vers une escalade dont on connaît le début mais dont on ignore la fin. Sachant pertinemment que l’Iran s’est bien préparé.
Autre chose, l’Iran a aussi réussi, durant la dernière année, à créer des alliances avec des pays qui pèsent énormément, comme le Pakistan et l’Indonésie. Et elle a aussi réussi à avoir des rapports relativement apaisés avec des pays amis des Etats-Unis, comme l’Arménie. En fait, les Iraniens voudraient aller vers un accord de paix. Le problème avec Israël, c’est Netanyahu. Il ne peut pas accepter la paix, parce que le jour où les armes se tairont à Gaza, ses ennemis vont crier victoire.
Donc, que faire maintenant ? Moi, je pense qu’il y a des pays qui peuvent jouer un rôle très important. Des pays qui seront une sorte d’assurance pour l’ensemble de la région et qui peuvent trouver une solution à très longue portée. Il ne s’agit pas seulement de l’arrêt des combats.
Ce sera l’occasion d’ouvrir un ensemble de dossiers qui n’ont jamais été ouverts dans la région. Il y a le dossier syrien: il va falloir en discuter de manière sérieuse. Il y a aussi le dossier irakien: comment faire avec la présence des Américains dans la région ? Il faut absolument qu’ils quittent la région. D’une façon générale, il faut arriver à un accord de paix pour la construction d’une architecture régionale sécuritaire entre d’un côté l’Iran, et de l’autre, les pays du Golfe. Il faut y parvenir et en finir avec cette guerre idéologique. Il faut faire en sorte que toutes les nations dans la région soient assurées de leur intégrité territoriale, de leur intégrité politique et de leur intégrité sécuritaire. Il n’est plus question ni d’exporter des révolutions, ni d’interférer dans la religion des autres.
Ceci pour le Moyen-Orient. Pour l’Afrique du Nord, il faut absolument que la question libyenne soit résolue. Parce qu’à mon avis, s’il y a échec américain au Liban et à Gaza, la guerre éclatera en Libye. Elle se prépare déjà de manière sûre. Il y a aussi la question du Sahara occidental et des relations entre le Maroc et l’Algérie. Et là, la Tunisie peut jouer un rôle majeur. Avec une vision claire, prospective et beaucoup d’ambition, elle peut parvenir à désamorcer la crise.
Extrait de l’interview qui est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n 904 du 9 au 23 octobre 2024