Lors de la journée de réflexion organisée par la Chambre de commerce et d’industrie tuniso-française, le 17 octobre 2024, le panel intitulé « L’Alternance au niveau de l’enseignement supérieur : enjeux pour l’entreprise et pour l’université » a mis en lumière les défis et les opportunités que représente l’alternance pour les acteurs éducatifs et économiques en Tunisie.
Lors de son intervention, Slim Driss, président de l’Université de Tunis, a souligné l’importance des relations établies avec le monde des entreprises. Il a révélé que l’université a signé plus d’une centaine de conventions avec diverses entreprises, qu’elles soient grandes, petites ou moyennes. Ces accords sont soit directement signés avec l’université, soit avec ses institutions affiliées.
Quand l’université tend les bras à l’université
Les conventions englobent plusieurs domaines, bien que certaines spécialités soient plus proches du monde des entreprises. Elles incluent des dispositions pour les stages, tant pour les étudiants de l’université que pour les projets de fin d’études (PFE) pour les étudiants de licence et de master. En outre, les entreprises participent à l’organisation de séminaires et assurent des cours pour les étudiants.
Slim Driss a également mentionné des conventions de recherche, notamment au sein de l’ESSEC, impliquant des étudiants de master et de doctorat. L’université continue d’être proactive en signant régulièrement de nouveaux accords, avec une fréquence presque hebdomadaire. Concernant l’efficacité des conventions, il a noté que certaines ont bien fonctionné, entraînant des collaborations fructueuses. Tandis que d’autres ont été moins efficaces. M. Driss a évoqué la stratégie de l’université, qui s’appuie sur l’orientation du ministère de l’Enseignement supérieur, en visant à développer des parcours adaptés aux besoins des entreprises. L’université de demain, estime Slim Driss, doit s’articuler autour de quatre axes : professionnalisation, entrepreneuriat, numérique et inclusivité. Il a affirmé que l’université s’engage à aligner ses parcours sur les exigences du marché et à mettre en place un système d’adhérence pour renforcer cette synergie.
Mohamed Naceur Ammar, ancien ministre et président de Pristini AI University, a souligné l’importance de la formation par apprentissage. Fort de son expérience en tant qu’expert auprès de la commission d’ingénieurs en France, il a abordé l’historique et l’importance de ce dispositif.
M. Ammar a mis en avant que l’apprentissage en France est un dispositif essentiel pour l’insertion professionnelle, notamment pour les jeunes peu qualifiés ayant quitté prématurément l’école. Il a indiqué que, grâce à des mécanismes de soutien mis en place par l’État, le nombre d’apprentis a considérablement augmenté. Ainsi, précise-t-il, le nombre d’apprentis est passé de 300 000 à 900 000 en 2023, avec deux tiers d’entre eux maintenant engagés dans l’enseignement supérieur, représentant un étudiant sur quatre dans ce secteur.
En outre M. Ammar indique qu’avant cette dynamique, environ deux tiers des apprentis étaient dans des formations de niveau inférieur au bac. Tandis que depuis la loi de 2018, cette tendance s’est inversée.
Concernant le soutien de l’État, il a mentionné l’aide exceptionnelle de 2020, qui a permis aux entreprises de recruter plus facilement des apprentis. En comparant la situation en France à celle de la Tunisie, M. Ammar note une évolution vers un décloisonnement entre les secteurs de la formation et de l’éducation traditionnelle. En Tunisie, l’apprentissage s’étend également au niveau doctoral, avec une limite d’âge pour les apprentis d’abord fixée à 25 ans, puis portée à 29 ans. Il a mis en avant la reconnaissance croissante de l’apprentissage comme une voie d’ascension sociale, permettant à des jeunes issus de milieux défavorisés d’accéder à des formations et à des emplois qualifiés. Il a relevé l’adoption de ce modèle par les grandes écoles, qui voient l’apprentissage comme un mécanisme de promotion sociale.
Finalement, M. Ammar a conclu son intervention en insistant sur l’importance des compétences dans le domaine de l’apprentissage. Il a évoqué le changement de nom du Pôle emploi en France Travail, soulignant l’importance d’orienter le financement vers des formations professionnelles. Bien que l’aide exceptionnelle de 2020 ait été arrêtée en 2023, les avantages de la loi de 2018 demeurent, avec pour objectif d’orienter l’apprentissage vers des filières et des emplois qualifiés, notamment dans l’industrie. En résumé, Mohamed Naceur Ammar a mis en lumière l’évolution positive de l’apprentissage en France, les défis à relever en Tunisie et l’importance de ce dispositif pour l’insertion professionnelle et l’ascension sociale des jeunes.
De son côté, Mohamed Jaoua souligne que le décret 929 du 9 novembre 2018 marque un tournant pour l’alternance dans les universités tunisiennes; bien qu’il soit principalement adopté dans le secteur privé. L’alternance, qui se déroule dans le cadre d’une convention entre l’université et l’entreprise, est réservée aux formations post-licence. Ce dispositif confère aux étudiants un double statut, celui d’étudiant et de salarié. Ce qui engendre des formations prolongées, comme les masters, qui s’étalent sur trois ans.
Le professeur met en avant plusieurs avantages pour les différents acteurs impliqués. Pour les étudiants, l’alternance facilite l’insertion professionnelle, leur permettant d’acquérir une expérience concrète tout en bénéficiant d’un salaire. Ce qui est essentiel pour ceux venant de milieux modestes. L’alternance transforme le processus de formation en plaçant l’employabilité au centre, en recrutant les étudiants avant même l’obtention de leur diplôme.
Les entreprises, quant à elles, trouvent dans ce système une solution pour atténuer la forte concurrence du marché international, notamment dans le secteur des technologies de l’information. Elles peuvent ainsi sécuriser un personnel formé et adapté à leurs besoins tout en réduisant les coûts de main-d’œuvre grâce à des exonérations fiscales et des subventions. L’implication des entreprises dans le contenu des formations garantit que les compétences enseignées sont alignées avec les exigences du marché.
Enfin, du point de vue des universités, l’alternance permet d’accroître l’attractivité de leurs formations, favorisant ainsi un meilleur recrutement d’étudiants. Cette dynamique bénéficie également aux formations en amont, comme les licences, qui deviennent plus sélectives. Les chiffres montrent une augmentation significative des nouvelles inscriptions en alternance, révélant ainsi l’intérêt croissant pour ce modèle pédagogique. En somme, l’intervenant conclut que l’alternance représente une démarche bénéfique pour tous les acteurs impliqués, créant un écosystème éducatif et professionnel gagnant-gagnant.
Sofiatech, exemple illustrant de l’application de l’alternance
Hassib Ellouze, Président de Sofiatech, a souligné lors de son intervention l’importance d’une approche collaborative avec les universités pour relever les défis rencontrés par son entreprise spécialisée dans l’ingénierie des systèmes électroniques et des logiciels embarqués. Sofiatech, qui emploie 150 personnes et se concentre principalement sur l’exportation, a constaté que cette collaboration est essentielle pour résoudre divers problèmes liés aux compétences des ingénieurs.
M. Ellouze a noté qu’il y a eu une évolution des besoins du marché depuis 2018, avec une demande croissante pour des compétences atypiques qui ne sont pas enseignées dans le milieu académique. En particulier, il a mentionné la nécessité de connaissances sur les systèmes Linux embarqués, que l’on trouve surtout chez les constructeurs automobiles. Ces compétences proviennent davantage de l’industrie que de l’enseignement supérieur, soulignant un écart important entre la formation académique et les exigences du marché.
Pour répondre à cette problématique, Sofiatech a décidé de recruter des étudiants en licence, une démarche qui s’inscrit dans un partenariat avec les universités. M. Ellouze a expliqué que l’entreprise finance les études de ces étudiants, une initiative qui dure trois à trois ans et demi. Une fois leurs études terminées, les diplômés rejoignent l’entreprise. Ce qui facilite leur intégration et assure une continuité des compétences.
M. Ellouze a observé que les nouveaux employés, souvent moins expérimentés, ont tendance à rester plus longtemps dans l’entreprise que les seniors. Ce qui pose des défis en termes de fidélisation. Les recrutements de débutants sont jugés plus efficaces pour créer un environnement stable. Car les seniors sont souvent courtisés par d’autres entreprises, ce qui augmente le turnover.
A quand l’émergence d’un statut d’alternance en Tunisie?
Cependant, l’absence d’un statut d’alternance en Tunisie crée des complications. Ainsi, M. Ellouze a souligné que le recrutement d’étudiants en licence implique un engagement moral et financier, avec des risques. Par exemple, si un étudiant ne s’intègre pas bien dans l’entreprise après six mois, cela pose un problème. Car l’entreprise a déjà signé un contrat avec l’université pour financer ses études. Ce manque de flexibilité dans le système rend difficile la gestion des ressources humaines.