Les développements économiques récents au Japon- et bon nombre de pays dans la tourmente économique- et où la Banque centrale injecte des trillions de yens pour tenter de relancer une économie moribonde, offrent des leçons précieuses à la Tunisie, confrontée à ses propres défis macroéconomiques.
Alors que la politique monétaire expansionniste japonaise, depuis 2013, avait déclenché une baisse marquée de la valeur du yen et une hausse de la Bourse, l’économie réelle reste coincée dans une stagnation. Cette expérience met en lumière les limites du « keynésianisme orthodoxe», et du néo-« keynésianisme pur et dur ». Dans un contexte où les fondamentaux économiques, notamment la démographie et la productivité, ne répondent plus aux stimuli traditionnels.
L’échec des néo-keynésiens : signes d’une stagnation séculaire
La stratégie remaniée du Premier ministre du Japon, Abe, ajustée à la lumière des crises des années 2020, reposait sur une expansion monétaire massive et des mesures de relance budgétaire pour stimuler l’inflation et relancer la croissance. Cependant, avec le recul historique, la contraction de l’économie japonaise au troisième trimestre 2014 (-1,6 % en rythme annuel) a révélé que cette approche n’a pas donné les résultats escomptés.
En effet, malgré une inflation modérée, les salaires réels stagnaient, la consommation fléchissait, et la dépréciation du yen avait amplifié les coûts d’importation sans générer de bénéfices durables pour la croissance à long terme.
Le Japon, et bon nombre de pays en transition, semblent depuis être en proie à une « stagnation séculaire », terme popularisé par Alvin Hansen en 1938. Les gains de productivité sont faibles, les investissements peinent à s’accroître et la dynamique démographique s’effondre avec une population vieillissante. Cette situation, récurrente, reflète une réalité où malgré une politique monétaire « accommodante », les entreprises n’investissent pas faute de perspectives de rentabilité.
Leçons pour la Tunisie
La situation japonaise interpelle directement la Tunisie, qui, bien que confrontée à des problèmes d’une autre nature, se trouve également à un carrefour économique critique.
Les politiques de relance néo-keynésiennes, qui reposent sur l’idée que l’inflation « modérée » stimulera la consommation et l’investissement, doivent être réévaluées dans un contexte où la demande structurelle et la démographie sont des facteurs limitants.
En Tunisie, l’endettement public a atteint des niveaux alarmants, avoisinant 80 % du PIB en 2024. L’inflation, bien que « modérée », à 6,7 %, ne contribue pas à une relance significative de la consommation ou de l’investissement privé.
Comme au Japon, la croissance économique tunisienne est confrontée à des défis structurels : faible productivité, chômage élevé et un secteur informel omniprésent. Les salaires réels ne progressent que marginalement. Tandis que l’augmentation récente du SMIG ne parvient pas à compenser la perte de pouvoir d’achat engendrée par les pressions inflationnistes.
Une stagnation séculaire tunisienne?
La Tunisie fait face à des défis similaires à ceux du Japon, bien que les causes diffèrent. La population tunisienne est certes plus jeune, mais les freins structurels– chômage élevé, fuite des cerveaux, corruption et inefficacité des politiques publiques– limitent la capacité de l’économie à se relancer uniquement par des mesures monétaires ou budgétaires.
Il serait intellectuellement malhonnête de penser que des injections massives de liquidités, ou même des réductions partielles d’impôts, relanceront l’économie tunisienne de manière durable sans des réformes structurelles profondes.
Ces réformes doivent cibler la productivité, l’investissement dans l’éducation et l’infrastructure et une meilleure gestion des ressources humaines. La dépendance excessive à la consommation intérieure, dans un contexte de faible diversification économique, limite les effets d’une politique expansionniste traditionnelle.
Alternatives pour la Tunisie
Pour éviter le piège d’une stagnation économique prolongée, la Tunisie doit tirer des leçons de l’échec des néo-keynésiens.
Une simple relance par la demande, sans tenir compte des fondamentaux de l’économie, risque de produire des résultats similaires : une inflation modérée ou presque, des salaires sous pression, et une dette publique qui se creuse.
L’approche keynésienne « orthodoxe » — et des néo-keynésiens — pourrait se heurter à des limites si elle ne s’accompagne pas de réformes structurelles audacieuses.
Il est impératif de repenser la politique économique tunisienne en intégrant des mesures à long terme qui favorisent la productivité, l’innovation et l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales.
Cela pourrait inclure des réformes du marché du travail pour encourager l’emploi formel, une révision profonde de la fiscalité pour alléger le fardeau pesant sur les entreprises productives, et des investissements dans les secteurs à forte valeur ajoutée tels que les technologies vertes et l’économie numérique.
La Tunisie, entre relance et réformes
Le cas d’espèce de relance du type « néo-keynésiens » montre que l’inflation contenue n’est pas une fin en soi. De même que l’expansion monétaire seule ne suffira pas à relancer durablement une économie en stagnation.
Pour la Tunisie, les enseignements sont clairs : la relance économique doit être soutenue par des réformes structurelles.
Le temps n’est plus à la simple stimulation de la demande, mais à la refondation de la stratégie économique.
La productivité, l’innovation et l’intégration mondiale doivent être les piliers de cette transformation. Et ce, sous peine de voir la Tunisie s’enfoncer dans une torpeur économique semblable à celle du Japon et des pays en transition similaire.
En somme, la Tunisie doit naviguer entre une relance « keynésienne limitée » dans son efficacité et des réformes structurelles difficiles mais nécessaires.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
d’Economie Financière (IAEF-ONG)