Marquée, durant les dernières années, par la conjonction de chocs multiples de nature diverses, en particulier la pandémie de la Covid-19 et la guerre russo-ukrainienne, l’économie mondiale semble se diriger vers une stabilisation progressive. Toutefois, cette apparente normalisation intervient dans un climat encore plein de défis, notamment la résurgence des tensions géopolitiques, l’accentuation de l’impact du changement climatique et le resserrement énergique et quasi-généralisé de la politique monétaire, adopté par la plupart des banques centrales, pour juguler les poussées inflationnistes*.
Malgré ce contexte défavorable, la croissance mondiale s’est montrée résiliente, en 2023, et s’est maintenue à un niveau proche de l’année précédente, soit 3,2% contre 3,5%.
En revanche, le commerce mondial de biens et services est demeuré exceptionnellement faible et s’en trouve moins corrélé avec l’activité économique, progressant seulement de 0,3% en 2023 contre 5,6% un an plus tôt. Cette faiblesse des échanges commerciaux est, entre autres, le résultat de l’essoufflement de la demande lié à la hausse considérable des taux d’intérêts, mais reflète, également, des signes d’un protectionnisme grandissant et d’une fragmentation accrue de l’économie mondiale.
Pour sa part, l’inflation mondiale est revenue à 6,8%, en 2023, par rapport au sommet atteint l’année précédente, soit 8,7%, mais demeure, toutefois, supérieure à la moyenne prépandémique. Ainsi et afin de contourner la persistance des pressions sur les prix et ramener l’inflation à son objectif de moyen terme, la majorité des banques centrales ont poursuivi le resserrement monétaire, entamé depuis l’année 2022, portant leurs taux d’intérêts directeurs à des niveaux historiquement élevés.
Résilience de l’économie tunisienne
Dans ce contexte international difficile, caractérisé par une instabilité économique et une incertitude croissante, l’économie tunisienne a continué à faire preuve de résilience en 2023. Malgré les défis majeurs, tant au niveau de l’offre que de la demande, notre capacité d’adaptation s’est encore manifestée.
Du côté de l’offre, la persistance du stress-hydrique, pour la quatrième année consécutive, a dû induire une chute brutale de la production agricole, exacerbée par une forte régression de la production nationale des hydrocarbures et du phosphate. Cependant, l’impact de ces baisses aurait pu se faire ressentir plus sévèrement n’eût été le secteur touristique et les industries manufacturières exportatrices qui ont réalisé une bonne performance.
Du côté de la demande, tant domestique qu’extérieure, un affaiblissement notable a été observé, occasionné par les augmentations des prix. Cette inflation prononcée et l’incertitude qui en découle ont fortement pesé sur la consommation des ménages et l’investissement des entreprises privées, affectées par des coûts de production plus élevés et des conditions de financement plus onéreuses.
Pressions sur les équilibres macroéconomiques
Dans ces conditions difficiles, la croissance économique nationale, en termes réels, a connu un ralentissement pour s’établir à 0,2% en 2023, contre 2,8% un an plus tôt. Cette faible croissance a accentué les pressions sur les équilibres macroéconomiques, encore aux prises avec une succession de chocs qui dure depuis quelques années, se manifestant par des difficultés structurelles.
D’ailleurs, ces difficultés continuent de compromettre l’essor de l’économie tunisienne et, par-là, sa capacité à résorber l’offre sur le marché de l’emploi. En conséquence, le taux de chômage s’est établi à 16,4% contre 15,2% en 2022.
Maîtrise du déficit courant, consolidation des recettes touristiques et des revenus du travail
Quant au secteur extérieur, il a affiché une nette amélioration en 2023, confirmée par une meilleure maîtrise du déficit courant, revenant à 3 433 MDT, soit 2,2% du PIB contre 8,8% l’année précédente. Cette performance est due à une contraction notable du déficit commercial, bénéficiant d’une hausse des exportations conjuguée à une diminution des importations. Toutefois, ce repli des importations traduit partiellement un ralentissement de l’activité économique.
En outre, la consolidation des recettes touristiques et, à moindre degré, des revenus du travail ont conforté l’amélioration du solde des opérations courantes. Cette situation, associée à l’amélioration du compte financier, a permis la consolidation de nos avoirs de réserve de 3 371 MDT.
La dynamique positive du secteur extérieur a contribué à stabiliser le taux de change du dinar vis-à-vis des principales monnaies et à soutenir les réserves en devises, en dépit d’un accès limité aux ressources extérieures. En conséquence, les avoirs nets en devises ont nettement augmenté pour atteindre 26.408 MDT, soit l’équivalant de 120 jours d’importation, à fin 2023, contre 22.949 MDT et 100 jours au terme de 2022.
Baisse déficit budgétaire et hausse du taux d’endettement public
Concernant les finances publiques, le déficit budgétaire hors privatisations et dons s’est élevé à 7,4% du PIB, en 2023, contre 7,9%, en 2022, considérant la faiblesse de la croissance économique. Ce léger mieux est attribuable, d’un côté, à l’augmentation des ressources propres qui traduit l’amélioration du recouvrement et, de l’autre, à l’adoption d’une politique budgétaire rigoureuse, axée sur la maîtrise des dépenses.
Corrélativement, le taux d’endettement public a accusé une légère hausse pour passer de 82,3% à 83,0% du PIB, d’une année à l’autre. Néanmoins, ce ratio demeure à des niveaux relativement élevés, malgré la nette baisse de sa composante extérieure.
Baisse du taux d’inflation
Pour ce qui est du taux d’inflation, et après avoir atteint un pic de 10,4% en glissement annuel (G.A) au mois de février 2023, il s’est progressivement replié pour s’établir à 8,1%, au terme de l’année sous-revue, enregistrant ainsi un taux annuel moyen de 9,3%, après 8,3% en 2022. Outre la réduction des effets haussiers induits par la flambé des prix internationaux de l’énergie et des produits alimentaires, la récente détente de l’inflation reflète aussi l’atonie de la demande intérieure.
Hors alimentation et énergie, le retournement de l’inflation s’est effectué à un rythme beaucoup plus lent, revenant à 7,1% en décembre 2023 contre 7,8% au mois de mars de la même année.
Une politique monétaire vigilante
Cette forte inertie de l’inflation tendancielle a amené la Banque centrale de Tunisie (BCT) à conduire une politique monétaire vigilante et à maintenir son taux d’intérêt directeur au niveau de 8%, tout au long de l’année 2023. C’est de la sorte qu’elle a visé à contenir les risques inflationnistes et de soutenir une convergence plus rapide de l’inflation vers sa valeur de moyen terme, évitant ainsi un désancrage des anticipations inflationnistes.
La politique monétaire relativement restrictive, adoptée par la BCT, conjuguée à la faible demande domestique, qui en a résulté, ont conduit à un rythme de progression faible des crédits et à une relative stabilité des réserves en devises et du taux de change du dinar. D’ailleurs, affecté par la faiblesse de la croissance économique, en termes réels, l’encours des créances sur l’économie n’a progressé, durant l’année 2023, que de 2,5% contre 7,9% une année auparavant.
Révision du plan stratégique 2023-2025
Sur un autre plan, la BCT a démarré au cours de l’année sous-revue son deuxième plan stratégique 2023-2025. Dans ce cadre, un projet de mise en place d’un dispositif de management d’innovation de la Banque Centrale a été lancé, conformément aux orientations de ce plan qui vise à favoriser l’innovation et poursuivre la transformation pour renforcer la résilience de l’institution.
Parallèlement, la BCT a continué de consolider l’investissement dans son capital humain dans le but, entre autres, d’atteindre les objectifs stratégiques fixés. En 2023, un bon nombre du personnel a participé à des actions de formation internes ou externes, combinant sessions en ligne ou en présentiel, organisés par des institutions de renommée internationale.
La Banque a, également, encouragé la participation à des programmes de formation diplômante. L’ampleur de ces initiatives reflète le degré d’engagement de la BCT pour le développement des compétences de ses employés.
Culture digitale et politique d’Open Banking
Par ailleurs, la BCT, en guise de continuité des actions entreprises en matière d’adhésion de son personnel à la culture digitale, œuvrera pour l’adoption d’une politique d’Open Banking. Cette approche repose sur le réseautage et le dialogue constructif avec son écosystème, permettant ainsi de concilier entre l’innovation et la gestion des risques, tout en facilitant un partage transparent des données.
Dans le même esprit, la modernisation des infrastructures des marchés financiers, et plus spécifiquement des paiements digitaux, est une priorité majeure pour l’Institut d’émission. À cette fin, une stratégie multidimensionnelle a été élaborée pour faire des paiements digitaux un levier de la croissance inclusive.
Inclusion financière
Consciente des impacts négatifs de l’exclusion financière sur l’économie et sur certaines catégories de la société, notamment les femmes, les jeunes, les ruraux et les petites et moyennes entreprises, la BCT a contribué activement, en 2023, avec ses partenaires, à la promotion de l’inclusion financière, levier certain du développement économique et social.
Dans ce cadre, la BCT a adopté une stratégie, alignée sur le développement des paiements digitaux, visant l’amélioration de l’accès aux services financiers formels, en particulier les paiements. Aussi, la Banque a contribué à la préparation d’un projet de loi qui vise, essentiellement, la lutte contre l’exclusion financière, notamment à travers l’accès aux services bancaires de base.
De plus, un Programme National d’Education Financière (2023-2027) a été lancé, via des ressources numériques et des campagnes médiatiques et ce, à travers le développement d’une plateforme d’E-Learning de l’Observatoire de l’Inclusion Financière.
Par ailleurs, la BCT a facilité des collaborations entre les banques et les fintechs, permettant à de petits commerçants et artisans d’adopter des solutions de paiement digitaux, réduisant ainsi la dépendance au cash.
Cette initiative inclut, également, des efforts ciblés pour intégrer les tunisiens résidant à l’étranger, leur offrant des services de transfert de fonds et de paiement de factures émises en Tunisie de manière instantanée, sécurisée et avec une tarification compétitive.
Intégration de la BCT au Système PAPSS
S’inscrivant toujours dans la logique de concrétisation de ses projets stratégiques, la BCT a intégré, en février 2024, le Système PAPSS, visant à faciliter les transactions commerciales intra-africaines. Par ailleurs, des jalons ont été concrétisés dans le projet d’extension d’Elyssa-RTGS aux opérations en devises, laquelle vise à améliorer la gestion des transactions en devises de la place, tant sur le plan de fluidité des transactions et optimisation de trésorerie que de gestion des risques.
Renforcement du dispositif de la coopération technique
Sur le plan international, l’année 2023 a été fructueuse pour la BCT, en termes de participation active à divers événements internationaux et régionaux. Outre la participation à des manifestations internationales et les échanges d’expériences avec ses partenaires, la BCT a notamment renforcé le dispositif de la coopération technique par la signature d’un mémorandum d’entente relatif à un projet pilote pour l’Afrique, ayant pour objectif le renforcement de la coopération bilatérale et le « Peer-learning » entre les banques centrales européennes et africaines.
Pour l’année 2024, l’économie mondiale devrait se montrer résiliente et se maintenir sur le même sentier de croissance, en dépit des obstacles liés aux délais de transmission des politiques monétaires restrictives, aux tensions géopolitiques qui ne cessent de s’amplifier et ce, outre l’impact accru du changement climatique.
Néanmoins, cette résilience occulte de fortes disparités, dans la mesure où la vigueur de l’économie américaine et de grandes économies émergentes contraste avec les perspectives modestes pour la Zone Euro, principal partenaire commercial de la Tunisie, pouvant nuire ainsi aux performances de notre économie nationale.
A ce titre, il importe de signaler que pour l’année 2024, la résilience de l’économie tunisienne serait encore au rendez-vous et la croissance économique s’établirait autour de 1,6%, grâce à une meilleure saison agricole et au bon comportement de l’activité touristique, en dépit de la faiblesse des industries manufacturières exportatrices et de la contreperformance des secteurs des mines et des
hydrocarbures.
Par ailleurs, même si l’inflation a montré des preuves de détente, depuis l’année dernière, l’incertitude pèse encore sur l’évolution future des prix et les risques de sa persistance sont encore réels, en relation, notamment, avec la remontée des prix internationaux sur fond de l’escalade des tensions géopolitiques, de l’aggravation du stress hydrique et de l’accentuation des pressions sur les finances publiques.
De son côté, la BCT, de par sa mission de veille à la stabilité des prix, demeurera attentive aux évolutions futures de l’environnement économique et financier, afin d’éviter une nouvelle dérive inflationniste. Dans ce cadre, il convient de souligner l’importance de maintenir une approche prudente et de faire preuve de beaucoup de patience dans la conduite de la politique monétaire, particulièrement face aux pressions inflationnistes incertaines.
Nécessité de coordonner les politiques budgétaire et monétaire
Cette démarche est indispensable pour éviter des réactions précipitées, en réponse aux fluctuations brusques des prix, qui pourraient même compromettre la stabilité financière.
La BCT s’engage, ainsi, à adapter ses actions de manière mesurée et réfléchie, en tenant compte des impacts potentiels des chocs économiques. Cette conduite permettra de soutenir une croissance économique durable, tout en veillant à ce que les ajustements de politique monétaire soient bien calibrés et en phase avec les réalités économiques nationales et internationales.
Devant la persistance de ces défis, il est impératif de coordonner davantage les politiques budgétaire et monétaire pour renforcer la résilience de l’économie tunisienne, face aux chocs externes dans un environnement mondial turbulent, de préserver les équilibres macroéconomiques et d’assurer la stabilité financière et de stimuler la reprise économique et converger vers une croissance soutenue et durable.
*Le titre et les intertitres sont de la rédaction