Dans un article publié sur Espace Manager, notre confrère Brahim Oueslati a présenté de manière exhaustive le livre de Driss Guiga, Sur le chemin de Bourguiba. M. Oueslati a livré une analyse approfondie des mémoires de cet ancien ministre, en soulignant l’importance de ce témoignage pour comprendre l’histoire de la Tunisie moderne. Il a mis en lumière le parcours exceptionnel de Driss Guiga et son rôle central aux côtés de Bourguiba dans la construction de l’État tunisien.
À la veille de son centenaire, Driss Guiga, ancien ministre sous Habib Bourguiba, publie ses mémoires, intitulées Sur le chemin de Bourguiba. Ce témoignage inédit revient sur une carrière marquée par une loyauté indéfectible envers le premier président de la Tunisie et un rôle de premier plan dans la construction de l’État moderne.
Né le 21 octobre 1924 à Testour, une ville fondée par des Andalous, M. Guiga a grandi dans une famille militante. Très tôt, il est influencé par son oncle, Bahri Guiga, cofondateur du Néo-Destour aux côtés de Bourguiba, et par son père, instituteur, qui lui a transmis l’amour de la patrie.
Un engagement précoce pour l’indépendance
Dès son jeune âge, Driss Guiga est marqué par l’arrestation de son oncle en 1934, accusé de fomenter des troubles contre l’occupation française. C’est à cette époque que naît son engagement pour l’indépendance.
Il poursuit ses études au lycée Sadiki, où il rencontre des figures emblématiques comme le grand orateur Ali Belhouane, qui l’initie au militantisme. L’arrestation de Belhouane déclenche une manifestation en avril 1938, un événement qui scelle le début de la lutte de Guiga pour l’indépendance.
Sa rencontre avec Bourguiba en 1943 s’avère déterminante. Bourguiba, voyant en lui un jeune homme prometteur, le pousse à poursuivre ses études. Driss Guiga fait ensuite des études en histoire-géographie à l’université d’Alger, où il noue des amitiés avec de nombreux étudiants nord-africains engagés dans la lutte anti-coloniale. Il devient secrétaire général de l’Association des étudiants musulmans nord-africains (AMENA) et rencontre sa future épouse, Shacha Safir, une artiste peintre.
Un parcours au service de la nation
De retour en Tunisie, après avoir obtenu un diplôme en droit privé à Paris, Driss Guiga commence sa carrière publique en tant que chef de cabinet du ministre de la Santé en 1950, dans le gouvernement de M’hamed Chenik. Ce cabinet, composé de figures nationalistes, est mal perçu par les autorités coloniales françaises. En 1952, Driss Guiga est arrêté et passe six mois en prison à Teboursouk. Libéré, il est affecté à la direction de l’hôpital régional du Kef.
Son ascension se poursuit avec l’indépendance de la Tunisie. En 1956, il est nommé à la tête de la sûreté nationale par Bourguiba et Taïeb Mhiri, ministre de l’Intérieur. Sa mission consiste à « tunisifier » les forces de police et à assurer la sécurité nationale, un rôle qu’il assume avec rigueur pendant sept ans. Cette période coïncide avec la proclamation de la République tunisienne en 1957 et la destitution du dernier bey husseinite, Lamine Bey.
Durant cette période, Driss Guiga collabore avec les dirigeants du Front de libération nationale algérien (FLN); alors que la Tunisie sert de base arrière à la révolution algérienne. Ses relations avec les leaders algériens se consolident et il restera en contact avec eux après l’indépendance de l’Algérie.
Un acteur des grands projets de la Tunisie moderne
Après son passage à la sûreté nationale, Guiga est nommé à la tête du tourisme en 1962. Une mission au cours de laquelle il pose les fondations de cette nouvelle industrie pour la Tunisie. Cependant, il connaît aussi des revers, comme l’abandon du projet de la station touristique off-shore de Ghar El Melh, un projet gigantesque porté par le prince Karim Aga Khan, mais rejeté par Bourguiba en raison de la notion d’« off-shore », qu’il trouvait contraire à la souveraineté tunisienne.
En 1969, Guiga devient ministre de la Santé avant de permuter avec Mohamed Mzali au ministère de l’Éducation en 1973. Durant son mandat à l’Éducation, il mène la controversée réforme de l’arabisation de l’enseignement de la philosophie, qui lui vaut des critiques de la part de certains enseignants.
Les turbulences de la fin de règne de Bourguiba
La fin des années 1970 est marquée par une détérioration des relations entre Guiga et le Premier ministre Hédi Nouira. En 1980, après l’attaque de Gafsa, une tentative de déstabilisation orchestrée par le colonel Kadhafi, Bourguiba rappelle Guiga à la tête du ministère de l’Intérieur. Cette période est marquée par deux événements clés : les premières élections législatives multipartites en 1981 et la crise du pain de 1984, qui conduit à de violentes manifestations. Guiga est alors au centre des tensions politiques et se retrouve pris dans une lutte de pouvoir avec Mohamed Mzali. Accusé d’avoir voulu exploiter la révolte pour évincer Mzali, Guiga nie toute responsabilité.
Un exil forcé et un retour après 1987
En 1984, Driss Guiga est contraint à l’exil à Londres, où il travaille comme conseiller. Il est condamné par contumace à dix ans de prison pour haute trahison. Il ne revient en Tunisie qu’après le coup d’État médico-légal de Ben Ali contre Bourguiba en 1987. Emprisonné brièvement, il est libéré après une réduction de peine.
Aujourd’hui, Driss Guiga vit retiré dans sa villa à Hammamet, entouré de sa famille. Il reste une figure clé de l’histoire moderne tunisienne, témoin et acteur des événements marquants qui ont façonné le pays. Ses mémoires constituent une contribution précieuse à la compréhension de cette période charnière, un hommage à Bourguiba, et une réflexion sur la Tunisie contemporaine.