L’idée de l’indépendance des Banques centrales, souvent présentée comme un rempart contre l’inflation et une garantie de stabilité économique, est aujourd’hui remise en question. En Tunisie, comme dans d’autres pays, la Banque centrale (BCT) est perçue comme un acteur indépendant, censé opérer en dehors des pressions politiques. Mais est-ce réellement le cas? La crise économique actuelle, marquée par une inflation persistante et un endettement public croissant, invite à réexaminer ce concept dans notre contexte.
Historiquement, l’indépendance des Banques centrales remonte à des décisions stratégiques adoptées dans les années 1970, notamment en France, qui ont transformé le rôle des banques centrales.
En 1973, une loi a empêché le Trésor français d’emprunter directement auprès de sa banque centrale, forçant l’État à recourir au marché financier pour se financer. Ce modèle a été repris au niveau européen avec la création de la Banque centrale européenne (BCE). Consolidant ainsi l’idée que les banques centrales doivent rester autonomes et détachées des décisions politiques pour garantir la stabilité des prix.
En Tunisie, la BCT s’inscrit dans cette même logique d’indépendance. Mais cette indépendance, en réalité, limite la capacité de l’État à utiliser la politique monétaire comme levier pour relancer l’économie en période de crise. Dans un contexte où les réformes structurelles imposées par les institutions internationales, telles que le FMI, préconisent des mesures d’austérité et la réduction du déficit public, l’orthodoxie monétaire prend souvent le pas sur les impératifs de croissance et d’emploi. La Banque centrale de Tunisie, bien qu’indépendante en théorie, semble de plus en plus soumise à la pression des marchés financiers et des créanciers internationaux.
La question que soulève cette indépendance est celle de la souveraineté économique. En renonçant à la possibilité de financer ses déficits auprès de la BCT, l’État tunisien se retrouve à la merci des marchés financiers internationaux, où les taux d’intérêt sont souvent plus élevés. Cette dépendance accrue a des conséquences lourdes sur les finances publiques : l’augmentation des coûts de financement de la dette réduit la capacité de l’État à investir dans les infrastructures, l’éducation ou encore les programmes sociaux, exacerbant ainsi les inégalités et freinant la croissance économique.
Les partisans de l’indépendance des banques centrales défendent l’idée que cette autonomie permet de lutter contre l’inflation et de garantir une stabilité des prix à long terme. Cependant, cette approche néglige souvent les effets dévastateurs des politiques d’austérité sur la croissance et le pouvoir d’achat des citoyens. En Tunisie, où le chômage reste élevé et où le pouvoir d’achat des ménages est continuellement érodé par une inflation galopante, l’orthodoxie monétaire n’a pas permis de rétablir une stabilité macroéconomique durable.
Une révision de la position de la BCT pourrait être envisagée, à l’instar des réflexions émergentes dans certains pays européens. Des économistes, à l’instar de Simon Thorpe, ont montré que le coût des intérêts payés par les États sur leur dette publique dépasse parfois les bénéfices attendus de la stabilité des prix. En Tunisie, où la dette publique est devenue un fardeau pour les finances publiques, le recours à une banque centrale plus proactive pourrait offrir une solution pour atténuer les contraintes budgétaires.
En définitive, l’indépendance de la Banque centrale de Tunisie, loin d’être un gage de stabilité, semble aujourd’hui être un obstacle à une relance économique durable. Le mythe de cette indépendance doit être réexaminé dans un contexte où la politique monétaire pourrait jouer un rôle plus actif dans le financement de l’économie nationale. Pour éviter que la Tunisie ne continue de s’enfoncer dans l’austérité et la récession, une réflexion profonde sur le rôle de la BCT dans la gestion des finances publiques est plus que jamais nécessaire.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)