Après avoir décapité le haut commandement politique et militaire du Hezbollah, tué son chef et détruit une partie de son arsenal militaire, Israël vise le Hezbollah au portefeuille. Et ce, en s’attaquant à l’institution financière Al-Qard al-Hassan afin d’affaiblir la milice chiite sur le plan économique et financier.
Dernière trouvaille de l’armée israélienne pour justifier aux yeux de l’opinion publique internationale les frappes dans la nuit du lundi 21 au mardi 22 octobre sur la banlieue sud de la capitale libanaise : le Hezbollah dissimule au moins « un demi-milliard de dollars » dans un bunker sous l’hôpital Al-Sahel, l’un des plus grands hôpitaux du Liban. Bilan : au moins quatre personnes, dont un enfant, ont été tuées et 24 autres blessées; et l’établissement sanitaire a subi des dégâts importants dus à l’explosion.
« Le fait que Tsahal a affirmé qu’un établissement sanitaire était utilisé comme bunker par le Hezbollah fait écho à des affirmations similaires à Gaza où l’armée israélienne avait déclaré que le Hamas menait des opérations militaires sous des bâtiments hospitaliers, note le quotidien britannique The Guardian.
Que cherche Israël au juste? Après des semaines de bombardements ayant décapité le haut commandement politique et militaire du Hezbollah, tué son chef et détruit une partie de son arsenal, Tsahal cherche désormais à l’affaiblir sur le plan économique et financier.
Ainsi, l’armée israélienne s’est attaquée dimanche 20 octobre à 30 cibles à travers l’ensemble du territoire libanais visant les succursales d’Al-Qard al-Hassan– une institution appliquant les principes de la finance islamique, c’est-à-dire octroyant des prêts sans taux d’intérêt- devenu au cours des vingt dernières années une véritable institution bancaire parallèle au Liban. Un coup dur pour l’organisation chiite confrontée à une crise de liquidités.
Un Etat dans l’Etat
Considérée comme la « banque du Hezbollah », l’institution Al Qard Al Hassan, fondée en 1983 en tant qu’association caritative, structurée comme une ONG et autofinancée principalement par la communauté chiite libanaise, n’a eu de cesse de se développer et de prendre de l’ampleur au fil des ans, jusqu’à devenir le bras financier du parti et l’un de ses principaux leviers sociaux l’ayant aidé à accroître son emprise mais aussi sa popularité au sein de la communauté chiite libanaise.
En effet, contrairement aux banques traditionnelles au Liban et appliquant les principes de la finance islamique qui proscrit les bénéfices, l’organisation Al Qard Al Hassan aurait accordé 300 000 microcrédits il y a trois ans d’en moyenne 2 500 dollars à des milliers de clients, en échange d’or.
« Nous octroyons des microcrédits sans taux d’intérêt, plafonnés à 5000 dollars, afin de répondre à des besoins divers comme un mariage, le financement des études universitaires ou d’un projet ou encore des besoins personnels », explique son directeur exécutif, Adel Mansour.
À l’origine, Al-Qard al-Hassan propose des crédits à taux zéro permettant de démarrer une petite activité économique, en finançant une formation ou en achetant une machine à coudre, par exemple. L’idée était de permettre à certaines familles d’avoir un deuxième revenu dans la maison. Mais au fil du temps, cette banque non commerciale aura pris une place prépondérante dans la vie économique libanaise, principalement dans la communauté chiite. En 2019, elle comptait 486 000 contributeurs et membres. De même qu’elle revendiquait deux millions de prêts accordés depuis 1983, pour un montant total de 4,3 milliards de dollars.
Banque refuge
Or, l’effondrement du système bancaire libanais lors de la crise financière d’octobre 2019 n’a fait que renforcer sa popularité. À l’époque, quatre millions de Libanais se voient refuser par leur banque, du jour au lendemain, l’accès à leurs économies.
En revanche, avec son système basé sur les dépôts d’or, l’organisation Al-Qard al-Hassan est devenue un refuge pour de nombreux Libanais en perte de pouvoir d’achat. « Quand vous allez déposer de l’or chez Al-Qard al-Hassan, vous pouvez disposer tout de suite de cash pour payer vos courses ou la scolarité des enfants. Nos déposants savent que leurs économies ne disparaîtront pas, comme ce fut le cas dans les banques libanaises. La valeur de nos dépôts a au moins doublé depuis 2019 », s’est félicité son dirigeant.
« Crime de guerre »
Rappelons enfin qu’Amnesty International a estimé hier mardi 22 octobre que les raids israéliens contre des filiales de la société de microcrédits al-Qard al-Hassan affiliée au Hezbollah devaient faire l’objet d’une enquête pour un possible « crime de guerre ».
« Même si, comme l’affirme l’armée israélienne, l’institution finance effectivement le Hezbollah, il est peu probable qu’elle réponde aux critères définissant un objectif militaire. En particulier pour les filiales qui servent des clients civils », a estimé Amnesty dans un communiqué.
« Cibler les branches d’al-Qard al-Hassan constitue probablement une violation au droit humanitaire international et doit faire l’objet d’une enquête, comme pour un crime de guerre ». Ainsi assure l’ONG basée à Londres en réclamant « une enquête internationale qui doit être ouverte de toute urgence ».