La Banque centrale de Tunisie (BCT) a publié un rapport de 26 pages, en octobre 2024, accompagné de jolis tableaux et de beaux graphiques, pour présenter une analyse « détaillée » des récentes évolutions économiques et monétaires, avec un accent « très particulier » sur les perspectives d’inflation.
Bien que le rapport souligne des améliorations, plusieurs points méritent une analyse critique.
- Premier point critique : le contexte international et l’impact sur la Tunisie
Le contexte international décrit dans la note montre une modération des prix des matières premières et une reprise économique mondiale progressive.
Commentaires : la Tunisie, une économie fortement dépendante des importations, continue de ressentir les effets de la volatilité des prix énergétiques et alimentaires.
Bien que les économies majeures ajustent leurs politiques monétaires pour contrer l’inflation, la Tunisie doit faire face à des défis structurels plus profonds, notamment son déficit commercial énergétique croissant et son exposition aux fluctuations des prix mondiaux.
La dépendance excessive aux importations énergétiques, comme en témoigne l’augmentation du déficit énergétique à 8,4 milliards de dinars, met en évidence la vulnérabilité du pays aux chocs externes. Ce qui limite les marges de manœuvre de la BCT.
- Deuxième point critique : la croissance économique et les secteurs en difficulté
La croissance du PIB de 1 % au deuxième trimestre 2024, bien qu’en amélioration par rapport au premier trimestre, reste fragile.
Commentaires : cette croissance repose principalement sur la demande intérieure, mais elle est en partie compensée par un recul des exportations de biens et services. La chute des exportations (-3,1 %) souligne la faiblesse des secteurs industriels et de la construction, qui n’ont pas encore retrouvé leur niveau d’avant la pandémie.
Cette sous-performance met en lumière l’absence d’une véritable stratégie de relance industrielle et de diversification économique. Ce qui est essentiel pour une croissance durable. Le manque d’investissements productifs dans des secteurs clés, notamment la construction (-20,8 % par rapport au niveau prépandémique), soulève des inquiétudes sur la capacité de la Tunisie à stimuler une croissance inclusive à long terme.
- Troisième point critique : le déficit commercial et la dépendance énergétique
Le rapport indique une réduction modeste du déficit commercial global, mais ce progrès est éclipsé par la hausse du déficit énergétique.
Commentaires : la Tunisie demeure fortement dépendante des importations énergétiques, un facteur qui continue de peser lourdement sur la balance commerciale. Alors que les recettes touristiques montrent des signes de redressement, dépassant les niveaux pré pandémiques, elles ne suffisent pas à compenser les pertes structurelles dans d’autres secteurs.
Cette situation renforce la nécessité de diversifier les sources de croissance et de réformer le secteur énergétique pour limiter l’impact des fluctuations internationales sur l’économie tunisienne.
- Quatrième point critique : la politique monétaire et la stabilisation de l’inflation
La BCT a maintenu son taux directeur à 8 % en septembre 2024 pour soutenir le processus de désinflation.
Commentaires : bien que l’inflation se soit stabilisée à 6,7 %, les pressions inflationnistes liées à l’alimentation demeurent une préoccupation majeure, surtout avec la hausse des prix des légumes frais et de la volaille. La politique de gel des prix administrés semble avoir contribué à cette stabilisation, mais cette mesure a des limites à long terme. En effet, un contrôle excessif des prix pourrait freiner l’ajustement des marchés et mener à des déséquilibres.
De plus, le rapport ne traite pas suffisamment des risques liés ni à une augmentation des coûts salariaux, ni aux désajustement des circuits de distribution qui pourraient alimenter l’inflation actuelle et dans les mois à venir.
- Cinquième point critique : les perspectives d’inflation et les risques futurs
Les prévisions optimistes de la BCT sur une baisse de l’inflation à 6,5 % d’ici fin 2024 et 5,1 % en 2025 reflètent une vision prudente.
Commentaires : la baisse anticipée repose sur des hypothèses très incertaines, notamment la stabilisation des prix internationaux et des conditions climatiques favorables. L’impact de l’augmentation des salaires, en particulier dans un contexte où la demande intérieure reste résiliente, pourrait maintenir une pression à la hausse sur les prix.
Les prévisions semblent également sous-estimer l’impact potentiel des facteurs externes imprévisibles, tels que les chocs climatiques qui affectent l’offre alimentaire, ou les tensions géopolitiques qui pourraient perturber les marchés énergétiques.
En définitive, la note de la BCT présente une vue optimiste, mais elle omet d’adresser en profondeur les défis structurels qui limitent la croissance économique de la Tunisie.
La dépendance continue aux importations énergétiques, la fragilité de l’industrie, et l’impact des chocs externes demeurent des risques significatifs.
Bien que la politique monétaire soit trop prudente, une approche plus proactive en matière de réformes structurelles, notamment dans les secteurs énergétique et industriel, est nécessaire pour renforcer la résilience de l’économie tunisienne face aux fluctuations internationales.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)