Le PLF 2025 en Tunisie marque un tournant important dans la politique fiscale du pays. Conçu dans un contexte de pression budgétaire croissante et d’exigences imposées par les institutions internationales, il met l’accent sur l’augmentation des recettes fiscales, le renforcement de la discipline budgétaire, ainsi que la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.
Toutefois, une lecture approfondie du PLF 2025 révèle des implications complexes, notamment sur le fardeau fiscal des ménages et des entreprises, dans un contexte économique où la reprise reste fragile.
Le débat n’est pas clos.
Aussi nous identifierons les cinq principaux niveaux d’implication du PLF 2025, les plus pertinents, dans le contexte de la Tunisie.
Implication 1. Augmentation des impôts directs : une pression accrue sur les ménages et les entreprises
L’une des mesures phares du PLF 2025 est l’augmentation des impôts directs, particulièrement l’impôt sur le revenu des personnes physiques et l’impôt sur les sociétés.
– Pour les ménages : La structure progressive de l’impôt sur le revenu est modifiée, augmentant les taux pour les tranches supérieures de revenus. Cette mesure, bien que présentée comme visant à renforcer l’équité fiscale, a des répercussions importantes sur les classes moyennes.
Ces ménages, déjà fortement sollicités par les politiques fiscales précédentes, subissent de plein fouet la stagnation des salaires dans un contexte d’inflation galopante. En l’absence d’ajustements suffisants pour compenser la hausse des prix, cette augmentation se traduit par une érosion du pouvoir d’achat, aggravant les inégalités sociales.
– Pour les entreprises : L’impôt sur les sociétés est également relevé, ce qui pourrait décourager l’investissement, en particulier dans les secteurs productifs. Les petites et moyennes entreprises (PME), moteur essentiel de l’économie tunisienne, se trouvent ainsi sous pression.
Dans un environnement marqué par une demande intérieure morose, cette augmentation fiscale pourrait freiner leur capacité à recruter, innover ou même survivre à long terme. Pour les grandes entreprises, qui disposent de plus de moyens pour optimiser leur charge fiscale, l’impact pourrait être moindre, mais le climat d’incertitude fiscale reste un frein à l’investissement étranger.
Implication 2. Renforcement des taxes indirectes : une mesure inflationniste et régressive
Le PLF 2025 mise également sur l’augmentation des taxes indirectes pour combler les déficits. La hausse de la TVA et des droits d’accise sur certains produits vise à accroître les recettes fiscales de manière rapide, mais elle soulève des problèmes structurels.
– La TVA : bien que la TVA soit un impôt facile à collecter, son caractère régressif pénalise les ménages les plus modestes, qui consacrent une part plus importante de leurs revenus à la consommation. L’augmentation de la TVA sur des produits essentiels, tels que les denrées alimentaires de base et l’énergie, exacerbera les tensions sociales et accentuera l’inflation, déjà élevée.
Les ménages à faibles revenus, qui ont peu de marge de manœuvre pour absorber ces hausses, verront leur situation économique se détériorer davantage.
– Les droits d’accise : L’augmentation des taxes sur les produits à forte consommation, comme les carburants et les cigarettes, est justifiée par des objectifs à la fois fiscaux et environnementaux. Toutefois, ces hausses se répercuteront rapidement sur le coût de la vie.
L’augmentation des prix du carburant affectera l’ensemble de la chaîne de production, notamment les coûts de transport, qui seront inévitablement transférés aux consommateurs finaux.
Implication 3. Mesures de lutte contre l’évasion fiscale : une ambition à concrétiser
Le PLF 2025 met un accent particulier sur le renforcement des mécanismes de contrôle fiscal, avec des mesures spécifiques visant à réduire l’évasion fiscale, particulièrement dans les secteurs informels et à haute intensité de main-d’œuvre.
– Renforcement des contrôles : L’introduction de nouvelles mesures de vérification fiscale, avec des sanctions plus lourdes en cas de non-conformité, vise à réduire le manque à gagner pour l’État. Cependant, cette démarche pourrait alourdir la charge administrative pour les entreprises déjà en difficulté, et accentuer la bureaucratie. Une exécution trop rigide pourrait aussi engendrer une méfiance accrue à l’égard de l’administration fiscale, risquant de décourager les investissements.
– Intégration de l’économie informelle : l’intégration progressive de l’économie informelle est une mesure ambitieuse, mais elle doit être soigneusement mise en œuvre pour ne pas dissuader les petits opérateurs de se formaliser. Les incitations fiscales et les allègements nécessaires pour encourager cette transition ne sont pas clairement définis dans le PLF, ce qui laisse planer des doutes sur son efficacité.
Implication 4. Réduction des incitations fiscales : un frein potentiel à la croissance
La réduction, voire la suppression, de certaines niches fiscales et autres incitations, particulièrement pour les secteurs non stratégiques, vise à rationaliser les dépenses fiscales de l’État. Cependant, cela pourrait s’avérer contre-productif pour certaines industries émergentes.
– Secteurs innovants et stratégiques : la Tunisie a tenté de stimuler l’innovation et l’entrepreneuriat à travers divers programmes incitatifs. En supprimant certains avantages fiscaux pour ces secteurs, le PLF 2025 risque de freiner le développement de nouvelles technologies et la diversification de l’économie. Cela pourrait limiter la création d’emplois qualifiés et ralentir l’amélioration de la compétitivité du pays sur la scène internationale.
Implication 5. Impacts globaux sur les contribuables : un équilibre difficile à trouver
Les réformes fiscales du PLF 2025 affecteront les différents segments de la société tunisienne de manière disproportionnée.
– Les ménages : la pression fiscale accrue sur les ménages de la classe moyenne, combinée à une inflation persistante, entraînera une diminution du pouvoir d’achat et une augmentation des tensions sociales. Cette situation pourrait être exacerbée par la perception d’une injustice fiscale si les grandes entreprises ou les segments à revenus élevés parviennent à contourner la nouvelle législation à travers des mécanismes d’optimisation fiscale.
– Les entreprises : pour les entreprises, l’alourdissement de la fiscalité, combiné à un environnement économique incertain, pourrait freiner l’innovation, la productivité et la création d’emplois. Les PME seront particulièrement vulnérables à cette augmentation des coûts, risquant de limiter leur croissance et leur résilience dans un marché déjà difficile.
En définitive : une réforme fiscale restrictive, à double tranchant
Les nouvelles mesures fiscales proposées dans le PLF 2025 cherchent à augmenter rapidement les recettes publiques et à réduire le déficit budgétaire.
Toutefois, ces réformes semblent privilégier des gains fiscaux à court terme au détriment d’une politique de croissance économique inclusive.
L’augmentation des impôts, notamment directs, et des taxes indirectes pourrait avoir des conséquences négatives à long terme, en comprimant la consommation domestique et en décourageant l’investissement des entreprises.
Pour une réforme fiscale réussie, il serait crucial de combiner ces mesures à des réformes structurelles visant à améliorer l’efficacité de la dépense publique, à encourager l’innovation et à garantir une plus grande équité fiscale.
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Note de l’auteur : la courbe de Laffer.
La célèbre maxime d’Ibn Khaldoun, « trop d’impôts tuent l’impôt, » renvoie à une vision économique précoce qui anticipe le concept moderne de la courbe de l’économiste américain Arthur Laffer (1970+), qui illustre la relation entre les taux d’imposition et les recettes fiscales. Selon cette théorie, au-delà d’un certain seuil, des taux d’imposition trop élevés découragent la production et l’investissement, réduisant ainsi la base taxable et, par conséquent, les recettes fiscales globales.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain