Nous revenons encore une fois sur le projet de loi visant à modifier les statuts de la Banque centrale de Tunisie (BCT). Parmi les points évoqués, nous trouvons la proposition de consacrer tout montant disponible en devises, au-delà d’une couverture de 90 jours d’importations, au paiement de la dette extérieure d’une manière automatique.
En croisant cet article avec le reste du projet, nous comprenons que la BCT ne peut recourir au refinancement des dettes extérieures qu’après l’obtention du feu vert de l’exécutif et mettre en péril les 90 jours d’importations. En pratique, cela pourra nuire au fonctionnement fluide de l’économie pour plusieurs raisons.
Les avoirs en devises n’appartiennent pas tous au Trésor
Ce qui est affiché quotidiennement sur le site de la BCT est le volume des devises disponibles dans l’ensemble du système financier tunisien, qui comprend les banques et le Trésor. Généralement, la part appartenant aux banques dépasse celle qui est sous la gestion directe de l’Etat. C’est pour cette raison que le ministère des Finances contracte des emprunts syndiqués en devises auprès des banques locales.
En février dernier, il a converti environ 3 000 MTND sur le marché de change pour rembourser un eurobond de 850 MEUR. En d’autres termes, si la BCT veut respecter la règle proposée des 90 jours, elle devra souvent intervenir sur le marché de change pour injecter des dinars et absorber la devise disponible, ce qui n’est pas pratique.
In fine, ce que la banque va transférer viendra de la part de l’Etat, pas celles des autres opérateurs financiers, affaiblissement ainsi sa position.
La gestion des dépôts des non-résidents
La part des dépôts des non-résidents était de l’ordre de 15 797 MTND fin mai 2024, un montant qui n’aurait pas été affiché si ces montants n’étaient pas rémunérés. En dépit de toutes les difficultés économiques, cet argent ne cesse d’augmenter car les déposants ont des liens étroits avec la Tunisie et sont en train de percevoir un excellent rendement.
Faire baisser le taux directeur, comme le veut implicitement le projet de la loi, risque de faire baisser ce rendement et toucher de la sorte cette rubrique clé des avoirs en devises.
Supposons qu’on se contente de 90 jours d’importations, et que 5% de ces dépôts quittent le pays en un laps de temps pour une raison ou une autre, nous risquerons de nous trouver sous le niveau de couverture ciblée, posant ainsi un défi majeur pour l’ensemble de l’économie.
La couverture de l’importation est une mesure relative
Le jour moyen d’importation varie d’une période à une autre. En 2024, l’importation quotidienne moyenne s’est établie à 221 MTND. A la même date en 2023, elle était de 209 MTND. Il ne s’agit donc pas d’une valeur stable. Ce qui ouvre la porte devant des pressions indirectes sur les importations afin de garder ces 90 jours. C’est un risque de blocage additionnel à l’économie et qui poussera les entreprises industrielles à réduire leurs volumes de production. C’est comme si nous allions être contraints à un arbitrage permanent entre laisser l’économie fonctionner et respecter la loi.
Un manque d’ambition
Si nous passons en revue les rapports des agences de notation, nous constatons que le pilier de la résilience de l’économie tunisienne est la bonne tenue de sa balance des paiements. Si nous mettons un cap de 90 jours, c’est que nous allons perdre notre dernier principal facteur de résilience. Comment voulez-vous qu’un investisseur étranger choisisse la Tunisie pour investir alors qu’il sait bien que la liberté de transfert des fonds pourrait être menacée par manque de devises? Nos amis marocains sont à 191 jours, ceux algériens couvrent plus d’une année d’importations grâce à la rente pétrolière. Nous allons perdre en attraction et en compétitivité, et nous allons détruire des postes d’emplois alors qu’il y a un nouvel objectif lié à cette question pour la BCT.
Nous réitérons donc notre opinion. Il faut, au moins, revoir certains articles de ce projet de loi. Tenter d’échapper à un problème de refinancement de la dette pourrait aboutir à des soucis plus graves, pouvant toucher le taux de change du dinar et l’inflation. Obtenir une nouvelle autorisation de l’ARP du montant dont nous aurons besoin demeure meilleure que ce projet.
A bon entendeur.