Les nouvelles prévisions de la Banque centrale de Tunisie (BCT), publiées dans sa Note de conjoncture d’octobre 2024, suggèrent un ralentissement progressif de l’inflation, bien qu’elle demeure à des niveaux élevés.
Cependant, ces projections, révisées à peine depuis celles de juin 2024, suscitent des interrogations sur la faisabilité de cette baisse dans un contexte économique complexe.
Les hypothèses optimistes de la BCT semblent fragiles face aux pressions internes et aux aléas internationaux, rendant la trajectoire désinflationniste incertaine sur un certain nombre de points.
Le premier point : une désinflation fragile face à des facteurs structurels
La BCT prévoit une baisse modérée de l’inflation à 6,5 % pour fin 2024, puis à 5,1% en 2025. Selon elle, cette tendance serait soutenue par la baisse des prix internationaux des matières premières et le gel des prix administrés, éléments dominants du panier de consommation.
Néanmoins, cette stratégie reste vulnérable, car elle repose en grande partie sur des politiques de contrôle des prix et sur des hypothèses de stabilité des marchés internationaux.
La BCT mentionne également un certain ralentissement de l’inflation des produits administrés, qui passerait de 5,9 % en 2023 à 3,8 % en 2024 et 2,7 % en 2025. Cette tendance serait attribuable à la politique actuelle de gel des prix.
Cependant, cette mesure, en apparence rassurante, cache une dépendance de plus en plus risquée de l’économie tunisienne aux contrôles administratifs. En cas de changements soudains dans les prix mondiaux des produits de base, ce dispositif pourrait montrer ses limites et aggraver la situation en fragilisant les acteurs économiques.
Le deuxième point : des pressions inflationnistes sous-estimées
Bien que les prévisions de la BCT envisagent une baisse de l’inflation, les analystes de l’institution nuancent cette perspective en signalant des pressions persistantes. En effet, les hausses des coûts salariaux, l’augmentation anticipée des prix de plusieurs produits de base et les conditions hydriques dégradées exercent des pressions notables. Ces facteurs mettent en péril les prévisions de la BCT, car ils impliquent une probable résurgence de l’inflation à court et moyen terme.
Les produits alimentaires frais, notamment, représentent un défi majeur. Bien que la BCT anticipe une modération progressive de l’inflation pour ces produits, elle reconnaît que les prix des aliments frais devraient rester élevés en raison des conditions climatiques défavorables. Cette perspective s’oppose à l’idée d’une stabilisation durable de l’inflation. En moyenne, l’inflation des produits frais devrait passer de 16,2 % en 2023 à 11 % en 2024, puis à 8 % en 2025.
Ces niveaux restent historiquement élevés et contrastent avec une inflation annuelle moyenne de 5 %, soulignant un risque permanent pour le pouvoir d’achat des ménages tunisiens.
Le troisième point : les défis géopolitiques et climatiques, des aléas non négligeables
Les analystes de la BCT, plus prudents dans leur analyse, admettent que les prévisions reposent sur un ensemble de conditions susceptibles de varier, parmi lesquelles l’évolution des prix internationaux, la politique salariale et la stratégie budgétaire. À cela s’ajoute le stress hydrique grandissant en Tunisie, qui limite la production agricole et pèse sur les prix alimentaires.
Les tensions géopolitiques actuelles, notamment en Europe de l’Est et au Moyen-Orient, peuvent également perturber les prix des matières premières et créer de nouvelles pressions inflationnistes en Tunisie.
La persistance de chocs climatiques à l’échelle mondiale et locale menace la production, notamment dans le secteur agricole, exposant davantage l’économie tunisienne aux fluctuations des prix mondiaux. Les retards dans la mise en œuvre des réformes structurelles des entreprises publiques compliquent encore la situation, réduisant la capacité du pays à stabiliser son offre et à contenir l’inflation.
Le quatrième point : l’incertitude des circuits de distribution et le risque de dérive inflationniste
Les défaillances des circuits de distribution tunisiens exacerbent également les tensions inflationnistes. Les pénuries, la spéculation et les comportements de marge excessive sont monnaie courante, ajoutant un niveau d’incertitude aux prévisions. Ces pratiques créent des déséquilibres d’offre, alimentant l’inflation même dans un contexte de gel des prix administrés.
À cela s’ajoutent les pressions sur la balance courante, aggravées par un déficit commercial croissant. Une dégradation de la balance commerciale expose la Tunisie aux fluctuations des prix importés, qui se répercutent ensuite sur les prix locaux et sur le pouvoir d’achat des citoyens.
Ces éléments, souvent sous-estimés, rendent la perspective d’une stabilisation de l’inflation peu crédible sans réformes profondes du système de distribution et des politiques commerciales.
En définitive, une stabilisation incertaine et des perspectives très mitigées
Malgré les annonces de la BCT, la possibilité d’une stabilisation durable de l’inflation reste incertaine.
Les prévisions reposent sur des hypothèses optimistes et des dispositifs temporaires, tels que le gel des prix administrés, mais les risques externes et internes demeurent importants.
Les aléas géopolitiques, climatiques et structurels, ainsi que les faiblesses des circuits de distribution, fragilisent les perspectives économiques et rendent difficile la maîtrise de l’inflation.
Face à ces incertitudes, il est déterminant pour la Tunisie d’envisager des réformes structurelles qui réduisent la dépendance aux contrôles administratifs et favorisent une gestion proactive des pressions inflationnistes.
En l’absence de telles mesures, l’objectif d’une baisse de l’inflation pourrait bien s’avérer illusoire.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)