L’argent, c’est, dit-on, le nerf de la guerre. En clair, si l’économie nationale ne s’est pas effondrée, en dépit d’une lente et inexorable chute, elle le doit à la résilience de son système financier. Si le pays n’a pas sombré dans les profondeurs des classements mondiaux tout au long d’une décennie de tous les dangers, c’est, pour l’essentiel, en raison de la pertinence de l’architecture et de la solidité de l’attelage financier.
L’économie n’a pas pleinement décroché face à de redoutables concurrents même si, hélas, elle continue, dans bien des secteurs, à battre en retraite, victime qu’elle est d’une récession dont elle ne parvient pas à se défaire sans que notre système de financement soit mis en cause. Bien au contraire. Celui-ci a pu tenir la route même par mauvais temps et par grosses turbulences, soumis à d’indéniables règles prudentielles et maintenu sous haute surveillance par les institutions en charge de la supervision et de la régulation. L’édifice ne s’est pas lézardé, il n’a pas vacillé sur sa base. Il s’est même renforcé au plus fort de la crise. Pour autant, les années post-révolution n’ont pas été une sinécure pour les banques, les compagnies d’assurance, les sociétés de leasing, de microcrédit, la Bourse des valeurs mobilières, les fonds d’investissement, les gestionnaires d’actifs et les intermédiaires financiers en tout genre. Curieusement et paradoxalement, face à l’adversité, à la déchéance d’un grand nombre d’entreprises et à la dégradation de l’économie, les institutions financières ont su et pu trouver les ressorts nécessaires pour s’inventer un nouvel avenir. La nécessité, il est vrai, rend ingénieux. La démonstration est faite que c’est dans les moments graves, difficiles, face à la montée des périls, qu’on prend conscience de la nécessité de se remettre en question, de se réformer, fût-ce dans la douleur. Ces moments de bascule ne laissent d’autre choix, au risque de péricliter, que de placer l’innovation et la capacité d’adaptation au cœur de l’action. Cela vaut pour les institutions financières, pour les entreprises et sans doute aussi pour l’Administration.
Notre galaxie financière semblait inscrite dans cette trajectoire, elle n’a pas dérogé à ce principe de réalité. Elle est sortie par le haut, au terme de plus d’une décennie de rudes épreuves post-révolution. Elle a poursuivi, non sans difficulté, mais non sans succès aussi, sa mue et sa nécessaire transformation pour s’élever au niveau des standards mondiaux. Les banques de la place, les compagnies d’assurance, les sociétés de leasing, quoique toutes à des degrés divers et bien que malmenées en un temps par la crise sanitaire de Covid, affichent des résultats à faire pâlir d’envie entreprises et particuliers, aux prises avec des difficultés à n’en pas finir. Leur bilan fait apparaître une insolente santé qui tranche avec la morosité ambiante au point que leur image est loin d’être au beau fixe auprès du public. Elles sont perçues comme peu accommodantes, plutôt voraces, soucieuses de leur seule profitabilité, pratiquant un jeu à somme nulle. Comme si elles faisaient perdre à leur clientèle ce qu’elles gagnaient elles-mêmes.
La vérité est que les banques, les sociétés de leasing, les fonds d’investissement et les compagnies d’assurance ont moins de marge de manœuvre qu’on ne l’imagine. Ils évoluent sur une ligne de crête entre le souci de rentabilité et celui de quête de valeurs et de principes moraux.
Image contrastée, à front renversé !… La vérité est que les banques, les sociétés de leasing, les fonds d’investissement et les compagnies d’assurance ont moins de marge de manœuvre qu’on ne l’imagine. Ils évoluent sur une ligne de crête entre le souci de rentabilité et celui de quête de valeurs et de principes moraux. Il n’empêche ! Le contraste est énorme entre les bilans flamboyants des institutions financières et les résultats mitigés des entreprises, quand ils n’inspirent pas, pour un grand nombre d’entre elles, de réelles inquiétudes. L’ennui, chez nous, surtout dans le climat qui est le nôtre, est que le succès a un prix, en plus qu’il a plusieurs pères. Les gains financiers qui en découlent, perçus comme des surprofits, doivent payer un lourd tribut, à la grande satisfaction du public et de l’Administration, empêtrée dans d’inextricables difficultés financières. Celle-ci va chercher, le plus légalement, l’argent là où il se trouve et là où il est le plus visible et le plus transparent. Les banques, les sociétés d’assurance et de leasing sont à cet égard les véritables variables d’ajustement fiscal. L’Etat emprunte à tout va aux banques, à des taux quasi usuriers, pour boucler son budget. Et il récupère en retour une partie sinon la totalité en les ponctionnant de manière quasi confiscatoire pour améliorer ses recettes fiscales, à l’effet de réduire son déficit budgétaire.
Le système financier, dans ce qu’il a de plus performant, est aujourd’hui l’objet d’une avalanche de mesures contraignantes. Les banques sont en première ligne, elles sont les plus concernées : dépénalisation des chèques sans provision, quota de crédit sans garantie ni intérêts à concurrence de 8% de leur profit, réduction sous certaines conditions des taux d’intérêt sur les crédits à long terme. Sans compter toute une batterie de taxes exceptionnelles mais qui durent, qui vient s’ajouter à un taux d’imposition qui équivaut à plus du double de celui encouru par les entreprises.
Pour l’heure, en tout cas, les banques – et pas qu’elles seules – sont plus motivées pour financer le train de vie de l’Etat que pour assumer le risque de financer des entreprises aux résultats sinon problématiques, du moins aléatoires.
Difficile de prédire l’avenir et moins encore d’évaluer maintenant l’impact de ces mesures sur leur capacité de financer l’économie. Pour l’heure, en tout cas, les banques – et pas qu’elles seules – sont plus motivées pour financer le train de vie de l’Etat que pour assumer le risque de financer des entreprises aux résultats sinon problématiques, du moins aléatoires. Elles ne paraissent pas, au vu de leur engagement, trop se soucier d’un effet d’éviction qui ajoute aux difficultés des entreprises. Le risque est que, en consacrant l’essentiel de leurs ressources aux besoins de financement des dépenses courantes de l’Etat, elles se mettent en congé et bien loin des bouleversements technologiques et des innovations financières qui agitent la planète finance. D’être à ce niveau d’engagement au service de l’Etat et d’en dépendre à ce point, cela les expose au risque de sclérose, ralentit leur processus de transformation, détériore à terme leur compétitivité et leur capacité d’innovation, et sans doute aussi d’internationalisation.
Moralité : tout ce qui ralentit ou bloque la marche vers la finance de demain doit être proscrit. La survie de notre système financier, dans un monde sans frontières, hyper connecté, ouvert à toutes les avancées technologiques, en dépend, tout comme celle de nos entreprises et de notre économie. La raison est qu’il ne peut y avoir d’économie saine, prospère, en croissance rapide et durable, sans un secteur financier sain et performant. Et pleinement projeté vers le futur.
Cet édito est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin, spécial Finance octobre 2024 n 905