Il faut savoir raison garder. Il y a des principes de réalité qu’il faut se garder de transgresser, quels que soient les mobiles et les motivations. Moralité : la Banque centrale doit rester au-dessus de la mêlée partisane ou à connotation politique. Son statut relève de l’essence même de fonctions qu’elle doit assumer sans partage, mais non sans concertation, comme il est d’usage dans les grandes démocraties. D’un mot : sa notoriété se confond avec celle du pays. Sa crédibilité a valeur de label aux yeux de la communauté financière internationale et au-delà, dans le concert des nations.
L’indépendance de la Banque centrale est le soubassement et le socle même de la souveraineté nationale. Elle est le garant de notre monnaie et notre porte-drapeau. Il n’y a rien de plus significatif pour nous que la valeur du dinar et le prestige de notre drapeau, véritables emblèmes nationaux qui nous valent respect et considération dans le monde. La BCT n’est pas exempte de critique – et ne doit pas l’être – dans la définition et la mise en application de sa politique monétaire, tantôt accommodante et expansive et des fois – comme c’est le cas – restrictive, voire contracyclique. Elle n’est pas à l’abri des reproches. Nos économistes ne s’en privent pas. Et c’est tant mieux, car c’est le signe d’une vitalité et d’une respiration démocratiques. Mais il serait faux de croire qu’elle n’a pas pour objectif ultime la croissance et l’intérêt suprême de la nation qu’elle défend en toute circonstance et en tout lieu. Elle a, certes, vocation à lutter contre l’inflation en dégainant son taux directeur, l’arme de dissuasion massive, au risque de pénaliser la consommation, l’investissement et la croissance qui, de toute manière, seraient compromis si les prix venaient à exploser. Sa hantise de l’inflation et de son funeste cortège de dévaluations compétitives, fort néfastes pour l’économie et la société, ne la met pas au travers de la politique économique du gouvernement qui dispose du levier budgétaire et fiscal pour relancer l’économie et sécuriser la cohésion sociale tout en veillant, autant que faire se peut, au respect des équilibres macro-économiques.
Bien au contraire, elle lui vient en appui et lui procure assurance, garantie et une réelle crédibilité. Dans une conjoncture mondiale qui fait craindre le pire et confronté qu’il est à d’innombrables contraintes financières tout en faisant face à la tyrannie de l’urgence, le gouvernement, dans le feu de l’action, ne résiste pas à la tentation de la fuite en avant, certains diront de la facilité.
De tout temps – et cela s’est illustré récemment encore -, le gouvernement et la BCT sont côte à côte et non face-à-face. Quand bien même cette dernière resterait attachée à son indépendance, du reste toujours mise à mal dans les faits, elle ne va pas à l’encontre des décisions du gouvernement. Bien au contraire, elle lui vient en appui et lui procure assurance, garantie et une réelle crédibilité. Dans une conjoncture mondiale qui fait craindre le pire et confronté qu’il est à d’innombrables contraintes financières tout en faisant face à la tyrannie de l’urgence, le gouvernement, dans le feu de l’action, ne résiste pas à la tentation de la fuite en avant, certains diront de la facilité. L’institut d’émission, dans son rôle de gardien du temple, se doit de prévenir les dérapages monétaires qui pourraient au final devenir incontrôlables. Il y a besoin, il y a nécessité d’établir des garde-fous, des mécanismes de rappel, de fixer en quelque sorte les limites qu’il serait dangereux de franchir.
De tout temps – et c’est l’honneur de ce pays -, la BCT a su, chaque fois qu’il y avait péril en la demeure, user davantage de son influence que d’instruments radicaux pour ramener le balancier à l’équilibre. Il en fut ainsi en 1970 sous la conduite de son fondateur Hédi Nouira avant qu’il ne préside, la même année, le gouvernement dix ans durant, libérant du coup les investissements et la croissance. La BCT était de nouveau à la manœuvre en 1986 quand sonna l’heure de l’inévitable programme d’ajustement structurel (PAS) et tout au long du règne de feu Béji Hamda qui a promu l’économie tout en la protégeant des affres de l’inflation et des dépréciations monétaires.
On comprend mal aujourd’hui l’agitation qui surgit autour du statut de la BCT, si ce n’est pour le mettre en conformité avec la nouvelle Constitution. On s’étonne du zèle de députés déterminés à le réformer pour à la fois, curieusement, élargir le spectre de ses prérogatives tout en limitant son pouvoir de décision pour en faire une sorte d’officine gouvernementale la veille de la présentation du budget de l’Etat et de la loi de finances. Sachant qu’elle est beaucoup plus utile dans son rôle de partenaire, certes peu complaisant, mais suffisamment compréhensif pour prêter main-forte au gouvernement en cas d’urgence. A cette condition près qu’il soit mis fin au laxisme budgétaire et aux dépenses courantes inconsidérées de l’Etat, sans rapport avec les investissements d’avenir.
La BCT ne sortira pas renforcée du choc provoqué par l’assaut, la charge, sabres en l’air, d’élus de la nation au nom du droit d’ingérence du législatif et de l’exécutif… qui, de toute évidence, doivent être écoutés et entendus.
Les députés les plus engagés sont dans leur rôle en faisant feu de tout bois sur l’indépendance, du reste très relative, de la BCT. Il n’est pas dit que leur intention et leur détermination relèvent d’un quelconque calcul ou d’arrière- pensées politiques. Mais la partition qu’ils s’apprêtent à jouer n’est pas exempte de fausses notes, qui ne seront pas sans conséquence sur la stabilité des prix, la croissance et sur la monnaie nationale. La BCT ne sortira pas renforcée du choc provoqué par l’assaut, la charge, sabres en l’air, d’élus de la nation au nom du droit d’ingérence du législatif et de l’exécutif… qui, de toute évidence, doivent être écoutés et entendus. Il est encore tôt pour en mesurer les dommages collatéraux en termes d’image et de perception par les agences de notation et les bailleurs de fonds étrangers. On comprend l’impatience des députés face au pouvoir exorbitant de la BCT, mais il faut se garder de jeter le bébé avec l’eau du bain. L’émotion du moment ne doit pas l’emporter sur la raison, quelles que soient les difficultés. Le bien n’est pas toujours l’ennemi du mal. On ne profane pas le sacré sans déclencher une réaction en chaîne dont on mesure mal les effets. La situation est déjà si critique pour ne pas ajouter de la crise à la crise.
Cet édito est disponible dans le mag de l’Economiste maghrébin spécial Finance du mois d’octobre 2024