Il aura fallu attendre le mois de septembre 2024 pour enfin voir la Réserve fédérale américaine (FED) baisser son taux directeur. Il y a un an, dans le précédent numéro Spécial Finance de l’Economiste Maghrébin, on avait annoncé un moment d’inflexion dans la lutte contre l’inflation, qui indiquait la pause, voire l’arrêt du cycle haussier des taux d’intérêt.
Dans la plupart des pays du G7, ce moment d’inflexion est signalé par une accalmie de la hausse des prix et une modération du marché du travail. Cependant, l’économie américaine, contrairement à une bonne partie des pays du G7, a affiché, tout au long des douze mois passés, une insolente vigueur économique, marquée par un taux de croissance avoisinant les 3% (contre, à titre de comparaison, moins de 2% pour l’ensemble des pays du G7 et une Allemagne en quasi-récession).
La Banque centrale européenne, victime de divergences entre le noyau et la périphérie et coupable d’attentisme, tarde à passer à l’acte et le fait finalement à trois reprises à coup de 0.25%, tout en manquant d’anticipation et surtout d’impact.
Une telle vigueur économique donne même à croire à un scénario américain de « No Landing », où une récession serait évitée et où seuls des ajustements tactiques seraient nécessaires pour maintenir une hausse des prix autour de 2%. Pour toutes ces raisons, la FED a pris son temps. Elle est finalement intervenue en dernier, au mois de septembre, pour baisser son taux directeur de 0,5%. Une action venue à temps et jugée plutôt adéquate, vu la résilience des acteurs économiques face à un coût de l’argent plus élevé. Les indicateurs de production, l’investissement, la création d’emploi et l’octroi de crédit restent bien dans le vert. En Europe, la configuration est tout autre, avec un taux de croissance quasi nul (moins de 0.5%), des prix certes en baisse, mais surtout des facteurs de production (PMI) en berne. L’Allemagne, historiquement un des moteurs industriels de la croissance européenne, peine à retrouver le niveau de son activité économique d’avant-pandémie.
La Banque centrale européenne, victime de divergences entre le noyau et la périphérie et coupable d’attentisme, tarde à passer à l’acte et le fait finalement à trois reprises à coup de 0.25%, tout en manquant d’anticipation et surtout d’impact. Ailleurs, au Japon, le cycle inflationniste est beaucoup moins intense et n’a pas enclenché de réponse monétaire significative, alors qu’en Chine, face à un ralentissement économique et une crise immobilière endémique, les autorités reprennent des politiques monétaires et fiscales largement accommodantes.
Les pays qui émergent ou la frontière
Les forces sous-jacentes qui créent ces divergences ne sont cependant pas que monétaires. Si les Etats-Unis tirent leur épingle du jeu dans la nouvelle ère des taux d’intérêt normalisés, c’est grâce à une économie plus résiliente, une vélocité de capital plus élevée et une attractivité plus importante à la faveur des nouveaux relais de croissance que sont l’intelligence artificielle et l’économie numérique. L’orientation protectionniste de l’Administration a aussi aidé à relever la production et a permis de dynamiser le marché de l’emploi dans un contexte inflationniste.
L’Europe, par contre, perd sa prédominance, voire sa pertinence industrielle face aux géants asiatiques et à une Amérique d’autant plus protectionniste. L’absence de marché commun financier, l’excès de régulation et de bureaucratie et l’absence de politique fiscale commune (le dernier rapport de Mario Draghi est venu souligner ces manquements) sont autant de facteurs qui limitent la capacité du Vieux Continent de générer des relais de croissance !
Si les Etats-Unis restent le plus gros emprunteur du monde, ils ont aussi cette capacité exceptionnelle à pouvoir attirer l’investissement étranger tout en gardant un dollar fort et un ratio de dette sur PIB des plus élevés.
Si les Etats-Unis restent le plus gros emprunteur du monde, ils ont aussi cette capacité exceptionnelle à pouvoir attirer l’investissement étranger tout en gardant un dollar fort et un ratio de dette sur PIB des plus élevés. Grâce à cette vigueur économique, aux nouveaux relais de croissance et à une réponse industrielle protectionniste à la menace externe, essentiellement chinoise, cette tendance ne fera que se confirmer et l’économie américaine sera une des rares à offrir des rendements élevés.
De l’autre côté de l’océan Atlantique, les rendements continueront de baisser et les gouvernements vont devoir recourir à la pression fiscale pour rétablir les comptes, comme on vient de le voir avec le dernier projet de budget français. Cette même pression fiscale va être un frein à la relance économique et à l’attractivité des pays européens comme des destinations pour le capital et le talent.
Un dollar fort sera de rigueur et la ruée vers l’or dans l’intelligence artificielle et la décarbonisation de l’économie poussera le cours de certaines ressources et minerais.
Qu’en est-il des pays qui émergent et qui se développent ? La richesse en ressources naturelles restera un facteur important, mais pas primordial. Un dollar fort sera de rigueur et la ruée vers l’or dans l’intelligence artificielle et la décarbonisation de l’économie poussera le cours de certaines ressources et minerais. L’essentiel se jouera dans leur capacité à attirer les capitaux et augmenter leur productivité. Sur ces deux points, les derniers lauréats du prix Nobel d’économie l’ont bien souligné : des institutions fortes et une bonne gouvernance sont nécessaires. L’un des lauréats, Daron Acemoglu, américano-turc, se distingua même par une thèse qui rappelle celle de notre directeur de publication présentée à la Sorbonne il y a plus de cinquante ans. La différence se fera dans les choix à prendre quand il s’agira d’orientations technologiques.
Cet édito est disponible dans le mag n 905 de l’Economiste Maghrébin, spécial Finance octobre 2024