On a demandé un jour à Raymond Devos de faire un discours. Il n’avait rien à dire, mais il refusa de se taire. « Eh bien non, moi, quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache ». Ceux qui connaissent le sketch se souviennent du dis- cours enflammé qu’il a tenu ensuite. On riait bien, sauf que c’était de l’humour. En politique, c’est autre chose. Les discours enflammés, lorsqu’on n’a rien à dire, peuvent à l’extrême limite être compris comme une thérapie de dernière chance, mais cela ne crée en aucun cas les conditions de développement que tout le monde espère.
Mais bon, puisqu’il n’y a rien à dire, ni à redire sur la question, parlons d’autre chose. Parlons de la Banque mondiale qui, dans son dernier rapport semestriel sur la situation économique dans la région MENA, a révisé à la baisse les prévisions de croissance pour la Tunisie, la ramenant à 1,2% contre les 2,4% annoncés en avril 2024. Il parait que les chiffres sont faux et qu’il faudra, désormais, réviser la méthode de calcul. Il n’empêche qu’en termes de croissance, rien ne va plus. Certains iront jusqu’à dire qu’on est en récession et affirment qu’on n’aura, d’ici peu, plus rien à se mettre sous la dent. Ce n’est rien de le dire, surtout avec les pénuries devenues chroniques.
D’ailleurs, souvenons-nous, il y a quelques mois, on disait déjà que la situation n’était pas fameuse. Nos responsables étaient conscients de la chose et ils nous rassuraient en disant que demain sera un jour meilleur. Or, que voyons-nous aujourd’hui ? Que c’est toujours pour demain ! Ce n’est pas que les responsables d’hier étaient plus conscients de la situation que ne le sont ceux d’aujourd’hui. D’ailleurs, ce sont les mêmes.
Les mêmes qui ont fait la loi de finances 2024 et qui sont en train de faire celle de 2025. C’est pour dire qu’il n’y a rien de nouveau, c’est du plagiat. Après tout, pour- quoi aller chercher de nouveaux moyens d’augmenter les ressources de l’État quand on peut encore saigner celles qui sont sous la main ? Mais bon, il ne faut quand même pas exagérer. Du nouveau, il y en a avec cette insistance sur l’Etat social, un concept qui est en train d’opérer un retour en force et qui s’est traduit par une réduction d’impôts pour la population à faible revenu. Rien à dire, ce n’est que justice rendue pour cette catégorie de population.
Rien à dire, sauf que certaines langues serpentines trouvent à redire. Elles disent que la hausse des impôts et des taxes qui ont frappé des secteurs économiques sensibles comme les grandes surfaces, les télécommunications, les banques, les assurances et autres, toucheront au final le consommateur, surtout celui à faible revenu. C’est comme qui dirait que l’État prendra avec la main gauche ce qu’il a donné avec la main droite. Pire encore, ces langues serpentines, n’ayant plus rien à dire, prétendent que l’augmentation des impôts augmentera automatiquement l’inflation, ce qui mènera à une baisse de la consommation, donc de la production, et au final à une baisse de la croissance. Des reptiles venimeux et des vipères que le peuple, dans sa guerre de libération, chassera.
On aurait pu penser, alors qu’on entame la construction et l’édification du pays, qu’elles choisiront un discours raisonnable pour dire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Cela coûte trois fois rien, ça ne mange pas de pain et ça évite de passer par l’implacable décret 54. Rien à dire, elles n’ont encore rien compris.
Ce mot de la fin est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin spécial Finance n 905