Au début de ce second quinquennat, l’économie tunisienne se trouve confrontée à plusieurs défis majeurs qui menacent sa stabilité et son développement à court et moyen termes. Ces défis touchent à la fois des aspects structurels, macroéconomiques et sociaux, créant un contexte difficile pour la croissance économique et la cohésion sociale. Cette analyse vise à examiner ces enjeux de manière approfondie et à esquisser les perspectives envisageables pour les mois et les années à venir.
Le chômage structurel en Tunisie, et en particulier chez les jeunes diplômés, constitue un problème économique et social majeur qui alimente une dynamique de migration qualifiée. Cette situation a des répercussions importantes à court et moyen termes, menaçant la compétitivité de l’économie et sapant les perspectives de développement durable du pays.
- Chômage des jeunes et en particulier des diplômés, un problème chronique
Le taux de chômage en Tunisie, qui avoisine 16 % en 2024, est l’un des indicateurs les plus alarmants de l’économie nationale. Toutefois, ce chiffre global masque une réalité encore plus inquiétante : le chômage des jeunes, en particulier des diplômés, atteint près de 30 %, reflétant une inadéquation profonde entre le marché du travail et le système éducatif. Les jeunes diplômés peinent à trouver un emploi dans un marché déjà saturé et caractérisé par un faible dynamisme du secteur privé, ainsi que par une faible capacité d’absorption des secteurs publics et parapublics, traditionnellement pourvoyeurs d’emplois.
La rigidité du marché du travail, associée à une offre limitée d’opportunités dans les secteurs porteurs d’innovation, exacerbe ce chômage des jeunes diplômés. La surqualification pour des postes disponibles pousse de nombreux jeunes à chercher des opportunités à l’étranger, dans un contexte où l’économie tunisienne peine à créer suffisamment d’emplois pour répondre à la demande croissante.
- Fuite des cerveaux et ses conséquences
Face à l’absence de perspectives locales, une part importante de la jeunesse tunisienne, en particulier les diplômés, choisit l’émigration, principalement vers l’Europe et les pays du Golfe. Cette fuite des cerveaux affecte particulièrement les secteurs à forte valeur ajoutée, telles que les technologies de l’information, les sciences, la médecine et l’ingénierie. Les professionnels formés localement, souvent aux frais de l’État, sont rapidement attirés par des offres d’emploi plus lucratives et des conditions de travail plus stables à l’étranger.
À court terme, cette émigration massive prive l’économie tunisienne de talents qualifiés indispensables pour soutenir les efforts de modernisation et d’innovation. La perte de compétences dans des secteurs clés compromet la compétitivité du pays dans les domaines technologiques et industriels et limite sa capacité à attirer des investissements étrangers, qui sont souvent liés à la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée.
De plus, la migration qualifiée aggrave les pénuries dans certains secteurs critiques tels que la santé, où le départ des médecins et des infirmiers vers des marchés plus rémunérateurs exacerbe les défis déjà présents pour les systèmes de soins de santé tunisiens, notamment dans les zones rurales sous desservies.
- Aggravation de la crise du marché du travail, à court terme
À court terme, la combinaison d’un taux de chômage élevé et de migration des talents va intensifier la crise sur le marché du travail en Tunisie. Les secteurs à forte valeur ajoutée, qui dépendent d’une main-d’œuvre qualifiée, vont continuer à stagner, faute de personnel compétent pour répondre aux exigences de l’économie numérique et de l’industrie moderne.
Cela risque d’entraîner une augmentation de la précarité de l’emploi, en particulier pour les jeunes sans qualifications spécifiques, exacerbant les tensions sociales et les frustrations liées au manque d’opportunités économiques.
Parallèlement, les perspectives d’amélioration du marché du travail à court terme restent limitées, à moins de réformes significatives pour réorienter l’économie vers des secteurs plus productifs.
- Frein à l’innovation et à la modernisation, à moyen terme
À moyen terme, l’impact de la fuite des cerveaux va entraver gravement le potentiel d’innovation de la Tunisie. L’absence d’une main-d’œuvre qualifiée capable d’adopter et d’intégrer des technologies avancées dans les processus de production va limiter la compétitivité globale du pays. La Tunisie, qui aspire à devenir un acteur régional dans des secteurs tels que les technologies de l’information, les énergies renouvelables et l’industrie manufacturière, verra ses ambitions contrecarrées si elle ne peut pas retenir ses talents.
Cette situation pourrait aussi compromettre la transition numérique et la modernisation de l’économie tunisienne. Les entreprises, locales comme internationales, pourraient hésiter à investir dans un pays où la disponibilité de compétences techniques reste incertaine. Cela freinerait l’émergence de nouvelles industries capables de créer des emplois qualifiés et de stimuler la croissance à long terme.
- Réformes du marché du travail et valorisation des talents, des solutions potentielles
Pour faire face à cette crise, des réformes structurelles du marché du travail sont nécessaires. L’une des priorités devrait être de réduire l’écart entre les compétences des jeunes diplômés et les besoins des entreprises. Cela pourrait passer par une meilleure coordination entre les institutions d’enseignement supérieur et le secteur privé, en favorisant des programmes de formation en alternance ou en stage, qui permettent aux étudiants d’acquérir une expérience pratique.
Par ailleurs, il est essentiel de créer des incitations pour retenir les talents en Tunisie. Des politiques visant à soutenir l’entrepreneuriat et à encourager la création de start-up dans des secteurs à forte croissance pourraient aider à maintenir les jeunes diplômés dans le pays. Le développement d’écosystèmes d’innovation et l’amélioration de l’accès au financement pour les petites et moyennes entreprises (PME) peuvent également stimuler la création d’emplois qualifiés.
Enfin, la diaspora tunisienne peut être un atout si elle est bien mobilisée. Encourager les transferts de compétences et les collaborations entre les talents tunisiens à l’étranger et le tissu économique local pourrait atténuer les effets négatifs de la fuite des cerveaux. Des initiatives de retour temporaire ou de mentorat pourraient favoriser le partage des connaissances et contribuer à la modernisation des secteurs clés.
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* Dr. Tahar EL Almi,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)