Au début de ce second quinquennat, l’économie tunisienne se trouve confrontée à plusieurs défis majeurs qui menacent sa stabilité et son développement à court et moyen termes.
Ces défis touchent à la fois des aspects structurels, macroéconomiques et sociaux, créant un contexte difficile pour la croissance économique et la cohésion sociale.
Cette analyse vise à examiner ces enjeux de manière approfondie et à esquisser les perspectives envisageables pour les mois et les années à venir.
L’instabilité politique et sociale en Tunisie constitue l’un des plus grands obstacles à son développement économique et à sa cohésion sociale. Depuis le 14 janvier 2011, la Tunisie a traversé plusieurs phases de transition démocratique, mais sans parvenir à une stabilité politique durable. Ce climat d’incertitude a des répercussions directes sur les dynamiques économiques, affectant à la fois la confiance des investisseurs et la performance des institutions publiques.
- Polarisation et absence de consensus :
Le paysage politique tunisien reste marqué par une fragmentation des forces politiques et une polarisation croissante entre les partis et les acteurs sociaux. Cette absence de consensus complique la mise en œuvre de réformes économiques cruciales, car chaque tentative de réforme se heurte à des résistances politiques ou sociales. En 2024, l’opposition sur la nature et l’ampleur des réformes à adopter est perceptible, ce qui paralyse le processus de décision et conduit à des mesures temporaires plutôt qu’à des solutions structurelles durables.
La situation est également exacerbée par l’érosion de la confiance dans les institutions politiques. La perception d’une corruption endémique et d’une mauvaise gestion publique alimente un mécontentement social croissant. Cette instabilité complique la tâche des gouvernements successifs, qui peinent à instaurer des réformes face à une société civile de plus en plus mobilisée et critique.
- Tensions sociales :
L’instabilité politique est intimement liée aux tensions sociales exacerbées par la hausse des prix et la détérioration des services publics. En raison de la stagnation économique, l’érosion du pouvoir d’achat, combinée à un chômage élevé, a provoqué un mécontentement social qui se traduit par des grèves, des manifestations et parfois des mouvements de protestation violents.
La gestion des subventions sur les produits de première nécessité, comme les carburants et les denrées alimentaires, demeure une question très sensible. Alors que le gouvernement est contraint de réduire ces subventions pour répondre aux conditions des bailleurs de fonds internationaux, ces mesures risquent de provoquer une escalade de la contestation sociale. Les coupes dans les subventions sont souvent perçues comme injustes par une population qui souffre déjà d’un niveau de vie en baisse. La détérioration des infrastructures de santé, d’éducation et de transport public alimente également le mécontentement, augmentant ainsi le risque de protestations massives.
- Incertitude et paralysie économique, à court terme :
À court terme, cette instabilité politique et sociale crée un climat d’incertitude qui affecte profondément les acteurs économiques. Les investisseurs, qu’ils soient nationaux ou étrangers, hésitent à engager des capitaux dans un environnement où les perspectives de stabilité sont faibles et où les réformes économiques sont bloquées par des considérations politiques.
Cette paralysie a un impact direct sur la croissance économique. En l’absence de réformes économiques structurelles, la Tunisie peine à attirer de nouveaux investissements productifs, tandis que les entreprises locales sont réticentes à engager de nouveaux projets ou à embaucher dans un contexte d’incertitude croissante. Cela renforce le cercle vicieux de stagnation économique et de mécontentement social, créant un terrain fertile pour des crises sociales récurrentes.
- Risques de fragmentation sociale et économique, à moyen terme :
Si la situation politique et sociale ne s’améliore pas, la Tunisie risque de connaître des vagues de protestations sociales de plus en plus intenses. À moyen terme, l’absence de réponse adéquate aux revendications sociales pourrait mener à une fragmentation encore plus marquée de la société tunisienne. Les tensions entre les régions côtières, mieux développées, et les régions intérieures, souvent négligées et plus pauvres, risquent de s’accentuer. Cette polarisation pourrait également affecter la cohésion nationale, avec des répercussions profondes sur la stabilité politique.
L’instabilité persistante affaiblirait encore davantage l’économie, en repoussant les réformes nécessaires pour redresser les finances publiques et améliorer la compétitivité du pays. Le faible taux de croissance prévu pour 2024, autour de 1%, reflète cette incapacité à sortir de la spirale de la stagnation, avec un marché du travail sous pression, des finances publiques en difficulté, et un secteur privé qui peine à se relancer.
- Perspectives et voies de sortie :
Dans ce contexte de fragilité, les perspectives économiques de la Tunisie à court terme restent préoccupantes. La croissance économique devrait rester modeste, freinée par une demande intérieure en berne et des investissements limités. Cette croissance, de l’ordre de 1%, sera insuffisante pour compenser l’aggravation de la situation socio-économique et pour répondre aux attentes d’une population de plus en plus frustrée par l’absence de résultats concrets.
À moyen terme, la Tunisie devra impérativement adopter des réformes structurelles pour espérer relancer son économie et renforcer sa stabilité sociale. Parmi ces réformes, l’amélioration du climat des affaires est primordiale. Cela implique une simplification de la bureaucratie, une lutte effective contre la corruption, et la mise en place d’un cadre juridique plus transparent et prévisible pour les entreprises. Ces mesures sont indispensables pour restaurer la confiance des investisseurs et stimuler les flux d’investissements directs étrangers (IDE).
La modernisation du système fiscal est également cruciale. La Tunisie doit élargir sa base fiscale, lutter contre l’évasion fiscale et s’assurer que la fiscalité soit plus juste, afin de réduire les déséquilibres budgétaires sans recourir systématiquement à l’endettement extérieur.
Par ailleurs, le pays doit investir dans des secteurs porteurs comme les « énergies renouvelables » et les « technologies numériques », qui offrent de réelles opportunités de diversification économique. Ces secteurs peuvent générer des emplois, améliorer la productivité, et réduire sa dépendance vis-à-vis de secteurs vulnérables comme le tourisme et l’agriculture.
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* Dr. Tahar EL Almi,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)