Une circulaire rendue publique du ministère de l’Education interdit formellement toute pratique de cours particuliers aux élèves en dehors des établissements publics. Les contrevenants, professeurs et instituteurs, risquent la prison.
Aussitôt dit, aussitôt fait, la chasse aux cours particuliers clandestins a déjà sanctionné sept personnes dans la seconde grande ville du pays. Et ce n’est que le début d’une longue traque qui risque cette fois-ci de durer assez longtemps et dont la cible seront des personnes du corps enseignant. Le maître d’école qu’un grand poète arabe a comparé à un prophète est désormais définitivement désacralisé.
La radiation du corps des enseignants est déjà une forme d’excommunication et les contrevenants seront pointés du doigt, comme de vulgaires criminels. De là à parler d’une chasse aux sorcières, il n’y a qu’un pas. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a un soulagement du côté des parents. La décision du ministère est abondamment saluée sur les réseaux sociaux.
Mais un calme apparent touche le milieu éducatif, souvent turbulent quand il s’agit d’intérêts pécuniers en jeux. Il est clair que le fameux syndicat qui a provoqué au moins deux années blanches et risqué de décrédibiliser nos diplômes notamment le bac, semble avoir perdu son rôle d’agitateur. Il est vrai qu’il n’est pas le seul; mais c’est le seul qui avait « protégé » ses adhérents qui se donnaient à ce qu’on peut appeler des cours en contrebande. Puisque délivrés en dehors de toute règlementation, de toute déontologie et surtout à des prix couteux.
Un véritable fléau de société
Le ministère de l’Education a donc raison de sévir, de punir et de châtier. Car les cours particuliers, et qui généralement n’ont rien de particulier, sont un véritable fléau de société, qui atteint, les pauvres, les riches, la classe petite bourgeoise. Et surtout les enfants des chômeurs et des porteurs d’handicaps. Un vrai cancer qui se métastase à une vitesse folle, car il y a quelques années, il n’était qu’un épiphénomène. Voilà que ce qui est supposé être particulier, devient général.
L’enrichissement illégal pour ne pas dire corruption chez le corps enseignant, dans les grandes villes, les petites bourgades et même à la campagne. Les élèves passent désormais plus de temps, dans les garages, qui souvent manquent des éléments élémentaires de sécurité et de confort, dans les salons des instituteurs ou des profs, que dans les salles de classe. Cela monte jusqu’à 70 dinars l’heure pour les maths et cela descend jusqu’à 30 d pour l’éducation physique (pour les bacheliers). Certains spécialistes de ces cours peuvent gagner entre 20 à 30 millions par mois, hormis leurs salaires. Ils coutent ainsi trop chers non seulement à l’Etat mais aussi à la société et à l’économie. Quel est le métier dont le salaire horaire est aussi élevé? Aucun!
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Les familles tunisiennes, celles qui ont des enfants qui préparent le baccalauréat, sont saignées à blanc par ceux qui prétendent garantir la réussite de leurs progénitures au diplôme qui est censé leur ouvrir les portes de l’avenir en accédant à l’université. Or, quand on voit les centaines de milliers avec des maîtrises et des doctorats, qui passent des années au chômage, l’on se demande pourquoi tant d’engouement pour ce certificat, car il n’est qu’un certificat de fin d’études secondaires.
C’est le prestige du bac et donc de la famille qui est en jeux. Comme si c’est la preuve que l’enfant n’est pas un cancre et qu’il fait partie, désormais, de ce qui est supposé être l’élite. Le bac en Tunisie a un prix et une valeur pécuniaire, qu’aucun autre diplôme au monde n’a, hormis ceux des grandes écoles américaines. Sauf qu’en Tunisie, il ne mène pas plus très loin. Tout le monde sait cette vérité, mais on paye pour le symbole.
Les premiers qui l’on compris, sont ceux qui l’ont transformé en commerce très juteux. Ils font payer à l’élève, et très cher, ce qu’ils sont censés lui enseigner dans les classes, contre les salaires qu’ils touchent du ministère. Pour les classes avant le baccalauréat, le deal est suspect. On n’a jamais osé faire une étude sur les notes des élèves qui suivent des cours particuliers et ceux qui ne le font pas. Nous parions que les résultats seraient surprenants. Ce ne sont plus les cancres, si l’on les jugeait d’après les notes, ceux qui sont obligés de suivre les cours particuliers pour rattraper leur retard. Mais bien ceux qui n’ont pas les moyens financiers ou tout simplement se sentent capables de réussir sans ce coup de pouce.
Le monde à l’envers, car de notre temps c’était presque une honte de suivre des cours particuliers, preuve qu’on était des cancres qui n’avaient pas le niveau de savoir nécessaire. Les valeurs sont inversées, car la loi du marché est passée aussi par là. Réussir ou périr, symboliquement cela va de soi, car nous ne sommes pas des Japonais, adeptes du harakiri, et dont, à une certaine époque, les recalés du baccalauréat se suicidaient carrément. Nous on préfère payer, tricher ou tout simplement faire du bachotage.
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C’est d’un autre côté le signe que les Tunisiens croient aux vertus du savoir et de l’enseignement. C’est sans aucun doute l’effet Bourguiba et des pères fondateurs de la Nation. Un des rares Etats au monde qui consacrait 30 % de son budget à l’enseignement. Non seulement parce que l’ascenseur social fonctionnait par l’école, mais aussi parce qu’on croyait que la modernité dans tous ses aspects passait par l’éducation et donc tout le mode de vie à l’occidental dont tout le monde rêvait était tributaire de notre réussite scolaire. Un proverbe tunisien définit l’analphabète comme un bœuf dans une prairie de Dieu « bagrallah fi zar3 allah » donc comme une bête. L’analphabète lui-même se définit ainsi, quand on lui demande s’il sait lire. C’est dire combien cette approche est intériorisée.
L’obligation d’envoyer ses enfants à l’école, même les filles, puisque l’enseignement est devenu obligatoire et gratuit jusqu’à quinze ans, était la véritable révolution; non seulement sociale, mais aussi politique. Si cette loi a été promulguée après l’indépendance, c’est parce que une grande partie de la population, rechignait a envoyer sa progéniture s’éduquer, préférant la faire travailler aux champs, dans les boutiques d’artisans ou dans les maisons.
L’Etat avait alors lourdement sévi, d’autant plus qu’il avait construit des écoles même dans les villages. Et que les fournitures scolaires, les livres et même les repas de midi étaient gratuits. Ainsi, beaucoup de récalcitrants se retrouvèrent en prison pour refus d’appliquer la loi.
C’est à partir des années soixante-dix, lorsque les premiers diplômés post-indépendance ont commencé à occuper des emplois dans les services publics, que l’engouement pour l’école est devenu général. L’ascenseur social était là et il n’y avait qu’à l’emprunter.
Maintenant, la famille tunisienne donne une priorité absolue à l’éducation de ses enfants et consent des sacrifices énormes pour les envoyer dans les grandes écoles et les grandes universités. Ce qui est très significatif pour comprendre l’évolution et l’avenir du pays.
Enseignement : les forces archaïques à l’œuvre
Les forces archaïques ne sont pas toujours celles qu’on croit. Il y a quelques années des ministres de l’Education ont bien tenté de mettre un terme à ce fléau. Sauf que le syndicat des enseignants, dirigé à cette époque par des démagogues patentés a provoqué des grèves sauvages. Allant jusqu’à refuser de livrer les notes aux élèves, prenant en otages et les élèves et les parents. La vraie raison n’a jamais été évoquée par ces pseudo-syndicalistes, qui mettaient en avant des revendications irréalistes. Car il s’agissait d’empêcher l’Etat d’appliquer la loi sur les cours particuliers. Le comble c’est que ce bureau du syndicat était soutenu par une grande majorité des enseignants qui pratiquait en toute illégalité les cours particuliers à domicile, source certaines d’enrichissement. Une attitude des plus réactionnaires sous couvert de « révolution » et de radicalisme syndical.
Dans les écoles et lycées, les enseignants qui s’opposaient à cette pratique étaient mis systématiquement en quarantaine par leurs collègues et pointés du doigt. Alors que les directeurs d’établissements refusaient d’appliquer la loi, de peur de provoquer le courroux des syndicalistes et de ceux qui profitaient de l’aubaine. C’était durant la fameuse « transition démocratique » qui dans tous les domaines et secteurs, a provoqué la décadence et la dilapidation des acquis. Ce sont les familles et leurs enfants qui ont payé le prix fort de cet archaïsme qui se cache derrière des discours pseudo-révolutionnaires.
Il est certain, que l’application stricte de la loi qui peut aller jusqu’à la radiation à vie et peut-être même des peines pénales va provoquer des remous, voire même des réactions disproportionnées. Mais si l’Etat se rétractait, c’en serait fini de notre école républicaine et surtout de la gratuité de l’enseignement. C’est une bataille qui vaut la peine d’être menée.