Lors de la deuxième édition de l’African ESG Summit à Tunis, le 26 novembre 2024, un panel intitulé « Comment faire de l’Afrique un hub de crédit carbone? » a réuni des experts pour discuter des opportunités et des défis que représente le marché des crédits carbone pour le continent africain.
Afef Jaafar, experte en énergie et climat au Ministère tunisien de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie, a ouvert le débat en soulignant la nécessité de créer un cadre solide permettant aux pays africains de participer activement au marché des crédits carbone. Elle a rappelé que l’accord de Paris, et notamment son article 6, prévoit la possibilité pour les pays en développement, y compris les pays africains, de vendre des crédits carbone aux pays industrialisés. Elle a insisté sur l’importance de garantir que les projets développés en Afrique respectent à la fois les priorités nationales et les engagements globaux, comme les Contributions Déterminées au niveau National (CDN). Toutefois, elle a averti qu’il est crucial de rester vigilants pour éviter une surproduction de crédits carbone. Ce qui pourrait nuire à l’intégrité du marché. Elle a également évoqué le travail en cours en Tunisie sur son propre marché du carbone, en mettant l’accent sur les secteurs les plus émetteurs, comme l’agriculture et l’industrie. Tout en soulignant qu’il reste encore beaucoup à faire pour structurer ce marché et renforcer la transparence des données. L’intervenante a rappelé qu’il est essentiel de continuer à structurer le marché carbone en Tunisie et en Afrique pour permettre aux entreprises locales de tirer profit de cette dynamique. Elle a insisté sur la nécessité d’une vision claire pour l’avenir. Et de projets qui non seulement réduisent les émissions, mais ont également un impact positif sur les communautés locales.
Pour sa part, Adrian Mill, Directeur Général chez ESS, a ajouté une perspective internationale au rôle des entreprises dans l’essor des crédits carbone. Il a rappelé que, depuis l’Accord de Paris, de nombreuses entreprises ont fixé des objectifs ambitieux de neutralité carbone d’ici 2030 ou 2050. Pour y parvenir, ces entreprises adoptent trois stratégies principales : la réduction directe de leurs émissions; l’investissement dans des technologies à faible émission de carbone; et la compensation de leurs émissions par l’achat de crédits carbone, notamment ceux générés par des projets en Afrique. Il estime que l’Afrique possède un énorme potentiel pour produire ces crédits grâce à des initiatives basées sur la nature, telles que la reforestation ou l’agriculture durable. Cependant, il relève aussi un défi majeur : la difficulté pour les entreprises africaines d’accéder à ce marché en raison de la complexité des projets et de la variabilité des prix. Il a insisté sur la nécessité d’un financement adéquat et d’un cadre juridique plus robuste pour garantir la transparence et l’efficacité du marché. De même qu’il a encouragé les entrepreneurs africains à saisir l’opportunité que représente le marché des crédits carbone. D’ailleus, il note qu’il existe énormément de financements disponibles; mais que l’enjeu réside dans la capacité à structurer des projets répondant aux critères des investisseurs.
De son côté, Anita Wieja-Caruba, Directrice Associée de la Dubai Financial Services Authority, a mis l’accent sur le rôle des régulateurs dans le développement du marché des crédits carbone. Elle insiste sur l’importance de définir des standards de reporting clairs, afin de renforcer la crédibilité du marché, notamment en Afrique, où la confiance dans la gestion des crédits carbone reste faible. Tout en soulignant qu’il est essentiel de développer des plateformes de certification et des systèmes de vérification indépendants pour garantir l’intégrité des crédits. De plus, elle précise que les régulateurs doivent veiller à ce que les projets respectent des normes strictes. En particulier en ce qui concerne leur impact social et environnemental. Pour elle, la mise en place de méthodologies standardisées est cruciale, car elle permettra d’attirer des investisseurs et de faciliter l’accès au financement.
Quant à Chamss Ould, responsable du financement carbone chez dClimate, il évoque les défis financiers auxquels l’Afrique est confrontée dans le développement des crédits carbone. Il explique que le principal obstacle reste l’absence de financements suffisants pour démarrer les projets. Bien que de nombreux investisseurs soient prêts à acheter des crédits carbone, ils exigent que les projets aient déjà prouvé leur rentabilité et leur viabilité à long terme. Il revient également sur les fluctuations des prix des crédits carbone, qui rendent l’investissement dans des projets de réduction des émissions incertain. Il est donc essentiel de stabiliser ces prix pour rendre le marché plus attractif et accessible.
Puis, Mahjoub Langar, Directeur Général de Poulina Group Holding, a partagé son expérience en tant qu’acteur du secteur privé. Il a exprimé des préoccupations concernant les fluctuations des prix. Mais dans le même temps, il voit une grande opportunité pour les entreprises africaines de participer à ce marché en pleine expansion. Il rappelle que le marché du carbone en Tunisie est encore jeune, mais qu’il devient incontournable pour les entreprises exportatrices. Lesquelles doivent se préparer à être compétitives sur le marché international.
Au final, le panel a formulé plusieurs recommandations. Et notamment : la clarification du cadre réglementaire et méthodologique; la mise en place de standards transparents; et des plateformes accessibles pour garantir la crédibilité du système. Il est essentiel que les entreprises prennent des risques initiaux pour lancer des projets, même face à des incertitudes, et que les gouvernements mettent en place une régulation appropriée.
Les recommandations portent aussi sur l’adoption d’une approche progressive, en commençant par des actions simples telles que la réduction de la consommation énergétique ou l’adoption d’énergies renouvelables. Les pays en développement doivent déterminer leur rôle, qu’il s’agisse de vendre ou d’acheter des crédits carbone. De même qu’ils doivent bien négocier leurs contrats pour éviter les risques financiers.
En conclusion, les entreprises doivent d’abord se concentrer sur la réduction de leurs émissions internes; avant de compenser celles qu’elles ne peuvent éliminer. Elles contribuent ainsi à la lutte contre le changement climatique.