La découverte par les autorités douanières et sanitaires d’une cargaison de près de 2 780 tonnes de pommes de terre importées de Turquie et qui s’avère impropre à la consommation étant contaminée par deux types de bactéries, soulève bien des questions embarrassantes. Eclairage.
Ce n’est pas la première fois que les Turcs essayent de nous fourguer de la marchandise ne correspondant pas aux normes, voire dangereuse pour la santé publique. Déjà en août 2019, Abdelmajid Zar, l’ancien président de l’Union nationale de l’Agriculture et de la pêche (UTAP), déclarait en marge d’une visite de travail effectuée dans le gouvernorat de Sousse qu’environ la moitié des quantités de pommes de terre importées de Turquie étaient « contaminées et impropres à la consommation ».
Un danger pour la santé publique
Cinq ans plus tard, précisément le 18 novembre en cours, et dans un contexte de pénurie de cette denrée de base dans la cuisine tunisienne- où le kilo, vendu souvent sous le manteau, aura atteint la somme astronomique de trois dinars- un nouveau scandale éclate au port de Sousse, simple coïncidence. Et ce, suite à la découverte par les autorités douanières et sanitaires d’une cargaison de près de 2 780 tonnes de pommes de terre importées de Turquie, deuxième troublante coïncidence. Et qui s’avère contaminée par deux types de bactéries nocives pour la santé publique.
A noter que cette cargaison effectuée par une société privée et qui est arrivée récemment au port commercial de Sousse devait être injectée dans un certain nombre de marchés de gros de légumes, notamment à Sousse, Kairouan, Mahdia, El Jem et à Tunis. Et ce, afin de stabiliser le marché et pallier la pénurie alimentaire, tout en contribuer à baisser le prix fixé à 1 900 d le kilo.
Fort de ces éléments, le parquet a autorisé l’ouverture d’une enquête et a ordonné le déplacement de la brigade de police judiciaire de Sousse Médina en vue de révéler les détails de cette affaire. D’ailleurs, nous venons d’apprendre à l’instant que le porte-parole du tribunal de première instance de Sousse, Wissem Cherif, a déclaré que le ministère public « a ordonné la mise en détention du responsable de l’importation du lot de pommes de terre avariées via le port de Sousse, dans le cadre de l’enquête en cours ».
Par ailleurs, face aux remous provoqués par ce scandale de trop, le président de la République a promptement réagi en nommant lundi 25 novembre un nouveau Directeur général de la Douane, Mohamed El-Hadi Safer, qui succède ainsi à Zouahyer Mejri qui a été limogé, une décision qui n’a pas été annoncée.
Sachant que lors de cette rencontre à Carthage, le chef de l’Etat a notamment mis en exergue « le rôle essentiel de la douane dans la préservation de la sécurité nationale ». Cette mission dépasse « les seules dimensions économiques pour inclure d’autres aspects, tels que le contrôle rigoureux des marchandises importées, dans le but de protéger la santé des citoyens et de renforcer la souveraineté nationale ».
« Terrorisme alimentaire »
« Terrorisme alimentaire », s’est écriée, euphorique, la députée Sonia Ben Mabrouk qui a demandé au demeurant l’ouverture d’une enquête judiciaire pour identifier les responsables et comprendre comment une telle cargaison a pu entrer dans le pays. Et ce, afin de faire la lumière sur les dysfonctionnements dans les circuits de distribution et de contrôle des produits alimentaires, tout en suscitant des interrogations sur la responsabilité des uns et des autres.
Pour sa part, le député Badreddine Gammoudi, membre du bloc La Ligne Nationale Souveraine, a révélé dans un statut, dimanche 24 novembre 2024, que des bactéries dangereuses avaient été détectées dans la cargaison. Et, après analyses, les autorités compétentes ont pris la décision soit de détruire la marchandise, soit de la réexporter vers son pays d’origine.
Cette cargaison, arrivée le 18 novembre et initialement présentée comme une solution pour stabiliser le marché « soulève des inquiétudes sur la fiabilité des contrôles des produits alimentaires et les mécanismes de régulation des importations en Tunisie. Notamment en période de crise, où les autorités doivent veiller à la fois à la qualité des produits et à leur disponibilité, écrit l’élu. A cet égard, il « appelle à une révision des procédures pour garantir la sécurité sanitaire des consommateurs ». Tout en pointant « la responsabilité des entreprises privées dans la commercialisation de produits alimentaires ».
Pénurie, dites-vous
En attendant que l’enquête policière révèle les dessous de cette affaire et s’il s’agissait de corruption, de négligence administrative ou encore de spéculation, il est légitime de s’interroger sur la pénurie qui frappe cette denrée essentielle.
Ainsi, selon les déclarations du directeur de l’Observatoire national de l’offre et des prix au ministère du Commerce, Ramzi Trabelsi, mercredi 20 novembre 2024 sur la Radio nationale, la disponibilité des pommes de terre serait insuffisante « en raison, notamment, de la période de creux automnale ». Il explique que cette situation a été particulièrement marquée cette année « en raison d’une baisse relative de la production, causée par la sécheresse ».
Pour sa part, le conseiller économique de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP), Fathi Ben Khalifa, a expliqué vendredi 15 novembre que « l’absence de stocks de régulation a contribué à l’augmentation du prix des pommes de terre et permis aux spéculateurs de contrôler le marché ».
Commentaire désabusé du post publié hier mardi sur FB par l’ancien député de l’Assemblée Constituante, Brahim Gassas, dans lequel il fustige à juste titre les responsables : « Qui ont fermé les congélateurs qui étaient remplis de pommes de terre toute l’année pour importer des pommes de terre avariées de Turquie payées en devises. »
Autant en emporte… les pommes de terre.