La chute brutale sur le plan international du prix du litre d’huile d’olive a provoqué une crise grave dans le secteur agricole tunisien. A tel point que les agriculteurs, surtout les petits, menacent de renoncer à la cueillette de ce précieux légume de l’olivier. Alors que la commercialisation de ce liquide était, au moins depuis 2002, l’affaire des privés, qui d’ailleurs s’en sont bien sortis; voilà que ces mêmes privés, dont les petits et moyens paysans sans oublier les grands agriculteurs, appellent désormais l’Etat à intervenir pour sauver leur récolte. Le feu Office de l’huile, qui avait perdu son rôle d’exportateur et de régulateur est appelé soudainement à la rescousse. On exige de l’Etat et de l’office de fixer un bon prix à la récolte et de se charger de commercialiser l’huile d’olive à l’intérieur et surtout à l’étranger. Il faut rappeler que depuis presque une décennie, la proportion dédiée à l’export, tournait autour de 75% du volume total produit par le pays.
Mais le malheur des uns fait souvent le bonheur des autres. Et les autres constituent l’écrasante majorité du peuple tunisien, qui depuis l’aube des temps n’a jamais été privé de son huile favorite produite par l’olivier. Excepté ces trois dernières années, où le prix du litre a atteint un niveau de cherté jamais égalé. La bouteille d’un litre variait entre 22 et 40 dinars. Car les exportateurs privés ont profité de la grave crise de sécheresse qui avait frappé l’Espagne et l’Italie, les deux premiers producteurs mondiaux. Et nous avons atteint des records aussi bien au niveau de la quantité exportée que des devises encaissées.
Une affaire internationale
Les Espagnols et les Italiens achetaient, semble-t-il, notre huile bien tunisienne et mettaient tout simplement leurs étiquettes, car eux contrôlaient les marchés internationaux et surtout européens. Alors que nous, nous sommes obligés de respecter le quota imposée par nos amis de l’Union européenne, fixé depuis les accords de 1995.
En effet, l’Etat tunisien n’a jamais pu convaincre l’UE d’augmenter ce quota, ou tout simplement de nous laisser conquérir ces marchés selon les lois de l’Organisation mondiale du commerce. Par contre, ils ont voulu nous imposer les accords dits d’ALECA, où il est question de « libérer » nos services pour que leurs sociétés plus puissantes et plus riches puissent avaler les nôtres. En matière de protectionnisme on ne peut pas faire mieux. Et dire qu’ils protestent énergiquement, invoquant ces mêmes lois de ladite organisation, quand les Américains surtout avec Trump leur impose le même traitement.
La question oléicole est loin donc d’être une affaire de politique agricole intérieure. Mais bien une affaire qui a trait à notre degré d’intégration dans le marché mondial. Ainsi qu’à notre puissance à négocier au mieux nos intérêts.
En réalité, l’avenir de l’huile tunisienne se joue ailleurs quels que soient les efforts que nos agriculteurs ou notre Etat vont faire pour maintenir notre rang dans le commerce de l’huile. Ce n’est pas uniquement une affaire qui sera réglé par un retour du monopole de l’Office de l’Huile. Bien que cette structure gagne elle-même à redéfinir son rôle dans le circuit, aussi bien de la production que de la commercialisation.
Rappelons que la Tunisie occupe le sixième rang mondial, après, l’Espagne, l’Italie, la Grèce, la Turquie et la Syrie, en terme du nombre d’oliviers. Les dernières études parlaient de 70 millions d’arbres et de 1, 740 millions d’hectares. Il est certain que le nombre actuel a augmenté considérablement depuis que l’huile d’olive est devenue une sorte d’or vert.
Ce qui est dangereux dans cette situation, c’est que notre situation oléicole, dépendra désormais non seulement de la pluviométrie, mais surtout de la pluviométrie de l’Espagne et de l’Italie et du prix du litre à la bourse mondiale de l’huile. Il ne s’agit plus de produire seulement étant sûr de liquider nos produits à l’export; mais plutôt de savoir combien produire en fonction de la demande extérieure et intérieure. Car une mauvaise évaluation peut provoquer la faillite de beaucoup de nos agriculteurs, comme cela semble être le cas actuellement.
Bien sûr le marché intérieur va connaître une baisse du prix du litre, au grand bonheur des ménages tunisiens. Laquelle se répercutera sur les prix des autres huiles de graines qui ont connu des hausses spectaculaires ces dernières années et qui sont d’ailleurs importées en devises. Cette réalité économique avait créé des situations de monopoles, cette fois-ci privés. A tel point que l’arrestation d’un de ces hommes d’affaires a failli provoquer une crise grave dans le secteur.
Il est sûr qu’on ne peut pas remplacer facilement un exportateur, qui a réussi à gagner de nouveau marchés. Cerpendant, il est aussi sûr que la crise de l’exportation de l’huile d’olive est plutôt due, à des facteurs exogènes qu’on n’a sûrement pas prévus. Ce qui suppose qu’on doive désormais analyser la situation de ce marché mondial et adapter les mesures qu’il faut. Comme par exemple se tourner vers le marché intérieur.
Un ancien ministre de l’Agriculture avait déclaré que les Tunisiens ne consommaient pas beaucoup d’huile d’olive à tel point qu’ils n’avaient plus cette tradition culinaire. Ce qui avait provoqué l’hilarité de beaucoup de Tunisiens. Pourtant ce qu’il avait dit était juste Car depuis les années soixante, avec la fondation de l’Office de l’huile, l’Etat achetait de l’huile de graines et la subventionnait. Ce qui a eu pour conséquence le remplacement de l’huile d’olive par ces produits pas chers. A tel point que plusieurs générations en ont perdu le goût et l’habitude. Car un goût, cela se cultive aussi.
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Que faire avec les domaines agricoles de l’Etat?
La question est tout aussi politique, qu’économique et sociale. Elle est surtout d’ordre politique actuellement. Mais elle s’est posée avec l’enquête sur la détérioration de Henchir el châal, un domaine des plus prestigieux jadis et qui, semble-t-il, connaît une dévaluation et une chute de sa capacité de production. A tel point que ses récoltes étaient vendues à des privés à des prix trop bas.
Laissons le dossier juridique de côté, puisqu’une enquête a été diligentée pour éclairer la situation; des employés et des responsables, allant jusqu’au ministre de l’époque, ont été arrêtés. Les surenchères politiques de part et d’autre ne peuvent pas nous permettre actuellement d’y voir plus clair. Mais la question nous interpelle, car le cas de Henchir el Châal nous renvoie à celles de tous les domaines agricoles de l’Etat. C’est vrai que s’agissant d’un domaine oléicole au moment où la Tunisie avait remporté ces dernières années des succès commerciaux, la question semble militer pour le principe de la cession de ces domaines aux privés, étant donné qu’ils ont réussi à booster nos ventes. Mais qu’en est-t-il d’autres domaines comme les céréales et autres cultures ?
Poser la question sous l’angle purement idéologique, à savoir être pour ou contre la cession de ces domaines aux privés nous semble simpliste. Il est aussi vrai que les débats autour de cette question cruciale du rôle de l’Etat dans l’économie ont été toujours escamotés. Et ce, notamment à cause de l’idéologisme des partis politiques, mais aussi des organisations nationales, et ceci depuis la période collectiviste.
Ce qu’il est important de préciser, c’est que ce débat est de retour. Avec la position officielle de l’Etat représenté par son président qui est contre toute cession de ces entreprises et domaines, même s’ils sont dans une situation moribonde, aux privés. On soupçonne même que certaines privatisations commises jadis étaient des plus suspectes.
Sauf que la question incontournable est comment faire pour que les sociétés nationales soient redressées et remises à niveau, sans mobiliser d’énormes capitaux injectés par ce même Etat dont la situation budgétaire est des plus critiques? Même si on a évité à l’économie de s’écrouler au prix d’énormes coupes dans les budgets sociaux et surtout dans la Caisse de compensation.
Il est clair que la situation déjà critique de ces entreprises, qui souvent ont totalement bouffé leurs capitaux, ne peut plus durer. A-t-on commencé sérieusement à faire des audits et à envisager d’autres solutions que la privatisation? Les discours rassurants de différents ministères ne peuvent tenir lieu de solution, car on ne fait que reculer les échéances. Il serait donc plus judicieux de dire toute la vérité sur cette question, entreprise par entreprise. Et ce, pour que le citoyen sache ce qu’il en est. Le mutisme n’a jamais été une solution et l’on voudrait bien savoir ce qu’il va advenir de ce prestigieux domaine. Car il en sera de même pour les autres.
L’olivier est traditionnellement considéré comme un arbre sacré et est cité en tant que tel dans le saint Coran. C’est aussi un mythe fondateur de la civilisation phénicienne, donc de la notre car les Phéniciens, à partir du VI ème siècle avant J.C, l’ont propagé dans toute la Méditerranée. Et notre pays a toujours cultivé ces arbres quels que soient les régimes politiques et les systèmes économiques qui le gouvernent. La crise de l’olivier risque d’en révéler d’autres.