Le rideau est tombé sur la loi de finances 2025. Pas de quoi déplacer les montagnes. Elle porte, à bien des égards, les stigmates d’énormes contraintes et de difficultés financières qui laissent peu de choix budgétaires. Comme quoi, les années de disette se suivent et se ressemblent. La loi de finances 2025, comme celles qui l’ont précédée, a plus l’apparence d’un catalogue à la Prévert de dispositions et réglementations fiscales accrues à l’effet de financer les dépenses courantes que rien ne semble pouvoir arrêter.
L’Etat est, pour ainsi dire, placé devant un terrible dilemme : couper dans des dépenses improductives, démarche hautement inflammable en ces temps peu rassurants, ou augmenter les prélèvements obligatoires devenus, du reste, confiscatoires et contreproductifs. L’impératif de paix sociale a pris le dessus : nécessité fait loi. Non sans en assumer le prix.
Nous sommes en passe de battre tous les records africains : la fiscalité la plus lourde, alors que partout elle n’arrête pas de décroitre au seul bénéfice des économies en mal de relance, la croissance la plus faible, le chômage le plus élevé… Le constat est amer : en 2025, nous ne serons pas plus armés que nous ne le sommes cette année pour partir à la conquête d’un futur dont on peine à maîtriser les clés d’accès.
Nous sommes en passe de battre tous les records africains : la fiscalité la plus lourde, alors que partout elle n’arrête pas de décroitre au seul bénéfice des économies en mal de relance, la croissance la plus faible, le chômage le plus élevé
La part de l’industrie décline depuis plusieurs années. Celle à forte intensité technologique fait cruellement défaut, au grand désarroi des jeunes talents, privés d’emplois valorisants auxquels ils aspirent légitimement. Les investisseurs locaux paraissent désabusés, désenchantés et pour le moins peu motivés quand ils ne sont pas découragés. Pour preuve, le taux d’investissement n’a jamais été aussi bas.
A moins de 14%, il est au niveau d’alerte rouge. Les investisseurs étrangers sont, à quelques exceptions près, dans l’expectative, peu enclins à investir, sans doute à cause de la perte d’attractivité du site Tunisie qui aura beaucoup perdu de son aura. La législation du travail est rédhibitoire : elle cherche plus à protéger le salarié que l’emploi, au point de ne plus offrir suffisamment de garantie de survie à l’entreprise. Qui n’en finit pas par ailleurs de plier sous le choc dévastateur du poids et de l’instabilité de la fiscalité. Il y a de moins en moins de grands noms de l’industrie mondiale 4.0. Et ceux qui s’y trouvent encore ont tendance à se diversifier ailleurs, par mesure de précaution et de sécurité d’approvisionnement.
Il n’est pas non plus exclu que le vide (et donc la pénurie) laissé par l’exode massif de nos compétences ne les détourne vers d’autres destinations plus compétitives. De fait, la loi de finances 2025 ne va pas bouleverser le paysage productif national. Elle ne pourra pas, en dépit des bonnes intentions des dirigeants, ressusciter et réactiver les PME, en état de mort cérébrale. Celles-ci ont été décimées par la déferlante de l’informel et la crise sanitaire avant d’être achevées par le durcissement de la réglementation bancaire. Le choc est d’une rare violence. Il a provoqué d’énormes fissures au sein des PME, qui sont à la fois le socle et l’ossature de notre système productif. Leur sauvetage et la fin de leur calvaire nécessitent davantage. de moyens financiers et d’aides de la puissance publique,
qui hésite par ailleurs à enclencher pour de bon le processus de dérégulation bureaucratique.
De fait, la loi de finances 2025 ne va pas bouleverser le paysage productif national. Elle ne pourra pas, en dépit des bonnes intentions des dirigeants, ressusciter et réactiver les PME, en état de mort cérébrale. Celles-ci ont été décimées par la déferlante de l’informel et la crise sanitaire avant d’être achevées par le durcissement de la réglementation bancaire
A l’’évidence, la rupture n’est pas à l’ordre du jour, sans doute en raison des limites qu’impose la contrainte budgétaire. La loi de finances 2025 reproduit, à peu de chose près, celles qui l’ont précédée, elle est aux antipodes d’une vision renouvelée de l’économie, à la fois vaste et globale, qui serait l’incarnation de politiques publiques et sectorielles plus audacieuses. L’intention y est, mais les moyens qui doivent valider l’action font défaut. En revanche, le torrent, le déluge fiscal, qui en sont la marque distinctive, laissent à penser qu’ils sont la
principale raison d’être de cette loi de finances.
Ce n’est pas sacrifier à la mode que de réaffirmer que trop d’impôt tue l’impôt. La fiscalité doit être conçue comme un instrument de redistribution, de régulation et de relance de l’économie. Elle ne doit pas dévier de sa vocation originelle au point de limiter la capacité d’entreprendre des entreprises et des ménages. Le pire serait que la hausse excessive des taux d’imposition se conjugue avec celle des taux d’intérêt devenus tout aussi dissuasifs, au seul motif de combattre l’inflation, du reste aux origines non monétaires. L’attelage explosif actuel fiscalité taux d’intérêt ne mène nulle part, si ce n’est qu’il fait craindre l’effondrement de l’économie, sans espoir de retrouver au plus vite les chemins de la croissance.
Le désarmement industriel et le déclassement se lisent dans les statistiques de nos échanges extérieurs. Une grande partie de nos apports en devises proviennent du tourisme, des TRE, de l’huile d’olive, des dattes… quand ils ne sont pas impactés par les turbulences de l’économie mondiale.
Pour leur part, les exportations du textile, des industries mécaniques, électriques, de celles liées à l’économie de la connaissance, du phosphate et dérivés déclinent quand elles ne sont pas en chute libre. Il y a urgence pour un sursaut de vaste envergure afin de prévenir un décrochage définitif qui sonnera le glas de nos ambitions industrielles.
Le désarmement industriel et le déclassement se lisent dans les statistiques de nos échanges extérieurs. Une grande partie de nos apports en devises proviennent du tourisme, des TRE, de l’huile d’olive, des dattes… quand ils ne sont pas impactés par les turbulences de l’économie mondiale.
Nous devons coller aux groupes des émergents et rivaliser avec eux en matière de technologie émergente, de startup, d’industrie 4.0, d’intelligence artificielle pour valoriser
notre intelligence collective. Notre émergence est à ce prix.
Le gouvernement Maddouri le revendique, même si, pour l’heure, il n’a pas les moyens de cette ambition. Si telle est l’intention de l’exécutif, on doit pouvoir en déceler les premiers signaux à travers le réaménagement des différents postes de dépenses gouvernementales au seul bénéfice des investissements d’avenir, l’allègement de la fiscalité, du poids et des méfaits de la bureaucratie. Pour l’heure, le boulet est trop lourd, il ne permet pas de libérer pleinement les initiatives, les énergies et les prises de risque pour briser le cercle vicieux de la récession et en finir avec les travers d’une croissance atone qui n’ont que trop duré.
Cet édito est disponible dans le magazine de l’Économiste Maghrébin N°909 – du 18/12/ 2024 au 1er/01/ 2025