Dans les galeries feutrées du Musée des Civilisations Anatoliennes à Ankara, une figure silencieuse mais imposante attire l’attention des visiteurs. Assise sur un trône flanqué de deux félins majestueux, la « Déesse Mère » de Çatalhöyük semble traverser les millénaires pour nous raconter l’histoire des premiers hommes sédentaires.
De notre envoyée spéciale Ameni Mejri en Türkiye
Façonnée en terre cuite il y a près de 8 000 ans, cette statuette est bien plus qu’une simple pièce archéologique: elle est le témoin d’un monde où spiritualité, agriculture et vie communautaire s’entremêlaient intimement.
Une symbolique de la fertilité et de la puissance
Avec ses formes généreuses — des hanches larges et une poitrine imposante —, la statuette incarne la fertilité, à la fois humaine et agricole. Cette association entre féminité et abondance était essentielle pour les habitants de Çatalhöyük, l’une des premières sociétés agricoles connues de l’histoire.
Les deux félins qui encadrent la figure ne sont pas seulement des détails esthétiques: ils symbolisent la puissance et la protection, renforçant le rôle de la « Déesse Mère » comme gardienne de la communauté.
Au cœur de ses jambes, un détail intrigue: une forme arrondie, interprétée par les archéologues comme la tête d’un nouveau-né ou le crâne d’un ancêtre respecté. Ce choix artistique pourrait refléter un lien profond entre les cycles de la vie et de la mort, un élément central des croyances néolithiques.
Çatalhöyük: un site unique dans l’histoire humaine
Découverte dans les années 1960 par l’archéologue James Mellaart, la ville de Çatalhöyük, située dans le sud-est de l’Anatolie, est un joyau de l’archéologie mondiale. Occupée entre 7500 et 5700 avant J.-C., elle est considérée comme l’une des premières agglomérations humaines. Ses habitants vivaient dans des maisons en briques crues, sans rues ni ruelles, accédant à leurs habitations par les toits. Cette organisation architecturale reflète une société égalitaire où chaque individu jouait un rôle vital.
La « Déesse mère » occupait probablement une place centrale dans les rituels religieux de cette communauté. Les nombreuses figurines similaires découvertes sur le site suggèrent un culte de la fertilité omniprésent, lié à la fois à la reproduction humaine et à la prospérité agricole.
Un témoignage précieux préservé à Ankara
Aujourd’hui, la « déesse mère » repose dans une vitrine élégamment éclairée au Musée des Civilisations Anatoliennes, offrant aux visiteurs une connexion intime avec un passé lointain. Le musée, situé sur les flancs du château d’Ankara, abrite une collection exceptionnelle retraçant des millénaires d’histoire anatolienne. Mais c’est devant cette statuette que le temps semble s’arrêter : elle incarne l’essence même de la vie quotidienne et spirituelle des premiers agriculteurs.
Une fascination intemporelle
Au fil des siècles, l’idée de la « Déesse Mère » a traversé les cultures et les civilisations, évoluant pour devenir des figures telles que Kubaba chez les Hittites ou Cybèle dans le monde phrygien. Ce lien entre le passé néolithique et les croyances ultérieures nous rappelle l’importance universelle de la féminité comme source de vie et de continuité.
Pour les visiteurs du musée, la « Déesse Mère » n’est pas seulement une œuvre d’art: elle est une invitation à explorer nos origines, à réfléchir à la place de la spiritualité dans nos vies et à célébrer la puissance intemporelle de la création.