Faut-il interpréter la décision marocaine d’importer une importante quantité d’huile d’olive en provenance du lointain Brésil comme un geste de désamour envers la Tunisie pour sa position vis-à-vis du dossier du Sahara occidental? Tous les indices vont dans ce sens.
Ce n’était pas à vrai dire une surprise mais c’était dur à avaler : « En l’absence d’une diplomatie économique, notre voisin le Maroc vient d’acheter dix mille tonnes d’huile d’olive au Brésil ». C’est ce qu’a révélé le conseiller économique de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche maritime (UTAP), Fathi Ben Khalifa lors de son intervention mardi 24 décembre 2024 sur les ondes de Jawhara FM. Tout en exprimant « son étonnement » face à la décision marocaine « alors que Rabat et Tunis sont des voisins régionaux ».
« Nous ne savons pas vendre » !
D’autre part, l’expert a interrogé « le rôle des ambassades et leur utilité si elles ne parviennent pas à préserver les marchés traditionnels, ni à en conquérir de nouveaux débouchées ». A cet égard, il assure que la diplomatie économique « doit être activée pour faciliter les échanges commerciaux et ne pas se limiter à l’Union européenne, un marché saturé ».
« Nous ne savons pas vendre », a-t-il conclu, non sans amertume.
Pour revenir à la décision marocaine de s’approvisionner en huile d’olive auprès du Brésil, rappelons que Rabat a fixé un quota d’importation de 10 000 tonnes d’huile d’olive brésilienne jusqu’à la fin de l’année en cours, une autorisation qui pourrait être renouvelée en 2025.
Ainsi, le Maroc devient la troisième destination principale des exportations agricoles du Brésil en Afrique, avec des achats d’une valeur totale de 1,23 milliard de dollars. Un dynamisme qui s’est poursuivi l’année en cours avec des importations qui ont dépassé les 903 millions de dollars entre janvier et septembre 2024.
Les aléas de dame Nature
En décidant de s’approvisionner sur le marché brésilien, le Royaume souhaite combler le déficit de la production locale causé par la sécheresse persistante.
En effet, en 2024, la production marocaine d’huile d’olive a connu une chute drastique avec une baisse de 40 % par rapport aux années normales. Cette situation résulte de sécheresses consécutives et d’une longue vague de chaleur qui ont gravement impacté les rendements des oliveraies marocaines. Sachant que traditionnellement, le royaume chérifien figure parmi les principaux producteurs mondiaux, avec une production annuelle moyenne dépassant les 140 000 tonnes. Cependant, les conditions climatiques défavorables ont réduit cette capacité à environ 95 000 tonnes, créant un déséquilibre entre l’offre et la demande sur le marché intérieur.
Cette situation a conduit le gouvernement marocain à prendre des mesures exceptionnelles. Dont la suspension temporaire des droits de douane sur les importations d’huile d’olive et le recours à des fournisseurs alternatifs, comme le Brésil. Ces décisions visent à stabiliser les prix et à garantir la sécurité alimentaire. Et ce, tout en mettant en lumière des défis structurels pour la filière oléicole marocaine.
Prix inabordables de l’huile d’olive
Conséquence des aléas de la nature : le prix du litre l’huile d’huile d’olive, naguère abondante et bon marché, est devenue rare et onéreuse pour les ménages. Ainsi, le prix du litre de cette denrée incontournable dans la cuisine marocaine, avait franchi en septembre dernier la barre symbolique des 130 dirhams (environ 12.41 euros) et devrait même augmenter dans les grandes villes, selon plusieurs professionnels du secteur. Afin de juguler cette envolée des prix, le gouvernement a décidé de suspendre les droits d’importation sur les variétés dites « vierges » et « extra-vierges », et de diversifier ses sources d’approvisionnement, en y intégrant le Brésil.
En dehors du Brésil, qui ne figurait pas dans le top 10 mondial des exportateurs de cette huile alimentaire en 2023, le Maroc devrait également s’approvisionner auprès de l’Espagne (1er exportateur mondial avec 944 000 tonnes), de l’Italie (2ème avec 307 000 tonnes), de la Tunisie (3ème avec 251 000 tonnes), de la Grèce (4ème avec 231 000 tonnes ) ou encore du Portugal (175 000 tonnes). Ce sont respectivement les cinq plus grands exportateurs mondiaux d’huile d’olive l’année dernière. En attendant que le ciel soit plus clément.
Sahara occidental, voici le nœud du problème
Mais pourquoi le Maroc a-t-il décidé de se tourner vers le lointain Brésil, alors que les peuples marocain et tunisien sont liés par une histoire commune et un destin partagé? D’autant plus que notre pays, 4ème producteur mondial d’huile d’olive, était en mesure de répondre aux besoins de notre ami maghrébin en cette denrée alimentaire?
La réponse tient en quelques mots : les relations glaciales entre les deux pays qui se sont notamment détériorées suite à la présence le 26 août du chef des séparatistes du Front Polisario, Brahim Ghali, à l’occasion du forum Japon-Afrique et le rappel dans la foulée de l’ambassadeur marocain à Tunis.
Cet accueil « est un acte grave et inédit, qui heurte profondément les sentiments du peuple marocain et de ses forces vives », avait déclamé à l’époque le ministère marocain des Affaires étrangères.
Par ce geste, Rabat fait-il payer à Tunisie le prix fort d’avoir dévié de sa position de neutralité traditionnelle envers le dossier explosif du Sahara occidental? Tous les indices vont dans ce sens.