La dernière manifestation de l’euphorie occidentale face à l’effondrement du régime syrien et son remplacement par les milices islamistes, c’est la visite, le 3 janvier 2025, des ministres des Affaires étrangères de France et d’Allemagne, Jean-Noël Barrot et Annalena Baerbock.
A l’issue de leur rencontre avec Ahmed Charaa, la ministre allemande a fait cette déclaration : « Mon voyage d’aujourd’hui, avec mon homologue français et au nom de l’UE, est un signal clair adressé aux Syriens : un nouveau départ politique entre l’Europe et la Syrie, entre l’Allemagne et la Syrie est possible. C’est avec cette main tendue, mais aussi avec des attentes claires à l’égard des nouveaux dirigeants, que nous nous rendons aujourd’hui à Damas. »
Ironie du sort, le chef islamiste n’a pas saisi « la main tendue » d’Annalena Baerbock, se contentant, en guise de salutation de la visiteuse allemande, de poser la paume de sa main sur sa poitrine. Il a en revanche serré la main du ministre français…
Ce n’est pas la première visite de responsables occidentaux à Damas. Une délégation américaine dirigée par Barbara Leaf, une haute responsable du Département d’État, a rencontré fin décembre Ahmad Charaa, alias Abou Mohammed al-Joulani, avant même la suppression de son nom de la liste des terroristes du département d’Etat et le retrait de la prime de 10 millions de dollars promise à quiconque aiderait à son arrestation…
La rencontre de la délégation américaine avec le chef islamiste a été qualifiée de « bonne et productive ». Productive? De 2011 jusqu’à ce jour, l’ingérence violente et multiforme des Etats-Unis en Syrie n’a produit que la mort et la destruction.
Alors que les responsables occidentaux se relaient à Damas, les morts continuent de tomber par dizaines en Syrie. Les affrontements entre les milices kurdes (soutenues par les Etats-Unis) et « l’armée nationale syrienne » (créée et financée par la Turquie » ont fait plus de 100 morts. Ces combats qui se poursuivent encore mettent le Pentagone dans une situation bien embarrassante, ne sachant trop comment gérer cet affrontement violent entre son grand allié turc et ses petits alliés kurdes…
Dimanche 5 janvier à Lattaquié, une brigade du nouveau pouvoir a été décimée dans une embuscade tendue par ceux-là même qu’elle était venue arrêter. C’est dire que la stabilité et la sécurité tant souhaitée par le peuple syrien sont loin d’être assurées.
Mais les dangers qui planent sur la Syrie ne se limitent pas aux affrontements armés entre factions rivales et aux visées territoriales turques et israéliennes. Des vidéos commencent à circuler sur les réseaux sociaux concernant le nouveau ministre de la Justice, Shadi al-Waisi, qui, en 2015, était « juge » chargé de faire respecter la chariaa dans les zones de la province d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie, où régnait alors Jabhat Annusra, ex-al-Qaïda et future Hay’at Tahrir Asham.
Une de ces vidéos montre Shadi al-Waisi en train de lire un jugement condamnant à mort une femme pour « corruption et prostitution ». Une autre vidéo montre l’ex-juge à Idlib et actuel ministre de la Justice à Damas, portant une arme et ordonnant à une femme de s’asseoir alors qu’elle plaidait pour sa vie. Une fois qu’elle s’est agenouillée, un autre homme armé lui tire une balle dans la tête…
Peut-être d’autres vidéos apparaîtront un de ces jours, montrant l’actuel premier responsable politique syrien du temps où il sévissait dans les rangs de Daech, en Irak d’abord, et à la tête de Jabhat Annusra, en Syrie, ensuite. Combien de voitures piégées a-t-il fait exploser? Combien d’êtres humains a-t-il décapités ou ordonné la décapitation? Combien de mains a-t-il coupées?
Ces questions n’intéressent nullement l’Occident et ses messagers auprès des nouveaux dirigeants syriens dont ils savent pertinemment l’idéologie intolérante et sanguinaire qu’ils préfèrent au régime laïc de la famille al-Assad. Ce régime, rappelons-le, malgré sa nature dictatoriale, a assuré pendant plus d’un quart de siècle la coexistence pacifique et l’harmonie sociale entre la multitude de confessions que compte la Syrie.
Mais l’Occident se soucie comme d’une guigne de la paix ou de l’harmonie sociale en Syrie. Ce qui l’intéresse, c’est le retrait de ce pays du giron russe et iranien et son arrimage au camp des « normalisateurs » avec l’Etat génocidaire sioniste. Et c’est précisément le principal objet de l’incessant ballet entre les capitales occidentale et Damas.