La dette publique, souvent perçue comme un levier de financement du développement, peut rapidement se transformer en un fardeau insoutenable lorsqu’elle dépasse des seuils critiques.
La problématique de l’endettement souverain en Tunisie est devenue une question centrale, alimentant les débats économiques et politiques. Avec une dette publique atteignant des niveaux record et une dépendance marquée aux devises étrangères, la Tunisie se trouve face à un défi majeur qui appelle à une réflexion approfondie sur les fondamentaux de sa gestion économique.
Comprendre les fondamentaux de la dette souveraine
La dette souveraine ne constitue une menace pour la stabilité financière d’un pays que dans deux cas principaux :
Le premier, lorsque cette dette est libellée dans une devise étrangère, exposant le pays débiteur aux fluctuations des taux de change et à des pressions sur ses réserves de devises.
Le second, lorsque le pays ne dispose pas d’une Banque centrale capable d’intervenir pour monétiser la dette, c’est-à-dire la racheter en dernier ressort.
Dans des économies avancées comme les États-Unis, ces risques sont atténués grâce à leur monnaie de réserve mondiale, le dollar, et à la capacité de leur Banque centrale à soutenir le financement de l’État en cas de crise.
En revanche, les économies émergentes, dont la Tunisie, ne bénéficient pas de ces privilèges et doivent naviguer dans un environnement économique mondial marqué par l’incertitude.
Le cas tunisien, entre vulnérabilité et contraintes
Environ 70 % de la dette extérieure de la Tunisienne est libellée en devises étrangères, principalement en euros et en dollars. Cette dépendance aux devises expose le pays à une double vulnérabilité :
La première, les fluctuations du dinar : une dévaluation de la monnaie nationale augmente mécaniquement le coût de remboursement de la dette extérieure, exacerbant les pressions sur les finances publiques.
La deuxième, les exigences des créanciers internationaux : la Tunisie doit générer suffisamment de recettes en devises, issues des exportations, du tourisme ou des transferts des Tunisiens résidant à l’étranger (TRE), pour honorer ses engagements. Or, ces flux restent insuffisants face aux besoins croissants.
Contrairement aux économies avancées, la Banque centrale de Tunisie (BCT) ne peut pas racheter directement la dette souveraine libellée en devises, ce qui limite les marges de manœuvre en cas de crise de liquidité.
Cette situation impose une gestion rigoureuse de la dette, sous l’œil attentif des bailleurs de fonds internationaux, comme le FMI, qui conditionnent leur soutien financier à des réformes structurelles souvent impopulaires.
Le parallèle avec la Grèce
La crise de la dette grecque de 2010 offre un parallèle instructif pour la Tunisie. Bien que la Grèce fasse partie de la zone euro et bénéficie du soutien d’une Banque centrale puissante, la Banque centrale européenne (BCE), elle ne pouvait pas monétiser sa dette souveraine. La gestion de sa dette a été soumise à des règles strictes visant à préserver la crédibilité de l’euro, au prix de profondes réformes et d’une austérité budgétaire sévère.
De manière similaire, la Tunisie est contrainte de respecter les exigences de ses partenaires financiers, limitant sa capacité à investir dans des secteurs clés pour relancer l’économie. Toutefois, à la différence de la Grèce, la Tunisie ne bénéficie pas du filet de sécurité qu’offre une union monétaire.
Conséquences pour l’économie tunisienne
Les effets de l’endettement excessif se manifestent de plusieurs façons, dont notamment trois remarquables :
La première, par une réduction des marges budgétaires : une part croissante des ressources publiques est consacrée au service de la dette, au détriment des dépenses sociales et des investissements productifs.
La deuxième, par une risque de crise de balance des paiements : l’incapacité à générer suffisamment de devises accroît le risque de défaut, ce qui pourrait nuire à la crédibilité financière du pays sur les marchés internationaux.
La troisième, par des pressions sociales et économiques : l’austérité imposée par les créanciers alimente les tensions sociales et limite les perspectives de croissance à moyen terme.
Quelles solutions pour une gestion durable de la dette ?
Face à ces défis, la Tunisie doit repenser sa stratégie de gestion de la dette souveraine en adoptant des mesures structurelles et pragmatiques :
En premier lieu, par une diversification des sources de financement : réduire la dépendance aux emprunts en devises étrangères est une priorité. Le développement du marché domestique de la dette, avec des émissions en dinars, pourrait offrir une alternative, même si cela entraîne une hausse des taux d’intérêt locaux.
En deuxième lieu, par un renforcement des recettes en devises : la relance des secteurs exportateurs et du tourisme, combinée à une stratégie ambitieuse pour attirer les investissements directs étrangers (IDE), est essentielle. Les industries à forte valeur ajoutée, comme les TIC et les énergies renouvelables, pourraient jouer un rôle clé.
En troisième lieu, par des réformes fiscales et économiques : l’élargissement de l’assiette fiscale, la lutte contre l’économie informelle et l’optimisation des dépenses publiques sont indispensables pour renforcer la résilience économique.
En quatrième lieu, par une gestion proactive de la dette : la Tunisie doit engager des négociations avec ses créanciers pour restructurer ou reprofiler sa dette, tout en explorant des mécanismes innovants comme les obligations vertes ou les échanges dette-nature.
En cinquième lieu, par une coordination entre politique budgétaire et monétaire :
une meilleure synergie entre la Banque centrale de Tunisie et le gouvernement est nécessaire pour stabiliser le dinar, contenir l’inflation et encourager l’investissement.
Pour autant, une voie étroite mais possible
La Tunisie se trouve à un carrefour critique. La gestion de la dette souveraine, loin d’être une simple question technique, est un enjeu stratégique qui conditionne l’avenir économique du pays.
Si les contraintes actuelles sont réelles, elles ne sont pas insurmontables. Une vision stratégique, alliée à des réformes courageuses et à une mobilisation efficace des ressources, pourrait permettre de restaurer la soutenabilité de la dette tout en répondant aux besoins économiques et sociaux de la population.
La clé réside dans un équilibre délicat entre discipline budgétaire, relance économique et équité sociale.
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A suivre…
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)