L’heure est désormais aux menaces à peine feutrées après le pic des tensions ces dernières semaines entre Paris et Alger. Ainsi, le Garde des Sceaux, Gérald Darmanin évoque notamment un retour sur les accords signés par Paris et Alger en 1968 et 2013. Eclairage.
Nouvel épisode dans les relations tumultueuses entre l’Algérie et l’ancienne puissance coloniale. Dans une initiative considérée par les autorités algériennes comme une ultime provocation, le ministre français de la justice, Gérald Moussa Darmanin, veut mettre fin aux privilèges de visas pour les élites algériennes. Et ce, en remettant en cause le fameux accord de 2013 « qui permet à ceux qui possèdent un passeport diplomatique algérien » de « venir en France sans visa ».
Mesures de rétorsion
Mesure de rétorsion? Le Garde des Sceaux, qui ne cache d’ailleurs pas ses origines algériennes, a annoncé vouloir « supprimer » l’accord intergouvernemental franco-algérien de 2013. Lequel permet à la nomenklatura algérienne de se rendre en France sans visa. Cela marche aussi en sens inverse : les Français possédant un passeport diplomatique peuvent se rendre en Algérie sans demander de visa.
Appliqué depuis le 4 septembre 2014, ce décret évoque « l’exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d’un passeport diplomatique ou de service ». Les voyages peuvent se faire à titre professionnel ou « privé » sur « l’ensemble du territoire de la République française ».
« Il y a un accord de 2013, qui est un accord gouvernemental. Celui-ci permet à ceux qui ont un passeport officiel, un passeport diplomatique algérien, il y en a des milliers […] (de) venir en France sans visa pour pouvoir circuler librement », a-t-il déclaré dimanche 12 janvier 2025 au micro de LCI.
« L’Algérie cherche à humilier la France »
Il a fait référence aux propos du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui a déclaré que « L’Algérie cherche à humilier la France ». Et ce, suite au refus d’Alger de laisser entrer sur son territoire Boualem Naman, 59 ans, dit « Doualemn », un influenceur algérien arrêté à Montpellier jeudi dernier après une vidéo qui appelait à la violence et expulsé vers l’Algérie mais renvoyé en France le soir même.
Le Garde des Sceaux a rétorqué que « toucher les dirigeants ou la plupart des dirigeants algériens qui ont la position de décision d’humiliation, comme l’a évoqué le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, cela me paraît plus intelligent, plus efficace. Et celaa peut se faire très rapidement ». Il a ajouté qu’il était important de « supprimer cette facilité ». Tout en précisant que cette « mesure de rétorsion ne toucherait, en revanche, pas les 10 % de nos compatriotes qui ont des liens de sang, de sol, de culture, y compris les Pieds-Noirs ».
« C’est un pays souverain qui entend le dire et ils ont raison, nous devons les respecter. Mais ils doivent nous respecter aussi. L’Algérie doit respecter la France, la France doit respecter l’Algérie […] Nous sommes dans un moment très critique et cette humiliation qu’on veut nous faire subir n’est pas acceptable », a-t-il martelé.
Pour sa part, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a évoqué vendredi dernier dans un entretien sur LCI, des mesures de rétorsion si Alger « continue l’escalade ».
Parmi les options évoquées figurent une révision des quotas de visas, une réduction de l’aide au développement ou des ajustements dans la coopération bilatérale. « La France n’aura pas d’autre possibilité que de riposter si cette posture persiste », a-t-il déclaré.
« Une campagne de désinformation contre l’Algérie »
En réaction, le ministère algérien des Affaires étrangères a, dans un communiqué, dénoncé avec fermeté ce qu’il a qualifié de « campagne de désinformation » menée par certains courants politiques en France, notamment l’extrême droite, à l’encontre de l’Algérie.
« L’extrême droite, haineuse et revancharde, mène, à travers ses soutiens dans le gouvernement français, une campagne de désinformation contre l’Algérie ». C’est ce qu’on peut-on lire dans ce communiqué qui affirme que l’Algérie « n’est, d’aucune façon, engagée dans une logique d’escalade, de surenchère ou d’humiliation ».
L’arbre qui cache la forêt
Cela étant, il est évident que l’arrestation de l’influenceur algérien et celle de l’écrivain Boualem Sansal– qui « doit retrouver la liberté le plus rapidement possible. L’Algérie, je pense, s’honorerait de le libérer », indiquait le garde des Sceaux,- ne sont que l’arbre qui cache la forêt.
En effet, les relations entre Paris et Alger, déjà tumultueuses, se sont dangereusement dégradées quand Emmanuel Macron- tournant le dos à la traditionnelle position de neutralité de son pays sur l’épineux dossier du Sahara occidental, l’ex-colonie espagnole considérée comme un « territoire non autonome par l’ONU et qui oppose depuis un demi-siècle le Maroc au Front Polisario soutenu par Alger- affirma solennellement le mardi 29 octobre, devant le Parlement du Maroc à Rabat, que « le présent et l’avenir » du Sahara occidental « s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Ouvrant ainsi la voie à un réchauffement avec Rabat et par ricochet provoquant une nouvelle crise avec Alger.
A cela s’ajoute le poids d’un passé colonial qui continue encore de nourrir profondément, de part et d’autre, les mémoires collectives, les rancœurs, les non-dits et les conflits, parfois pour peu de choses. En attendant que les traumatismes de la colonisation et de la guerre d’Algérie finissent par s’apaiser un jour des deux rives de la Méditerranée. Certainement pas, hélas, dans un avenir proche…