Dans le contexte tunisien, la lutte contre l’inflation semble être marquée par des interventions des autorités monétaires qui, en réalité, n’ont eu qu’un impact limité.
La grande vague inflationniste qui touche le pays s’atténue peu à peu, mais sans que les mesures prises n’aient réellement réussi à en maîtriser les causes profondes. Cela met en évidence que ces actions étaient davantage symboliques, destinées à rassurer l’opinion publique, qu’efficaces en termes économiques.
Les décideurs tunisiens ont présenté l’idée d’un cycle de resserrement monétaire, mais sans entreprendre les mesures profondes nécessaires pour réellement affecter l’économie réelle, le tissu des entreprises ou les structures financières et bancaires. En réalité, tout a été construit autour de l’idée d’une inflation « temporaire », une explication commode qui a permis d’éviter des politiques plus douloureuses.
Une inflation en partie exceptionnelle
L’inflation en Tunisie a été exacerbée par plusieurs facteurs : perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales post-Covid, hausse des prix des matières premières, et impacts des crises géopolitiques internationales. Ces éléments, combinés à une politique budgétaire et monétaire peu adaptée, ont contribué à une flambée des prix.
Cependant, une partie de cette inflation était effectivement temporaire, liée à des causes exogènes. Le ralentissement de cette dynamique était donc, dans une certaine mesure, inévitable. Les autorités n’ont eu qu’à prévenir les « effets de second tour », notamment la spirale salaires-prix, où une augmentation des salaires aurait pu alimenter encore davantage l’inflation.
Une politique de contention salariale
En Tunisie, la pression salariale est restée relativement contenue, malgré des revendications syndicales croissantes dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat. Les entreprises, pour leur part, ont profité de la hausse des prix pour améliorer leurs marges bénéficiaires, mais cela n’a pas conduit à une véritable escalade salariale.
La question essentielle aujourd’hui est de savoir si, avec la dissipation des facteurs exceptionnels, une inflation résiduelle persistera et dans quelle mesure la dynamique salariale pourrait évoluer.
Des perspectives inquiétantes
À plus long terme, des enjeux plus complexes se profilent pour la Tunisie :
Le premier enjeu, la transition énergétique et climatique, qui pourrait générer de nouvelles pressions inflationnistes.
Le deuxième enjeu, les tensions géopolitiques et commerciales, qui compliquent l’accès aux ressources stratégiques.
Le troisième enjeu, la démondialisation progressive, qui pourrait augmenter les coûts des importations dans un pays déjà dépendant de l’extérieur.
Ces défis devraient être anticipés, car ils risquent d’amplifier les inégalités dans le partage des ressources et des revenus.
Une « désinflation immaculée »
Contrairement aux grandes économies, la Tunisie n’a pas connu de véritable resserrement monétaire. Bien que les taux directeurs aient été relevés, les conditions financières n’ont pas été significativement durcies. Les liquidités dans le système bancaire ont permis d’absorber ces ajustements et la spéculation a continué à prospérer dans certains secteurs.
En effet, les marchés financiers et immobiliers tunisiens, malgré les signaux d’alerte, restent relativement dynamiques. Cela reflète une tendance où le risque n’est pas perçu comme une contrainte majeure.
Une ère de désengagement structurel
Depuis plusieurs années, la Tunisie semble évoluer dans un contexte où la rigueur budgétaire et monétaire est davantage un discours qu’une réalité. La montée des déficits publics, couplée à une gestion laxiste des réserves et des liquidités, limite les marges de manœuvre des autorités.
Le système économique tunisien n’a pas réussi à amorcer une réduction des risques ni à encourager un désendettement sain. La spéculation, notamment dans l’immobilier et les secteurs financiers, continue de jouer un rôle dominant.
Vers une politique plus réaliste?
Pour éviter de prolonger cette ère de vulnérabilité, la Tunisie devra s’engager dans des réformes structurelles ambitieuses. Cela implique une coordination entre politiques monétaires, fiscales et budgétaires pour répondre aux enjeux actuels, tout en préparant l’économie aux défis de demain.
En somme, la « désinflation immaculée » observée en Tunisie pourrait s’avérer n’être qu’un répit temporaire. Sans une réponse adaptée, le pays risque de retomber dans des cycles inflationnistes récurrents, accentués par des vulnérabilités structurelles et des tensions socio-économiques croissantes.
A suivre…
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)