Finalement, les électeurs allemands ont dit leur mot dans les élections législatives anticipées tenues dimanche 23 février. Tôt lundi matin, les résultats sont clairs. En effet, le taux de participation le plus élevé depuis des décennies en Allemagne a donné le plus de voix aux chrétiens-démocrates et à leur parti frère, l’Union chrétienne-sociale. Cela veut dire certainement que le prochain chancelier sera Friedrich Merz, un homme d’affaires qui pilote son propre avion privé et qui convoite depuis longtemps le poste de chancelier.
Déception chez les partisans de l’Alliance pour l’Allemagne (AfD). Certes le parti d’extrême droite a doublé sa part de voix par rapport au dernier scrutin de 2021, mais il est loin de la « performance » que lui prédisaient les sondages, et ce malgré (ou à cause ?) du soutien que lui ont apporté le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio et le milliardaire Elon Musk.
Son exploitation politique durant la campagne électorale de la série d’attaques meurtrières perpétrées par des migrants au cours des derniers mois n’a pas aidé non plus l’AfD à avoir les voix espérées.
La surprise est venue non pas des résultats des élections, mais du discours de Friedrich Merz, le prochain chancelier. Étonnamment, il n’a même pas attendu les résultats définitifs pour annoncer aux Allemands qu’il œuvrera pour rendre l’Europe indépendante des États-Unis et réévaluer la nature et le rôle de l’OTAN.
« Ma priorité absolue, a-t-il dit, sera de renforcer l’Europe le plus rapidement possible afin que, étape par étape, nous puissions réellement obtenir notre indépendance vis-à-vis des États-Unis. Je n’aurais jamais pensé devoir dire une chose pareille. Mais après les déclarations de Donald Trump la semaine dernière, il est clair que les Américains, du moins cette partie des Américains, cette administration, sont largement indifférents au sort de l’Europe ».
Concernant l’OTAN, Friedrich Merz a déclaré : « Je suis très curieux de voir comment nous nous dirigeons vers le sommet de l’OTAN à la fin du mois de juin. Si nous allons encore parler de l’OTAN sous sa forme actuelle ou si nous devrons établir une capacité de défense européenne indépendante beaucoup plus rapidement. »
Le prochain chancelier a également déclaré que « l’Allemagne devrait reconsidérer le programme de partage nucléaire de l’OTAN. » Rappelons que des armes nucléaires américaines sont stockées dans cinq pays européens, dont l’Allemagne.
Un tel discours ne peut pas déplaire à la nouvelle administration américaine. Trump pourrait accueillir favorablement les déclarations de Friedrich Merz. Le président américain ne cesse de faire pression pour que les pays européens dépensent davantage pour leur armée et soient moins dépendants des États-Unis en prenant en charge leur propre défense.
Stigmatisant les « ingérences étrangères » dans les élections allemandes, Merz a déclaré : « « Je ne me fais absolument aucune illusion sur ce qui se passe du côté américain. Il suffit de regarder les récentes interventions de M. Elon Musk dans la campagne électorale allemande – c’est un événement unique. Les interventions de Washington n’ont pas été moins dramatiques et drastiques et finalement scandaleuses que celles que nous avons vues de Moscou. Nous subissons une pression si massive de deux côtés que ma priorité absolue est désormais de créer l’unité en Europe. »
La rengaine de l’intervention dans les élections européennes et américaines est devenue habituelle des deux côtés de l’Atlantique. De simples commentaires anonymes postés sur les réseaux sociaux sont devenus des prétextes pour contester ou même annuler des élections, comme cela s’est passé en Roumanie en novembre dernier.
Les deux partis frères (Chrétiens-démocrates et Union chrétienne-sociale) seront le pilier de l’Alliance sur laquelle comptera Friedrich Merz pour former son gouvernement. Il a promis de ne pas collaborer avec l’AfD. Ce qui signifie qu’il devra former un gouvernement avec les sociaux-démocrates et éventuellement les Verts.
Malgré les sondages qui lui prédisaient une troisième place, le chancelier Olaf Scholz a affirmé jusqu’au bout qu’il parviendrait à conserver son poste. Il s’est trompé. Son parti social-démocrate a obtenu un score historiquement bas de 16 %, se classant troisième. Scholz continuera de gérer les affaires courantes jusqu’à l’investiture de Friedrich Merz. Les commentateurs allemands pensent qu’il prendra sa retraite politique dès l’entrée en fonction du nouveau gouvernement. Il aura largement le temps de méditer sur le rôle désastreux qu’il a joué dans la désindustrialisation de l’Allemagne et les difficultés économiques et sociales inédites qui minent le pays.
Mais son parti survivra sans doute. Il aura probablement un strapontin dans un gouvernement dirigé par les conservateurs. La « grande coalition » qui a soutenu Mme Angela Merkel pendant trois de ses quatre mandats, pourrait être une bonne chance pour le nouveau chancelier de former un gouvernement stable dans une période tumultueuse pour l’Allemagne.