Le journaliste et écrivain tunisien Ahmed Nadhif nous offre un ouvrage essentiel avec « Troisième exil : la présence palestinienne en Tunisie (1974-1994) », publié aux éditions Nirvana.
Écrit en langue arabe, ce livre explore une période charnière de l’histoire palestinienne, marquée par le transfert de la direction de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et de milliers de combattants et d’intellectuels en Tunisie, suite à l’invasion israélienne de Beyrouth en 1982. Loin des champs de bataille, ces exilés ont dû réinventer leur lutte dans un pays calme, loin des frontières de la Palestine occupée.
Une histoire qui commence par un reportage
L’écrivain explique que tout a commencé par une proposition de reportage sur l’agression israélienne contre la banlieue de Hammam Chott en 1985, où se trouvait le siège central de l’OLP. Ce reportage, publié dans le journal libanais Assafir, visait à commémorer le trentième anniversaire de cet événement et à honorer ses martyrs. Peu à peu, ce travail s’est transformé en une quête plus profonde : raconter les événements majeurs vécus par l’OLP en Tunisie, mais aussi les détails, les histoires méconnues, les déceptions et les victoires qui ont marqué cette période.
Pourquoi la Tunisie?
Dans son livre, Ahmed Nadhif revient sur le choix de la Tunisie comme terre d’exil pour la direction palestinienne. Loin des zones de conflit, la Tunisie offrait un havre de paix, mais aussi un défi pour des combattants habitués à l’action directe. Comme l’explique Nadhif : « La géopolitique de la région portait une réponse implicite. Après les événements du Septembre noir en Jordanie et l’isolement de l’Égypte suite aux accords de Camp David, la Tunisie est apparue comme la seule option viable. » Cependant, ce choix n’était pas sans controverse, certains y voyant un signe de détachement progressif de la lutte armée.
Une présence palestinienne peu documentée
« Ce qui m’a toujours frappé, c’est l’absence presque totale d’études ou de livres sur cette présence palestinienne en Tunisie, qui a pourtant transformé le pays en une capitale régionale durant les années 1980 et le début des années 1990 », nous explique l’auteur. Pourtant, l’OLP et ses dirigeants étaient proches d’un large éventail d’intellectuels et de journalistes tunisiens. À quelques exceptions près, comme les mémoires de Maher Abdel Rahman ou les écrits du journaliste Abdel Raouf El-Mekademi sur l’assassinat de Khalil Al-Wazir (Abou Jihad), il existe peu d’œuvres ayant documenté cette expérience sous des angles subjectifs. Paradoxalement, l’un des livres les plus approfondis sur le sujet a été écrit par un officier de sécurité tunisien, le commandant Nouri Bouchaala, dans ses mémoires.
Les défis de l’écriture historique
Écrire sur cette période n’a pas été sans difficultés. L’accès aux sources est un défi majeur. Les archives tunisiennes restent fermées, notamment en ce qui concerne les relations avec l’OLP ou Israël. Du côté palestinien, les archives de Yasser Arafat en Tunisie ne sont toujours pas accessibles aux chercheurs. En l’absence de documents arabes écrits, l’auteur doit se contenter de sources étrangères, notamment américaines, israéliennes et françaises, ainsi que de témoignages oraux et d’archives de journaux et de périodiques. Bien que précieuses, ces sources restent insuffisantes pour répondre aux exigences d’une écriture historique rigoureuse.
Un livre nécessaire
Nous estimons que « Troisième exil« comble un vide important. À travers des récits vivants et des analyses approfondies, Ahmed Nadhif nous plonge dans une période méconnue mais cruciale de l’histoire palestinienne. Ce livre, écrit en arabe, est bien plus qu’un simple récit historique : c’est une tentative de comprendre comment une révolution s’adapte à l’exil; comment des combattants réinventent leur lutte loin de leur terre natale. Et comment la Tunisie est devenue, pendant un temps, le cœur battant de la cause palestinienne.