Le télétravail, bien qu’en plein essor depuis la pandémie de Covid-19, ne constitue pas une solution universelle. Selon Kamel Beji, professeur à la Southern Mediterranean University et expert en économie du travail, son efficacité varie selon les secteurs d’activité et les contextes d’application. Si cette pratique présente des avantages certains pour des domaines comme les services ou les technologies de l’information, elle se heurte à des obstacles structurels et culturels en Tunisie, où son adoption généralisée reste un défi majeur.
Pour les secteurs adaptés, le télétravail offre des avantages significatifs. Il permet une meilleure concentration, réduit les interruptions fréquentes au bureau et assure une flexibilité appréciée des employés comme des employeurs. Dans les métiers créatifs ou les technologies de l’information, cette modalité facilite une organisation du travail plus fluide et une productivité accrue. Kamel Beji souligne que pour certains domaines, tels que les services, les technologies de l’information ou les métiers créatifs, le télétravail peut s’avérer une excellente option.
Les limites du télétravail : socialisation et innovation en question
Cependant, le télétravail ne peut se substituer entièrement aux bénéfices du travail en présentiel. Le lieu de travail traditionnel reste un espace essentiel de socialisation et de communication interpersonnelle, crucial pour la cohésion d’équipe et l’innovation, explique Kamel Beji. Il cite l’exemple du Canada, où la réduction des interactions informelles entre collègues a parfois affecté la dynamique collective. En Tunisie, cette problématique est aggravée par des obstacles supplémentaires, tels que le manque d’infrastructures numériques adaptées, une connectivité internet inégale et une culture organisationnelle encore fortement ancrée dans le présentiel.
Les défis spécifiques à la Tunisie
En Tunisie, les défis du télétravail sont multiples. Le premier obstacle réside dans l’infrastructure numérique, selon Kamel Beji. La qualité de la connexion internet varie considérablement selon les régions, ce qui accentue les inégalités. Les zones rurales, en particulier, souffrent d’un réseau insuffisant, limitant les possibilités de travail à distance. Un autre problème majeur est l’absence de cadre réglementaire clair. À ce jour, le pays ne dispose pas d’une législation spécifique encadrant cette pratique, que ce soit dans le secteur public ou privé, générant une insécurité juridique pour les deux parties, précise-t-il.
De plus, la culture organisationnelle tunisienne privilégie encore largement la présence physique au bureau, souvent perçue comme un gage de productivité. Cette situation est exacerbée par une crise de confiance persistante depuis 2011. Le télétravail exige pourtant un haut niveau de confiance mutuelle entre employeurs et employés, ainsi que des outils efficaces pour évaluer la performance à distance, souligne Kamel Beji.
Enfin, certains secteurs ne se prêtent tout simplement pas au télétravail, ce qui limite son adoption généralisée. Pour surmonter ces défis, des efforts concertés sont nécessaires, notamment en matière d’infrastructures, de réglementation et de changement des mentalités au sein des entreprises.
Vers un équilibre entre présentiel et télétravail
En résumé, bien que le télétravail présente des avantages certains pour certains secteurs, il ne remplace pas entièrement les bénéfices du travail en présentiel. L’idéal serait de trouver un équilibre entre les deux modalités, en tenant compte des besoins spécifiques de chaque organisation et de chaque employé, estime Kamel Beji. Pour la Tunisie, cela implique également de relever les défis infrastructurels et culturels afin de tirer pleinement parti des opportunités offertes par cette pratique.
Kamel Beji conclut que, loin d’être une solution miracle, le télétravail doit être envisagé comme un outil complémentaire, dont l’efficacité dépendra des efforts déployés pour en surmonter les limites.
Pour découvrir la suite de cette interview, rendez-vous dans le numéro 916 de L’Économiste Maghrébin, en kiosque du 26 mars au 9 avril 2025.