On n’a pas vu venir le boulet avec une telle rapidité et une telle brutalité. Pourtant, toute la planète s’y préparait. Il était dans tous les esprits dès l’investiture, et même bien avant, du président américain. La guerre des tarifs douaniers déclarée par Donald Trump, nous a, une fois de plus, pris de court. Nos regards étaient braqués sur les principaux protagonistes : Etats-Unis, Europe, Canada, Mexique, Chine, Russie… On ne se voyait pas – du moins directement – concerné par cette conflagration mondiale tant redoutée. A croire que seules les puissances industrielles établies ou montantes, par qui l’essentiel du déficit commercial américain arrive, étaient dans le viseur de l’ancien et nouveau locataire de la Maison-Blanche. La cause est entendue : le tsunami douanier trumpien n’a pas épargné les pays des lointaines périphéries qui pèsent peu dans le déficit de la balance commerciale américaine.
La Tunisie n’a pas été épargnée du délire trumpien. Elle s’est vu infliger une hausse des droits de douane de pas moins de 28% sans réel motif de représaille commerciale. Le nouvel ambassadeur américain, qui vient de prendre ses quartiers à Tunis, ne pouvait se prévaloir d’un meilleur cadeau, pour le moins peu rassurant. On eut souhaité qu’il soit porteur d’un projet d’accord de libre-échange à la hauteur du poids de l’histoire des relations tuniso-américaines.
Le président américain n’a pas hésité longtemps avant de déclarer la guerre commerciale, avec les conséquences que l’on redoute, au seul bénéfice de l’économie américaine. Il ne fait que traduire dans les faits, avec la brutalité qu’on lui connait, ses slogans de campagne : «America First et Make America Great Again ». Il entend rétablir ainsi la suprématie économique de l’Amérique, comme si le déficit américain est lié à la seule taxation à la frontière, alors que la fiscalité américaine, en comparaison avec le reste des pays occidentaux industrialisés, est des plus clémentes et confine au dumping. Le but proclamé est de réduire drastiquement les importations, tout en obligeant les entreprises étrangères coupables d’agressivité commerciale d’investir sur le sol américain pour contourner les barrières douanières suffisamment dissuasives. Il est peu probable que ce brûlot, ce meccano tarifaire douanier, contribue efficacement à la relocalisation des investissements et au réarmement industriel américain. Si cela pouvait se faire, le faible coût de l’énergie à l’avantage des entreprises américaines y aurait largement contribué. La hausse des droits de douane, l’arme de dissuasion massive qu’affectionne.
Donald Trump, ne garantit en rien un rapatriement des investissements américains ni un afflux massif d’investissements étrangers. L’Inflation Reduction Act, aux motivations semblables, instituée par son prédécesseur, n’a pas eu beaucoup d’effet au point de changer le paysage industriel mondial.
Donald Trump, ne garantit en rien un rapatriement des investissements américains ni un afflux massif d’investissements étrangers. L’Inflation Reduction Act, aux motivations semblables, instituée par son prédécesseur, n’a pas eu beaucoup d’effet au point de changer le paysage industriel mondial. Donald Trump prend d’énormes risques à vouloir verrouiller, voire fermer les frontières pour faire barrage à la déferlante des importations et bloquer – fût-ce par la force – toutes les voies de l’immigration non voulue ou non choisie. Il ne peut faire de l’Amérique le pays de l’investissement sans s’en donner les moyens humains, en refoulant hors des frontières les millions de personnes en situation irrégulière, mais qui ne contribuent pas moins à la croissance du PIB américain, l’une des plus fortes du monde occidental. Cette stratégie funeste manque visiblement de cohérence.
Le président Trump ne peut faire de l’Amérique le pays phare de l’investissement mondial aux dépens de ses alliés et partenaires – si tant est qu’il en a – et priver au même moment les entreprises qui s’y installent de volant de main-d’œuvre, de soupape de sécurité et de marge de manœuvre. Les robots ne peuvent se substituer partout à l’humain.
Le résultat est écrit d’avance : une hausse inexorable des salaires et des prix, suivie d’une dépréciation du dollar. Et au final, la récession, sinon la dépression pour tous. Comment peut-on à ce point tourner le dos aux enseignements de l’histoire, alors que la crise de 1929 est dans tous les esprits ? La guerre des tarifs au nom d’un protectionnisme porté à son paroxysme ne mène nulle part, sinon à un crash mondial des économies, à des guerres et à une dérive dangereuse des continents.
Trump ne peut réécrire l’histoire ni empêcher par des moyens à très hauts risques la Chine de contester aux Américains leur suprématie technologique et économique et sans doute demain, militaire. Son arrogance, son aventurisme et son mépris érigé en règle de gouvernement finiront par révéler leurs propres limites.
Et pour cause ! Les puissances industrielles, Chine en tête, traitées avec désinvolture, ne manqueront pas de riposter d’une manière ou d’une autre. Elles ne seront pas sans voix et sans moyens de réaction, en imposant à leur tour de nouvelles taxes douanières qui feront peut-être infléchir les décisions américaines.
Dans tous les cas de figure, elles chercheront à se défendre de manière plus subtile, en donnant plus de chair au phénomène de recomposition des chaines de valeur et d’approvisionnement, à des fins d’économie des coûts de production. Les entreprises en mal de compétitivité sur le marché américain seraient incitées à accélérer et intensifier le processus de délocalisation de leurs activités pour atténuer l’effet nocif des droits de douane américains. Ce scénario est loin d’être une simple vue de l’esprit. Il paraît réaliste et est même fort probable. D’où tout son intérêt.
Certes, nos économistes et experts ne voient que le côté sombre de la guerre des tarifs douaniers. Ils mettent en garde contre la chute du commerce mondial et la récession, notamment en Europe, qui vont percuter nos exportations et ajouter chez nous de la crise à la crise déjà ancienne.
La Tunisie n’a pas été ménagée par Donald Trump, tant s’en faut. Et elle ne dispose d’aucun moyen de riposte digne de ce nom. C’est le pot de terre contre le pot de fer. Notre huile d’olive sera vendue 28% plus cher encore qu’il n’a pas fallu attendre cette nouvelle taxation pour nous mettre en difficulté sur le marché américain, là où on s’était bâti un nom et une réputation. On s’en est chargé nous-mêmes et par nos propres soins. Nos exportations de produits textiles sont peu significatives pour peser sur notre balance commerciale. Avec cette précision près que nous sommes, depuis une décennie, en perte de vitesse sur notre principal marché européen. Le déclic viendrait-il d’outre-Atlantique pour sonner le réveil et revitaliser un secteur clé de l’industrie tunisienne? L’occasion pour nous de surfer sur cette guerre des tarifs douaniers.
Il y a comme un effet d’aubaine qui peut tourner à l’avantage de l’économie tunisienne. Certes, nos économistes et experts ne voient que le côté sombre de la guerre des tarifs douaniers. Ils mettent en garde contre la chute du commerce mondial et la récession, notamment en Europe, qui vont percuter nos exportations et ajouter chez nous de la crise à la crise déjà ancienne. Mais l’idée que dans ce climat chargé de nuages, il peut y avoir un petit rayon lumineux, n’est pas illégitime. Elle nous semble même d’actualité.
Le site Tunisie, s’il retrouve l’attractivité qui fut la sienne du temps de la loi 1972, pourrait servir de nouveau de levier pour relancer la compétitivité des entreprises européennes, voire asiatiques. Nous devons négocier au mieux notre insertion, en nous imposant dans les chaînes d’approvisionnement et de valeur frappées du sceau du nearshoring, voire du friendshoring. Les entreprises étrangères aux stratégies planétaires pourraient en bénéficier pour réduire au maximum leur coût de production et gagner en compétitivité sur le marché américain.
Il y a mieux à leur offrir en termes de compétences humaines que le low cost. Le pays doit profiter de cette nouvelle fenêtre de tir pour amorcer une montée en gamme et cibler les activités à forte intensité technologique et de recherche. Là où les gains de productivité et la réduction des coûts sont les plus importants et les plus décisifs. A charge pour nous d’assurer un climat d’affaires suffisamment attractif, exempt de tout reproche, de quelque nature qu’il soit : une bureaucratie paralysante, une fiscalité au demeurant confiscatoire, inéquitable et d’une incroyable instabilité, des procédures douanières ambivalentes, un système de change et une législation du travail peu en rapport avec les temps modernes et les exigences de la compétition économique mondiale.
Qu’il faille moraliser la vie économique, éradiquer la corruption, réprimer les excès, les outrances, rétablir dans leurs droits les salariés, oui et mille fois oui, mais pas au prix de graves torsions aux effets néfastes sur l’investissement, l’emploi et la pérennité des entreprises. Le bien n’est pas toujours l’ennemi du mal.
La guerre des tarifs déclenchée par le Président Trump est, sans conteste, une sérieuse menace pour nous, tout autant qu’elle constitue une réelle opportunité qu’il faut savoir exploiter au plus vite.
La guerre des tarifs déclenchée par le Président Trump est, sans conteste, une sérieuse menace pour nous, tout autant qu’elle constitue une réelle opportunité qu’il faut savoir exploiter au plus vite. Car nous ne sommes pas les seuls concernés. D’autres que nous, qui ne font pas mystère de leur ambition en la matière, sont également à l’affût et pourraient s’en saisir. Dans cette course, dans ce combat à l’issue incertaine, nous avons de réels atouts, si l’on parvient à nous débarrasser de certaines reliques des économies administrées, à rompre le statuquo, à nous inscrire dans le mouvement, l’action et dans une vision disruptive.
Nous vivons une situation où l’incertitude le partage au risque imminent et à la peur déclenchée par l’éventualité d’une crise économique mondiale d’ampleur inégalée. Aujourd’hui, sans doute plus qu’hier, la Tunisie est à la croisée des chemins. Son positionnement stratégique pourrait faire d’elle un carrefour au croisement d’un important réseau de chaînes de valeur, et donc une destination de choix pour les investissements étrangers en butte aux droits de douane outranciers américains. A condition que nos lois, notre état d’esprit et le regard que nous portons sur les investisseurs – et pas qu’étrangers – soient conformes au standard en cours chez les dragons économiques d’Asie et d’ailleurs.
On ne peut pas vouloir les attirer et en même temps ne pas se faire à l’idée qu’ils puissent s’enrichir, si tant est que cela soit possible. Ni qu’il faille au même moment les accabler à force de suspicion, de méfiance, de contrôle abusif et arbitraire. Il faut savoir ce que l’on veut. A nous de choisir.
L’édito est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n° 917 du 9 au 23 avril 2025.