Les déclarations contradictoires du porte-parole, du Directeur exécutif, de certains députés et dirigeants, le 8 mars 2015, traduisent des tensions au sein de Nidaa Tounes. La décision de différer la formation du Bureau Politique aurait pour objectif de » clarifier la situation et d’éviter, à l’avenir, les soubresauts qui ont lieu actuellement au sein de Nidaa Tounes » (déclaration de Mohsen Marzouk, Radio Mosaïque Fm, 8 mars 2015). Cette pause de réflexion permettra-elle de dépasser les divergences et d’assurer la concordance, entre les dirigeants de l’establishment du parti.
Cette crise devrait être étudiée et analysée. Mouvement de rassemblement populaire, plutôt que simple parti, Nidaa Tounes manque d’homogénéité, au sein de sa direction et de sa base: il a réuni, sous la direction de son leader Béji Caïd Essebsi, ultime recours face à la troïka, des anciens communistes, des hommes divers gauche, des syndicalistes, des Destouriens et des indépendants. Sa réussite, dans les élections parlementaires et présidentielles a assuré le rééquilibrage des forces politiques et mis, à l’ordre du jour, l’alternance politique. Elle consacre la soft révolution tunisienne, qui a corrigé l’itinéraire politique et mis fin au gouvernement de la troïka. Cependant, l’élection de son leader à la Présidence de la République l’a privé de son dirigeant charismatique et de son arbitrage consensuel. Conséquence collatérale, la victoire de Nidaa Tounes a ouvert l’horizon de l’enjeu de la prise du pouvoir et des rivalités qui en résultent.
Des secousses ont, d’ailleurs, failli ébranler le parti, lors de la formation du gouvernement de Habib Essid. Nidaa Tounes accepta qu’on confie la direction du gouvernement, à une personnalité indépendante. Mais les états d’âme de l’épreuve de l’exclusion ont marqué la direction du parti. « La blessure guérit mais les cicatrices restent ». D’autre part, la décision d’associer – ne fût-ce que symboliquement Ennahdha au gouvernement ! – a suscité une certaine opposition interne, qui dénonce l’alliance contre nature.
Ce climat de tension ne pouvait que favoriser les manœuvres et la lutte des clans, entre des dirigeants de différentes obédiences. La querelle relative à l’élargissement du comité fondateur, par un processus correctif et un ralliement tardif traduit ce climat de tension. Conséquence des divergences, Nidaa Tounes a différé la formation de son bureau politique, après avoir reporté son congrès constitutif. N’aurait-il pas fallu plutôt dépasser l’étape du Comité Consultatif, une institution provisoire et donner les rênes du pouvoir à un bureau politique élu. Le Comité consultatif consacre un processus d’héritage des anciens, relativisant les nouveaux apports qui ont assuré la victoire électorale.
Autre contentieux non négligeable, les décalages entre les dirigeants et la base et entre les instances centrales et les coordinations régionales et locales. Des militants affirment que « les portes des bureaux de Nidaa Tounes sont fermées et ses téléphones ne répondent plus, depuis la démission de Béji Caïd Essebsi ». Privé de son leadership, le parti risque l’implosion. Est-ce à dire que le parti adopte désormais le système politique américain, où les deux grands partis restent en veille, jusqu’aux campagnes électorales, qui assurent leur remise en action et leur dynamisation populaire. Un tel processus ne correspond pas à la situation tunisienne, où le parti est censé assurer l’encadrement de ses militants, leur constante écoute et la prise en compte de leurs problèmes. Dans ce contexte révolutionnaire d’habilitation citoyenne, Nidaa Tounes devrait instituer le dialogue, comme méthode d’action et volonté de mobilisation. Dissipons les malentendus, combattons les guerres de clans et mettons à l’ordre du jour cette institution politique, un pari sur l’ouverture, la modernité, la démocratisation et le développement global.