(Cet article est la deuxième partie d’une réflexion sur les retombées positives (sur l’économie) d’une réforme sérieuse du système éducatif publiée chez l’intermédiaire en Bourse MAC SA). Nous proposons dans cette deuxième partie de donner un éclairage sur les conditions de réussite d’une réforme sérieuse pour éviter qu’elle ne soit contre-productive.
L’amélioration de la qualité des diplômes
Pourquoi l’école de la République d’aujourd’hui excelle dans la formation des chômeurs, alors que celle des années 60 et 70 a permis à la Tunisie de rayonner avec des diplômés haut de gamme ?
Une situation alarmante, 242 000 diplômés de l’enseignement supérieur se trouvent actuellement au chômage. Un travail de longue haleine s’impose pour redresser la situation.
* L’amélioration de la qualité des diplômes pourrait générer plus d’entrées de devises pour l’économie tunisienne. Nous pourrons repérer trois canaux [Figure 2]:
- D’abord, l’amélioration de la qualité des diplômes, serait déterminante pour faciliter l’insertion des diplômés tunisiens sur les marchés étrangers ;
- Ensuite, la qualité du diplôme pourrait attirer d’avantage des étudiants étrangers (surtout africains) pour poursuivre leurs études dans les universités tunisiennes;
- Enfin, la bonne réputation des diplômés des universités de médecine pourrait aussi renforcer l’attractivité des hôpitaux et des cliniques tunisiens pour les patients étrangers, au delà de la communauté libyenne.
Bref, une manne en devises pour une économie criblée de déficits chroniques (courant et budgétaire).
* L’amélioration de la qualité des diplômes serait déterminante pour booster l’employabilité des jeunes, et du coup inverser la courbe du chômage des diplômés des institutions universitaires. Une situation très bénéfique pour un pays comme la Tunisie. Sur le plan économique, le recul du chômage des diplômés impacte positivement l’activité économique, via la hausse de la demande générée par les salaires des nouveaux recrutés. Et sur le terrain social, il faudrait s’attendre à un net recul de la pauvreté et des inégalités dans la société. Toutefois, il faut signaler que la hausse de l’employabilité des jeunes dépend aussi de la valorisation des filières professionnalisantes au sein de l’enseignement supérieur.
Le rapprochement entre l’enseignement et la recherche scientifique
L’éducation et la recherche sont des facteurs de croissance économique. Les approches nouvelles de la croissance nous enseignent que les différences observées dans les niveaux de croissance du PIB entre les pays traduisent à la fois la différence dans la place qu’occupent les politiques de recherche R&D dans les programmes économiques et les différences entre les systèmes éducatifs qui déterminent l’offre de travail qualifiée.
Une bonne réforme du système éducatif devrait rehausser la qualité de l’enseignement supérieur et du coup, développer et optimiser la recherche scientifique. Elle pourrait, d’une part, faciliter l’adoption de nouvelles technologies permettant de rehausser le niveau de productivité des facteurs de production, et d’autre part, augmenter l’offre de chercheurs et renforcer les effets incitatifs des politiques de subvention à la R& D sur l’innovation [Figure 3].
La réforme de l’université est incontournable, si la Tunisie a l’intension d’arracher une place respectable dans l’univers de la recherche scientifique de qualité. Une université à la marge des débats sur l’économie numérique, sur le développement régional, sur la gestion des déchets, sur la ville durable, sur l’extraction du gaz de schiste, sur les énergies renouvelables, sur la réforme du système financier,etc. C’est une université morte qu’on peut qualifier d’anti-chambre du chômage.
En somme, c’est à travers le canal de la recherche scientifique que l’économie de l’innovation s’enracine dans le tissu économique tunisien. L’amélioration de la qualité et l’émergence de produits innovants boostent la compétitivité de l’économie, et contribuent fortement à résorber le déficit chronique de la balance commerciale.
L’heure de la réforme ne devrait pas tarder à sonner
Le nouveau gouvernement serait-il en mesure d’abandonner le chemin des réformes cosmétiques et des reculades à répétition, et de réussir la transformation des modes de régulation au sein des bureaucraties scolaires ?
Une réforme sérieuse doit démarrer par le dressage d’un bilan circonstancié des anciennes réformes du système éducatif.
La réforme du système éducatif devrait s’inscrire dans la démocratie de l’accès au savoir. Or, une telle ambition suppose plus d’égalité dans l’accès à l’école de la République. Ce qui remet sur la table l’urgence d’une rénovation de l’infrastructure (surtout le transport) dans les régions défavorisées, afin de faciliter l’accès des élèves de ces régions à l’école.
La réforme du système éducatif devrait déboucher sur une amélioration de la qualité des diplômes et un très net recul de l’échec et de l’abandon scolaires. Or, le tissu économique tunisien est-,il adapté pour absorber l’ensemble des diplômés ? Certes, avec l’amélioration de la qualité de l’output des universités tunisiennes, nous devrons nous attendre à une attractivité accrue de jeunes diplômés par des entreprises étrangères. Mais, il est certain que l’économie tunisienne, une économie plus basée sur la sous-traitance, ne pourrait pas embaucher la totalité du « stock » des diplômés. Ainsi, les autorités tunisiennes se retrouvent confrontées à un double défi :
- Développer un service de formation professionnelle de qualité, pour répondre à un besoin croissant pour les petits métiers exigeant une certaine technicité. Des formations capables de séduire aussi bien les élèves que leurs parents;
- Réussir la mutation de l’économie tunisienne vers une économie d’innovation, fort « consommatrice » de diplômés de l’enseignement supérieur.
La Tunisie pourrait se vanter de la réussite d’une réforme du système éducatif uniquement aux conditions suivantes :
- Au niveau de l’enseignement primaire et secondaire: à travers l’instauration des concours de qualité (sixième, neuvième et bac), le recul de l’abandon scolaire, la valorisation de l’enseignement professionnel, le dégonflement de la bulle des heures de soutien scolaire, et la nomination des chefs d’établissement selon le mérite et non selon des considérations politiques ou syndicales;
- Au niveau de l’enseignement supérieur: à travers l’amélioration de l’employabilité des jeunes diplômés, la hausse du nombre annuel de brevets et le rayonnement des publications scientifiques des chercheurs tunisiens sur le « marché » de la recherche scientifique. Un rayonnement qui sera couronné par un meilleur classement des universités tunisiennes dans les comparaisons internationales.
En somme, l’investissement dans un système éducatif de qualité est un placement à terme pour retrouver un niveau de croissance capable de ramener le taux de chômage à son niveau naturel. La réussite de la réforme suppose, certes, le dialogue et la concertation entre les acteurs (enseignants, parents d’élèves, étudiants, experts, …) loin du lobbying et du banditisme syndical, mais aussi le courage et l’audace d’affronter les forces du blocage. Une bonne réforme pourrait réussir si les ministres (Education nationale et Enseignement supérieur) ainsi que les premiers responsables des établissements scolaires et universitaires, avaient les yeux rivés sur la qualité de la formation et l’employabilité des jeunes diplômés, plutôt que sur les chances de leur nomination ou réélection, ou encore la réaction de la Place Mohamed Ali.