La mer et le littoral sont les moteurs de l’économie. Du fait de leur situation géographique ouverte sur l’extérieur, les ports et les communautés côtières sont traditionnellement un terreau d’idées nouvelles et d’innovations.
Les différents secteurs de l’économie bleue sont interdépendants. Ils s’appuient sur des aptitudes communes et des infrastructures partagées telles que les ports et les réseaux de distribution d’électricité. Ils sont tributaires de l’utilisation durable de la mer par les autres acteurs. C’est pourquoi, l’économie bleue a pour principal objectif, la stimulation de la croissance bleue tout en préservant les milieux marins. Dans ce cadre, la Commission Européenne (CE) a présenté, le 8 mai 2014, son plan d’action pour l’innovation dans l’économie bleue.
Les secteurs de la pêche, des transports, du tourisme, de la biotechnologie et des énergies renouvelables en mer constituent les axes principaux de ce plan d’action. La priorité de ce nouveau plan est d’accroître les connaissances de ce milieu méconnu. Une carte numérique de l’ensemble des fonds marins européens sera réalisée d’ici 2020.
La Commission Européenne souhaite également développer le dialogue entre les parties prenantes, afin d’identifier les atouts et les freins au développement de l’économie bleue.
De même, la 19ème session du Comité intergouvernemental d’experts de la Commission Economique des Nations unies pour l’Afrique (UNECA), réunie du 2 au 5 mars 2015 à Madagascar sur le thème: « Valoriser l’économie bleue pour le développement de l’Afrique de l’Est », s’est penchée sur les nombreuses opportunités offertes par les eaux, les mers et les océans afin d’accélérer la transformation structurelle et économique des pays de l’Afrique de l’Est.
Dans l’Agenda de l’Union Africaine pour 2063, il est affirmé que « l’économie bleue de l’Afrique représente trois fois la taille de sa masse terrestre, et devrait être le contributeur majeur à la transformation et la croissance du continent ». L’UNECA a affirmé que la productivité provenant des secteurs liés directement ou indirectement à l’économie bleue en Afrique de l’Est est souvent plus élevée que la moyenne de l’ensemble de l’économie.
Aussi, la Banque Africaine de Développement (BAD) a lancé une plate-forme africaine, visant à explorer des pistes de coopération possibles pour développer l’économie bleue de chaque pays d’Afrique et a mis cette question au cœur des discussions sur le futur économique du continent. « Nous avons le droit, en tant que continent, de profiter de nos ressources terrestres et marines. Soutenir le développement de l’économie bleue en Afrique, c’est contribuer au développement commercial de l’Afrique », a déclaré Donald Kaberuka, président de la BAD pendant la réunion annuelle 2014 de cet important établissement.
Analogiquement, et par prolongement, la Tunisie jouissant d’une position géographique privilégiée se trouvant à l’extrémité du Nord-Est de l’Afrique, baignée, au Nord et à l’Est par la mer Méditerranée et jointe à l’Ouest par l’Algérie et au Sud par la Libye, occupe une position de carrefour maritime entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient.
Cette position géographique, qui a fait d’elle un croisement de civilisations par le passé, lui octroie actuellement une place incontournable aussi bien pour l’investissement et la production que pour la consommation. La loi n° 2005-50 du 27 juin 2005 a bel et bien identifié une zone économique exclusive au large des côtes tunisiennes qui s’étend jusqu’à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale comme l’indique la figure 1 ci-dessous empruntée d’un rapport publié en 2010 par la direction générale des politiques internes du Parlement européen et intitulé « Eaux territoriales en Méditerranée et en mer Noire ».
Par conséquent, cet espace privilégié mérite une attention particulière de développement et un appui politique plus que jamais opportun et qui pourra générer une masse inestimable de bénéfices et créer un grand nombre de postes d’emploi tout en améliorant ainsi une bonne partie de la situation économique de notre pays.
Il est aussi à rappeler, qu’historiquement, Carthage qui a vu le jour en 814 av. J.-C. selon la date la plus communément admise, fut appelée « Empire de la mer » en raison de sa thalassocratie fondée sur la prédominance de son commerce maritime, bastion de liaison entre nombreuses cités méditerranéennes. Dans ce cadre, elle fut un point d’ancrage entre les deux bassins de la Méditerranée dont 30% du trafic international maritime y passe actuellement.
Un rapport préparé en 2008 par la Lloyd’s Marine Intelligence Unit pour le Centre Régional Méditerranéen pour l’Intervention d’Urgence contre la Pollution Marine Accidentelle (REMPEC), présente des figures récapitulatives des principales routes maritimes en Méditerranée. Il est évident d’après ces figures qu’une large partie du trafic en Méditerranée passe nécessairement par le canal de Sicile, domaine commun d’autorités maritimes en Méditéranné :
Cependant, et en consultant l’Atlas de 2013 des villes portuaires du Sud et de l’Est de la Méditerranée (PSEM) commandité principalement par la ville de Marseille, nous pouvons remarquer que l’émergence des activités portuaires au sud de la Méditerranée, ne concerne malheureusement pas la Tunisie et sa position stratégique comme le montre la carte ci-dessous :
Par ailleurs, un nombre assez important de ports de plaisance, actuellement saturés, ont été réalisés sur les côtes méditerranéennes de plusieurs pays de la rive nord (81 en Croatie, 191 en Espagne, 124 en France, 135 en Grèce, 253 en Italie et 37 en Turquie). Cependant, et vu les très longues listes d’attente chaque année, certains plaisanciers doivent aller chercher des ports d’accostage jusq’au Cap Vert pour abriter leurs yachts en dehors de la saison estivale. Un simple petit calcul financier montrerait les importants bénéfices à générer par la réalisation de nouveaux ports de plaisance sous-forme de concessions.
Notons aussi qu’un Schéma directeur d’aménagement du littoral tunisien pour les activités de plaisance et de croisière a été réalisé depuis 2005-2006 pour le compte de l’ONTT / Fonds d’Etudes et d’Aide au secteur privé (FASEP) N°611 et que les sites apropriés à la réalisation de nouveaux ports de plaisance ont déjà été identifiés.
Tous ces éléments fournissent un tremplin pour une croissance bleue, l’objectif étant de mobiliser le potentiel inexploité de la mer et des côtes en faveur de l’emploi et de la croissance. Le potentiel est considérable, pour autant que les investissements et les travaux de recherche appropriés soient réalisés. La croissance de l’économie bleue offre des moyens nouveaux et innovants pour aider la Tunisie à sortir de la crise économique qu’elle connaît aujourd’hui. Elle peut contribuer à la compétitivité régionale et internationale du pays, à l’utilisation efficace des ressources, à la création d’emplois et à l’émergence de nouvelles sources de croissance tout en préservant la biodiversité et en protégeant le milieu marin, garantissant ainsi les services fournis par des écosystèmes marins et côtiers en bon état et résilients.
Un processus raisonné réside à stimuler la croissance bleue et l’emploi, tout en préservant les milieux littoraux et marin par le biais d’une utilisation durable et responsable de leurs ressources. En effet, les importantes possibilités en matière d’innovation et de croissance qu’offrent le littoral et la mer garantiront les résultats des efforts à déployer pour promouvoir l’économie bleue.
Plusieurs secteurs essentiels sont au coeur de l’économie bleue, à savoir :
- l’ingénierie et la recherche scientifique ;
- l’immobilier ;
- la pêche et l’aquaculture
- le transport et le commerce maritime
- le tourisme côtier, de croisière de plaisance
- la biotechnologie ;
- l’industrie pharmaceutique et cosmétique ;
- les énergies renouvelables
- les infrastructures ;
- les investissements directs ;
- la protection du littoral et de la mer
- l’exploitation énergétique et
- pipelines de transfert de gaz ou pétrole et câbles sous-marins destinés à acheminer des télécommunications ou à transporter de l’énergie électrique
- le contrôle et la surveillance ; la sécurité et la sûreté maritimes ;
- le dessalement d’eau de mer ;
- les produits aquatiques marins ;
- la coopération : renforcement de la coopération marine et maritime particulièrement en Méditerranée et mise en place de ????????????
- le renforcement des capacités des parties prenantes ; le renforcement des capacités de conservation et de transformation.
Les efforts à entreprendre pour développer une économie bleue devront néanmoins aller au-delà de la construction d’infrastructures vers une stratégie intégrée, et prendre en compte les problématiques liées aux changements climatiques, au déversement des déchets toxiques et aux chaînes d’approvisionnement durables.
Enfin, il est à noter qu’un très important Sommet Mondial sous le thème « L’Economie bleue, mère d’opportunités pour l’Indianocéanie » a eu lieu les 20 et 21 janvier 2014 à Abu Dhabi, (Emirats Arabes Unis) qui est devenu le pays de l’excellence maritime et que le 9ème Congrès Mondial sur l’Economie Bleue vient d’être organisé du 13 au 15 avril 2015 à Surabaya en Indonésie.
L’Union pour la Méditerranée a programmé l’organisation d’une très importante conférence le 27 mai 2015 à Athènes en Grèce, intitulée : «Vers une feuille de route pour un investissement et emplois bleus en Méditerranée».
(*) Ingénieur d’État en Génie Civil et Diplôme d’Études Approfondies en Mathématiques Appliquées. Président de l’Association Tunisienne de l’Ingénierie Côtière, Portuaire et Maritime (ATIM).