Nous publions, en exclusivité, la première partie d’une synthèse de note de politique économique produite par le North Africa Bureau of Economic Studies (NABES Intl.)
La politique d’encouragement à l’entrepreneuriat, amorcée depuis plus d’une décennie avec ses différents mécanismes et instruments a mené à une prolifération du nombre de petites entreprises fragiles. Ces dernières représentent autour de 98% des entreprises privées structurées dans le tissu productif tunisien. Elles sont caractérisées par un taux de disparition relativement élevé et le maintien dans la petite taille. Les petites entreprises ont du mal à croître et sont stagnantes à moyen et long terme ; elles ne contribuent que faiblement à la création d’emplois ; elles n’ont pas les moyens financiers, humains et logistiques qui leur permettent d’innover ; elles sont faiblement productives comparées aux grandes (Étude Banque Mondiale 2014).
Il est important de pousser à la création d’entreprises mais il est tout autant important d’accompagner les entreprises pour survivre et ensuite croître. Les petites entreprises constituent un levier et une base de croissance pour mettre en place un tissu de PME mieux structuré, plus solide et dynamique.
Nombreuses sont les études qui ont mis en avant le fait qu’un ensemble de blocages institutionnels, réglementaires et financiers grèvent la croissance des petites entreprises. On retrouve souvent des facteurs relatifs au climat des affaires, des facteurs liés aux caractéristiques de l’entreprise et de l’activité mais aussi la concurrence déloyale du secteur informel, la corruption, la lourdeur de l’administration. Tous ces facteurs créent un climat d’incertitude, ne favorisent pas l’investissement et rendent les coûts d’extension élevés. Il faut ajouter à cela les difficultés d’accès au financement et son coût élevé particulièrement pour les petites entreprises et un manque d’information et de confiance (en l’Etat) concernant le paiement des taxes et impôts.
Cependant, des recherches récentes font clairement apparaître que les facteurs liés aux compétences du dirigeant, son capital humain et son capital social sont aussi déterminants pour la croissance des petites entreprises. Ces derniers facteurs sont rarement évoqués par les dirigeants quand ils sont interviewés sur les contraintes à la croissance. La faiblesse du capital humain et social des dirigeants reste pourtant un facteur important de blocage.
Le profil des dirigeants, leurs expériences entrepreneuriales, leurs aptitudes managériales, leurs attitudes, leurs connaissances des différents secteurs, leur capital social, leurs réseaux… sont déterminants dans la recherche et la saisie des opportunités de croissance.
Il est vrai que le gouvernement doit intervenir et soutenir la croissance des petites entreprises en allégeant les procédures, la fiscalité et la réglementation et en développant les instruments de financement du développement des entreprises. Il doit néanmoins assurer la formation de dirigeants stratèges et compétents, en les accompagnant dans la prospection des marchés, dans le développement de leurs réseaux et dans la mise en place de stratégies de croissance.
La faiblesse du capital humain et social des dirigeants : un frein à la croissance des petites entreprises
Des recherches récentes s’appuyant sur des enquêtes et des analyses empiriques effectuées auprès de petites et moyennes entreprises dans trois pays en développement (Egypte, Inde, Philippines) montrent que les compétences du dirigeant sont aussi (et même plus) déterminantes pour la croissance des entreprises que les autres facteurs associés au climat des affaires. Deux groupes d’entreprises ont été distingués dans les trois pays; celles qui ont réussi à croître et les autres stagnantes, évoluant pourtant dans le même environnement des affaires. Il s’avère que celles qui ont réussi à croître, malgré un environnement difficile, sont celles qui sont gérées par des dirigeants motivés, qui assument le risque, qui investissent dans les Ressources Humaines et la Recherche et Développement, bref qui ont un capital humain et social développé. La principale conclusion est que l’amélioration du climat des affaires est une condition nécessaire mais pas suffisante pour dynamiser la croissance des PME ; le développement du capital humain et social des dirigeants reste une priorité.
Dans une étude conduite en 2011 sur la politique industrielle en Tunisie, l’auteur Steffen Erdle affirme que: « Les hommes d’affaires tunisiens sont seulement prêts à investir dans des activités simples, à faible risque, qui promettent et garantissent une rentabilité à court terme. Ils ne sont pas prêts à investir leur fortune personnelle dans des activités qui nécessitent une organisation complexe, de gros financement externes, beaucoup de savoir-faire technologique et de la Recherche et Développement et qui ne sont rentables qu’à plus long terme. »
Ceci est d’autant plus vrai qu’un grand nombre d’entreprises tunisiennes sont à structure familiale, souvent gérées par un dirigeant-propriétaire, et peu disposées à adopter des voies de développement qui leur font perdre le contrôle de l’affaire familiale.
Plusieurs enquêtes menées auprès d’entreprises tunisiennes (Banque Mondiale, Institut Tunisien de la Compétitivité et de l’Economie Quantitative, Institut Arabe des Chefs d’Entreprise) ont fait ressortir le manque de compétences managériales d’un grand nombre de dirigeants, leur incapacité à saisir les opportunités, ainsi que leurs choix inappropriés des schémas de financement. Une enquête ITCEQ (2013) a fait apparaître des dirigeants mal informés; autour de 79% des chefs d’entreprise contactés ne connaissent pas les services d’appui à l’exportation et à l’innovation existants. Beaucoup n’ont pas les compétences pour élaborer des études de marché et techniques pertinentes et de qualité, ce qui rend leur accès au financement plus difficile. En effet, l’accès au financement dépend lui même du capital humain et social du dirigeant : ses connaissances, son réseau, sa capacité à présenter un bon dossier, un bon business plan, une activité intéressante et un créneau porteur.
Les mêmes enquêtes font apparaître des problèmes de gouvernance au sein de l’entreprise tunisienne: un manque de transparence et de diffusion de l’information au sein de l’entreprise, ainsi qu’un manque de concertation dans les prises de décision.
Par ailleurs, 47% des chefs d’entreprise interrogés en 2013 sur les perspectives de leurs activités déclarent n’avoir aucune idée. Un grand nombre de dirigeants ne cherchent pas à s’agrandir, certes dissuadés par des obstacles à l’expansion, mais aussi par manque de visibilité et de vision. Ils sont incapables de saisir les opportunités commerciales et technologiques, averses au risque et excessivement prudents.
D’un autre côté, les rapports du réseau « Global Entrepreneurship Monitor » (GEM) en 2010 et en 2012 classe la Tunisie dernière parmi les pays du MENA en matière de réseautage (réseaux d’entrepreneurs et de professionnels, consultations de conseillers et relations avec l’environnement). Le seul réseau relativement développé en Tunisie étant le réseau privé de la famille. Ces derniers rapports montrent que 51% des entrepreneurs tunisiens consultent le réseau privé de la famille et des amis et que seulement 4% parmi eux consultent leurs pairs, ou des experts ou des collaborateurs.
N.B : Les points de vue présentés sont ceux de l’auteur et ne représentent aucunement ni ceux de l’Economiste Maghrébin ni ceux de NABES Intl.