Il n’élève jamais la voix, mais on sent chez lui une farouche détermination à aller jusqu’au bout de son projet : éradiquer le terrorisme, assurer – fût-ce au prix fort – la paix sociale « sans laquelle, on ne peut rien entreprendre » et redresser l’économie qu’il a héritée en piteux état, en panne sèche et quasiment à l’arrêt. Il prend les problèmes, un à un, avec un réel souci de cohérence – question de méthode -, beaucoup de calme, loin de l’agitation ambiante. Il ne les dramatise ni ne les sous-estime. Il sait d’où viennent l’économie et les aléas d’un dialogue social mal assuré et où il veut les conduire. Sans hésitation aucune, il se dit résolu à construire un vrai dialogue social, instituer une véritable politique contractuelle, engager les réformes sans précipitation, mais sans tergiversation non plus. Constamment sur le pont, il est dans son rôle aux manettes. De sa haute silhouette, il a le regard fixé sur les lignes de développement aux horizons
lointains.
Derrière sa bonhomie habituelle, son air juvénile, son regard pétillant d’intelligence, se cache un homme de tempérament, au caractère bien trempé. Il n’a pas besoin de hausser le ton pour que cela se sache. Le leadership, il est vrai, ne se décrète pas ; il se constate et se construit à force de labeur, de rectitude, de capacité de diriger et de sens de l’Etat.
L’Economiste Maghrébin : Vous avez fait du combat contre le terrorisme l’une des priorités de votre gouvernement. Après les attentats meurtriers du Bardo et de Sousse, pour ne citer que ceux-là, comment peut-on qualifier la situation sécuritaire du pays ?
Habib Essid : La sécurité constitue l’une des principales préoccupations du gouvernement. Beaucoup de mesures ont été prises, mais malheureusement, malgré toutes les précautions mises en place, il y a eu deux tragiques attentats meurtriers, celui du Bardo et celui de Sousse. Deux attentats qui ont eu un impact négatif sur l’économie nationale, impact qu’on peut constater, aujourd’hui, de manière palpable.
La stratégie de lutte contre le terrorisme a été définie par le gouvernement, dès sa nomination et sa présentation à la Chambre des représentants du peuple. Celle-ci privilégie l’anticipation, avec la conviction que la meilleure façon de défendre est d’attaquer.
Comme vous l’aurez, certainement, constaté, depuis qu’on est à la barre, plusieurs actions ont été entreprises par les forces de sécurité et l’armée nationale pour combattre les terroristes dans leur fief. Ces attaques leur ont fait beaucoup de mal et les attentats du Bardo et de Sousse ne sont qu’une réaction aux coups durs qui leur ont été portés. Le plus important leur a été asséné à Sidi Yaich, dans la région de Gafsa, qui a permis d’éliminer les dirigeants de ces groupes terroristes. Aujourd’hui, nous poursuivons cette stratégie avec la même détermination. Les actions accomplies ont porté leurs fruits. La menace existe toujours, mais à la faveur de la vigilance de nos forces de sécurité, elle diminue, ce qui nous a permis d’éviter d’autres attentats.
L’objectif du gouvernement est de réduire et de minimiser au maximum le risque, d’autant que le terrorisme est un phénomène transnational, international ; il peut frapper partout dans le monde et à n’importe quel moment. Le but ultime est d’atteindre le risque zéro, même si aucun pays au monde n’est parvenu à réaliser une telle performance. L’essentiel est d’être vigilant.
La nomination d’une première vague de gouverneurs, en attendant celle des délégués, a soulevé quelques réserves, voire quelques critiques jusque dans les rangs de la majorité. Serait-ce là le signe que votre gouvernement entend assumer pleinement les prérogatives qui sont les siennes ? Serait-ce aussi le signal que les choses sérieuses vont commencer, dans la mesure où les nouveaux gouverneurs vont mieux s’inscrire dans le mouvement de l’action gouvernementale ?
La nomination des gouverneurs relève, conformément à l’article 92 de la Constitution, des attributions du chef du gouvernement. Je puis vous affirmer que les gouverneurs sont nommés essentiellement selon le critère de la compétence. Les récentes nominations de gouverneurs n’ont pas été du goût de certaines parties. Il faut reconnaître, néanmoins, que le choix était difficile. Mais moi, je suis content d’avoir fait le bon choix. Nous avons nommé 11 gouverneurs et muté trois autres.
Nous allons commencer à travailler sérieusement. Il est prévu de tenir, ce samedi 12 septembre, la conférence nationale des gouverneurs. La finalité de cette réunion est d’entretenir le gouverneur sur sa nouvelle mission. Le gouvernement compte beaucoup sur ce haut fonctionnaire de l’Etat, dans la mesure où il constitue la locomotive de toute la région. Il est nécessaire qu’il ait une bonne connaissance multiforme de sa région et qu’il s’implique de manière directe dans son développement. C’est pourquoi l’accent sera mis sur l’enjeu des visites de terrain et sur la nécessité d’être en parfaite harmonie avec l’action gouvernementale. Le principe étant pour les nouveaux gouverneurs de privilégier le travail de proximité, de coller à la réalité du terrain, d’être à l’écoute des citoyens et de recourir à la technique du feedback pour évaluer leur action. Dans l’intérêt du pays, les gouverneurs se doivent de se concerter régulièrement avec les représentants de la coalition gouvernementale, mais également avec ceux de l’opposition, d’autant plus que moi-même je le fais régulièrement.
Quelle est l’utilité de ce qu’il faut bien qualifier de 1+4, c’est-à-dire la concertation avec les 4 parties de la majorité ? Cela laisse-t-il la porte ouverte à la concertation avec d’autres formations de l’opposition ? Le gouvernement a besoin d’une couverture politique pour mener son action et faire adopter les lois dans des conditions acceptables. Il s’agit d’un dialogue politique que nous entretenons avec l’ensemble des formations politiques et auquel nous tenons beaucoup, dans l’intérêt supérieur du pays.
Et à propos du dialogue social, qu’en est-il ? Le dialogue social n’a jamais cessé dans le cadre du 4+4. Ce dialogue porte pour le moment essentiellement sur les augmentations salariales. Il se fait difficilement, compte tenu de la situation précaire par laquelle passe l’économie du pays.
Et concernant le secteur agricole ?
J’ai tenu une réunion importante avec l’UTAP, juste une journée après la vague de protestation des agriculteurs. Ils auraient dû attendre les résultats de cette réunion avant de descendre dans la rue, car la réunion était programmée depuis longtemps. Il semble que leur protestation avait des relents politiques. Toujours est-il qu’il faut admettre que le gouvernement a beaucoup fait pour les agriculteurs, notamment en ce qui concerne l’endettement des petits exploitants agricoles. Il faut reconnaître aussi que le recul du tourisme, par l’effet des attentats terroristes du Bardo et de Sousse, a impacté négativement les revenus des agriculteurs. Lors de l’entretien avec les dirigeants de l’UTAP, nous nous sommes engagés à trouver des solutions au niveau de quatre ou cinq problèmes, en attendant d’approfondir la réflexion sur le devenir du secteur de l’agriculture, particulièrement pour les filières qui rencontrent des difficultés comme l’élevage, les laitages, l’aviculture,…
Vous avez hérité d’une économie à bout de souffle, quasiment à l’arrêt, en récession. Elle était déjà en recul lors du 1er trimestre. Il n’y a pas eu, pour autant, d’amélioration au cours du 2ème trimestre. Il n’y a pas de croissance, elle est même négative, ce qui a fait dire au gouverneur de la BCT qu’elle est techniquement en récession. On espérait pourtant, avec la désignation d’un gouvernement légitime issu d’élections libres, un choc de croissance qui n’a pas eu lieu. A quoi attribuez-vous cette contre-performance ?
Il y a certainement des facteurs objectifs qui expliquent ce recul. Le premier consiste en la baisse significative, ces dernières années, des trois moteurs qui tirent la croissance, en l’occurrence la consommation, l’investissement et les
exportations. Rien que pour l’investissement, si vous considérez les chiffres de 2013 et de 2014, vous constaterez que celui-ci a connu un trend baissier important. Le deuxième facteur à l’origine de ce recul réside dans la baisse de production des secteurs économiques stratégiques, particulièrement les industries extractives et les industries chimiques. Quand le gouvernement a pris ses fonctions, ces secteurs étaient presque à l’arrêt, et ce, pendant au moins deux à trois mois. Le troisième élément qui a contribué à cela est bien évidemment le problème libyen. L’instabilité et les problèmes de sécurité que connaît ce pays voisin ont amené des centaines d’entreprises tunisiennes travaillant principalement pour ce marché à fonctionner au mieux au ralenti. Et pour ne rien oublier, l’élément qui a le plus impacté négativement la croissance, c’est, de toute évidence, le recul du tourisme, par l’effet des attentats meurtriers du Bardo et de Sousse. Conséquence : avec autant de facteurs cumulés et concomitants la croissance ne pouvait être au rendez-vous, du moins à hauteur du rythme prévu. Elle ne pouvait donc qu’être peu satisfaisante.
Face à une telle situation peu reluisante, comment le gouvernement a réagi sur le terrain ?
Nous nous sommes fixés des priorités. La première était de relancer la production dans les secteurs stratégiques. Nous avons réussi dans ce domaine, même si cela n’était pas du tout facile. En clair, nous sommes satisfaits. Ces secteurs ont repris aujourd’hui leurs activités. La deuxième était d’améliorer les fondamentaux de l’économie du pays. Là aussi, nous avons enregistré de bons résultats. Depuis l’arrivée de ce gouvernement, nous avons enregistré un recul significatif de l’inflation, une baisse du déficit du commerce extérieur et une amélioration des facteurs de compétitivité. La troisième priorité a porté sur la relance des grands chantiers d’infrastructure, particulièrement en matière d’autoroutes et de grands projets. La quatrième priorité a été la relance de l’investissement public. Nous avons recensé des milliers de projets publics à l’arrêt, pour lesquels une enveloppe budgétaire globale de 10 milliards de dinars a été allouée, l’équivalent de deux années d’investissement public.
Au nombre de ces projets, figure le réseau ferroviaire rapide (RFR), pour lequel une enveloppe de 3500 MD a été allouée. Il y a aussi les tronçons autoroutiers qui étaient pour la plupart à l’arrêt (2000 MD d’investissement), outre d’importants projets en panne prolongée comme certains barrages. Cet arrêt des projets est dû principalement au fait que les problèmes fonciers n’ont pas été réglés à l’avance. C’est le cas particulièrement du RFR et des tronçons autoroutiers. La première urgence était donc de faire redémarrer ces projets pour pouvoir investir et utiliser les emprunts extérieurs contractés à cette fin. Nous avons réussi en partie. Les travaux de réalisation de barrages ont également démarré. Nous avons néanmoins encore quelques problèmes fonciers avec l’autoroute de Medenine-Ras Jedir.
Quand vous évoquez ces grands travaux, est-ce à dire que l’opération est déjà enclenchée ?
Absolument. Les Tunisiens verront bientôt les résultats. A titre indicatif, le tronçon autoroutier Oued Zerga-Bousalem sera fin prêt au mois de juin 2016. Tous ces projets sont en chantier. A l’exception des problèmes fonciers à Ben Guerdane, tous les problèmes fonciers ont été réglés.
Et le reste des grands projets comme les mégaprojets touristiques et immobiliers : la porte de la Méditerranée de Sama Dubaï, le pont fixe de Bizerte, la cité de la Culture ? Où en sont-ils ?
Pour la cité de la Culture, nous avons relancé les appels d’offres. Malheureusement, nous n’avons pas eu pour l’heure beaucoup d’offres. Cela dit, rien que pour le Grand-Tunis, cinq projets ont redémarré: l’échangeur devant l’hôpital de l’Ariana, le raccordement de Sebkha Sijoumi à Oued Meliane, la connexion de Borj Cedria à l’autoroute, le RFR, la route entre Fahs et Siliana, le doublement de la voie entre Gabès et Kebili,… Pour résumer, la reprise des chantiers se fait difficilement, mais sûrement. On peut dire, sans aucune exagération, que la Tunisie est aujourd’hui un vaste chantier à ciel ouvert.
Au-delà de ces actions prioritaires menées dans l’urgence, qu’a fait le gouvernement dans la perspective du moyen terme ?
Effectivement, en dépit des urgences qui n’étaient pas faciles à gérer, nous ne nous sommes pas arrêtés à ce stade. Nous avons axé notre réflexion sur l’élaboration d’une note d’orientation pour le prochain plan. On vous reproche – et pas que dans les rangs de l’opposition – l’absence d’un cap, d’une vision, d’un véritable projet de développement qui serait l’expression d’un grand dessein national.
Que répondez-vous à celles et à ceux qui vous font ce reproche, alors même que vous sembliez avoir fixé un cap lors de la présentation de votre programme de gouvernement à l’occasion de votre investiture ?
Lors de cette investiture, nous avons fixé les grandes lignes, mais il fallait les concrétiser au niveau d’une note globale d’orientation. L’élaboration de cette note était quelque peu laborieuse, je dois l’avouer. Compte tenu de l’impératif, pour le gouvernement, de disposer d’une couverture politique pour pouvoir disposer des nécessaires marges de manoeuvre, il fallait associer l’ensemble de la coalition à l’élaboration de ce document. C’était un exercice difficile, mais le résultat est positif. Nous avons réussi à concevoir une note d’orientation. Cette note, qui va définir le cadre et le champ d’action du gouvernement, sera incessamment présentée au grand public.
On évoque ici et là l’éventualité d’un remaniement du gouvernement…
Le remaniement du gouvernement relève, certes, des attributions du chef du gouvernement. Lorsque je sentirai le besoin de le faire, je le ferai.
Le ministre de l’Enseignement supérieur est entré en conflit avec toute une corporation, les établissements universitaires privés.
Pour revenir à cette problématique de l’enseignement universitaire privé, personnellement, je suis convaincu des bienfaits de la coexistence du privé et du public. L’essentiel consiste à renforcer le contrôle de ces établissements. Néanmoins, il faut reconnaître qu’il existe, dans ce secteur, certes de bons établissements, mais aussi de mauvais. Des erreurs ont été commises dans ce secteur. La décision prise est de renforcer les inspections, de récompenser les bons établissements et de sanctionner les établissements privés qui ont failli.
Quelles sont, Monsieur le Président du gouvernement, les actions que vous allez engager en priorité dans l’immédiat et à moyen terme pour relancer notamment l’investissement public dont on connaît l’effet d’entraînement, surtout dans le contexte actuel, sur l’investissement privé ?
Pour le moment, il faut plus d’Etat et mieux d’Etat, particulièrement dans les régions de l’intérieur. Nous penserons par la suite à moins d’Etat et bien entendu à mieux d’Etat. Le mot d’ordre est d’amorcer la pompe de l’investissement public. Vous venez de vous entretenir avec la directrice générale du FMI, Mme Lagarde. Vous avez sûrement évoqué le train de réformes sur lesquelles s’est engagé le gouvernement.
Où en sommes-nous des réformes de la fiscalité, de l’Etat pour réduire le poids des procédures administratives, du régime des caisses de retraites, du marché du travail, du nouveau code des investissements, de la Caisse générale de compensation, du PPP,… ?
A propos du PPP, il s’agit d’un ancien projet. Il date de 2012. Le gouvernement de l’époque avait soumis une proposition à cette fin à l’Assemblée constituante. Ce projet a été discuté, puis il a été remis au gouvernement actuel qui l’a réexaminé et soumis de nouveau à l’Assemblée des représentants du peuple pour adoption. Pour le reste des réformes, elles sont actuellement en chantier. Le prochain plan comporte deux axes importants : l’axe projets et programmes de développement avec deux catégories de projets. Il s’agit d’une dizaine de grands projets importants, qui doivent marquer un peu le pays et en changer la physionomie, entre autres le port en eau profonde d’Enfidha, les autoroutes diagonales,… L’objectif est de doter le pays des infrastructures nécessaires et de drainer de nouveaux investissements. Il y a aussi une autre catégorie de projets, de grande et de moyenne tailles. Ce sont des projets orientés essentiellement vers les zones moins nanties, et ce, dans le cadre de la discrimination positive prévue par la Constitution. Ainsi, nous allons nous focaliser sur ces zones, localisées dans 14 gouvernorats, dont chacun bénéficiera d’une grande priorité. Le prochain plan sera marqué par l’ouverture du chantier des réformes dont plusieurs ont été déjà entamées. Il s’agit, notamment, de la réforme des retraites qui fait l’objet d’un projet de loi soumis, actuellement, à l’ARP. Selon nos sondages, 70% des fonctionnaires sont pour. Parlons de la réforme fiscale. Nous l’avons déjà entamée. Une bonne partie de cette réforme va être concrétisée dans la loi de finances 2016, tandis que la réforme du code de la douane est mise en route. La réforme du code de l’investissement est, quant à elle, au stade final. La dernière mouture du code est prévue pour la fin de ce mois. La réforme de la Caisse générale de compensation, qui nécessite discernement et mesures d’accompagnement, est en cours d’élaboration. Les réformes de l’éducation, de la recherche scientifique et de l’enseignement supérieur sont en chantier.
Au rayon des réformes accomplies, la réforme des banques publiques est adoptée. Tout cela pour dire que le chantier des réformes est engagé de manière irréversible. En raison de certains dossiers délicats, objets de ces réformes, nous évoluons progressivement et en concertation avec toutes le parties concernées. L’objectif est de dégager un consensus autour de ces réformes.
Pour revenir à votre entretien avec la directrice du FMI, étiez-vous à l’aise avec Mme Christine Lagarde? Bien évidemment. Il n’y avait pas de raison d’en être autrement. Il n’y avait pas de problème.
Lors de notre entretien, nous avons évalué le crédit stand by qui a fonctionné normalement en dépit des difficultés rencontrées, parce que ce n’était pas du tout facile. Nous avons discuté de certains arrangements au sujet de certaines réformes en cours et à venir. Nous avons convenu de la préparation de la réunion du Conseil d’administration du FMI prévue pour la fin de l’année et de celle du Conseil qui va avoir lieu au mois de septembre pour faire le point sur la situation. L’entretien a été marqué par une bonne nouvelle : le FMI est d’accord pour débloquer la dernière tranche du crédit stand by au mois d’octobre prochain.
En estimant le taux de croissance à 1%, ne croyez-vous pas que Christine Lagarde est plus optimiste que nos économistes, qui ont prévu un taux de croissance de moins de 1% ?
FMI a toujours ses propres estimations. Tout dépendra de l’évolution du secteur des phosphates et de son impact sur la croissance du pays. Tout dépendra également de la contribution de certains grands projets. Au regard de l’impact négatif des attentats meurtriers du Bardo et de Sousse sur le tourisme, au regard des perturbations sociales qu’a connues le pays cette année et au regard de la gravité de la situation en Libye, si on arrive à réaliser un taux de croissance de 1%, ce ne sera pas très mauvais. Maintenir la croissance dans de telles circonstances est en soi assez honorable, et ce, en comparaison de ce qui se passe ailleurs. Pour le reste, j’estime que la croissance en Tunisie ne peut reprendre son rythme habituel que lorsque deux conditions seront réunies: la garantie de la sécurité et l’instauration de la paix sociale. Ce sont deux éléments fondamentaux pour relancer la croissance.
Est-ce que le projet de loi sur la réconciliation nationale ne s’inscrit pas dans cette même perspective ?
Bien sûr. Je ne comprends pas pourquoi ce refus et cette levée de boucliers contre ce projet de loi. Ce n’est encore qu’un projet et le président de la République l’a déclaré à maintes reprises. Il peut être aménagé et discuté librement au sein du parlement, lequel est le seul habilité à l’adopter. Ce projet a été du reste initié en toute légalité. La Constitution habilite le président de la République à prendre des initiatives et à proposer des projets de loi au parlement. Nous avons réussi la transition politique et mis en place les institutions républicaines nécessaires. Il faut donc les respecter. Ce n’est vraiment pas indispensable d’aller protester dans la rue, particulièrement en cette période, où la sécurité du pays est sérieusement menacée par le terrorisme.
Serait-ce l’éclaircie, le dégel, la lumière du bout du tunnel avec les syndicats de l’enseignement et les autres à l’issue des deux rencontres organisées par les soins de la présidence de la République ?
Avec les syndicats, nous sommes d’accord sur l’objectif d’instaurer la paix sociale sur deux ans, plus exactement sur la période qui va du dernier trimestre 2015 au dernier trimestre 2017 et d’éviter qu’il y ait des négociations récurrentes.
Tout le monde est conscient de la gravité de la situation. La dernière réunion du 4+4 qui a rassemblé les trois présidents et les deux premiers responsables des centrales syndicale et patronale s’inscrit dans cette optique. Nous sommes sur le point d’aboutir à un accord. Les négociations se poursuivent à un rythme soutenu. Le groupe 4+4 se réunit tous les jours, de 8 heures à 10 heures.
Comment, Monsieur le Président du gouvernement et avec quels moyens allez-vous consentir deux augmentations de salaires, au titre de 2014 et de 2015, en attendant 2016, alors que l’économie est en récession ?
Ne craignez-vous pas pour notre endettement extérieur, qui pourrait poser bientôt problème, pour l’inflation et la cohésion sociale ?
L’objectif principal est de réussir la paix sociale. Le gouvernement est convaincu que sans paix sociale, il ne peut avancer. Si nous n’instaurons pas la paix sociale, nous ferons du surplace. C’est bien connu, celui qui fait du surplace recule. Le gouvernement est déterminé à aller de l’avant et assume désormais pleinement ce choix de cohésion sociale. C’est important pour le gouvernement. En contrepartie, nous sollicitons des travailleurs plus d’effort et plus de contribution à la production.
Quel message voulez-vous adresser aux Tunisiens ?
Il ne faut jamais perdre espoir. Les Tunisiens doivent être optimistes et confiants en l’avenir. En dépit des difficultés rencontrées, il y a de fortes chances pour que la croissance reprenne avec son corollaire, la création d’emplois. Je suis convaincu que les Tunisiens vont commencer bientôt à récolter réellement les fruits de la démocratie. L’ancienne chef du département américain Madeleine Albright m’avait dit au mois de mars dernier : « democracy is very good, but it has to deliver » (la démocratie est une bonne chose, mais il faut qu’elle apporte un plus …). C’est pour dire que je suis parfaitement conscient que les enjeux sont difficiles, mais il faut être optimiste et croire au miracle tunisien. Et moi, j’y crois.