Le projet de loi sur la réconciliation économique et financière suivra la procédure légale. Actuellement soumis à l’Assemblée des représentants du peuple, ce projet, initié par le chef de l’Etat que la Constitution habilite à proposer de tels projets de texte, sera débattu au sein de cette institution, la seule qualifiée pour l’adopter ou ne pas l’adopter.
Ainsi en a décidé le président de la République Béji Caïd Essebsi. Cette décision a été annoncée au public lors de la récente interview qu’il vient d’accorder à la chaîne de télévision privée Nessma.
En plus clair, le projet de loi suivra son chemin et ne sera pas retiré, comme le souhaitaient les opposants à ce projet.
Pour mémoire, ce projet de texte, pour peu qu’il soit adopté, permettrait d’interrompre toutes les poursuites judiciaires et les condamnations en cours contre les fonctionnaires ayant facilité, au temps de Ben Ali et de la troïka, des détournements de biens, délivré des autorisations de complaisance, et offrirait aux fonctionnaires et aux hommes d’affaires ayant tiré profit de la corruption la possibilité d’une réhabilitation.
Moralité : c’est au nom de la légalité que Béji Caïd Essebsi va donc passer son projet de loi. Dans cette perspective, le projet a toutes les chances d’être adopté, au regard de la majorité confortable dont son parti Nidaa Tounès dispose au parlement, et à la faveur de son alliance avec le deuxième parti du pays, Ennahdha, qui soutient le projet.
Paradoxe de l’Histoire : « Bajbouj », qui n’a pu accéder à la magistrature suprême que grâce à sa contestation courageuse et soutenue de l’usage abusif que la troïka avait fait de la légalité, se réfugie aujourd’hui derrière cette même légalité pour faire passer un projet de loi qui « recycle la corruption », selon l’opposition.
Haro sur la légalité mal comprise
Le président de la République semble oublier que toutes les injustices politiques et socio-économiques perpétrées contre les Tunisiens ont été commises au nom de la légalité et de la manipulation des textes constitutionnels et des institutions.
Est-il besoin de rappeler que Bourguiba avait instauré la présidence à vie en manipulant la Constitution, que Ben Ali avait fait autant et qu’Ennahdha avait déstructuré le pays au nom de la légalité ?
Cela pour dire que la légalité, en Tunisie, n’a été jusque-là qu’une codification de la volonté personnelle de quiconque a le pouvoir de mener les Tunisiens à sa guise.
L’actuel locataire du Palais de Carthage vient de prouver qu’il est, lui aussi, manipulateur d’institutions. Il ne rompt pas, hélas, avec ces pratiques désuètes. A travers ce passage au forceps de ce projet de loi sur la réconciliation économique et financière, il légitime, désormais, l’insubordination et la contestation dans la rue.
Les conséquences attendues sont énormes. Une éventuelle adoption de cette loi risque de le décrédibiliser, de diviser davantage les Tunisiens et de déstabiliser le pays, d’autant plus que Béji Caïd Essebsi ne fait pas l’unanimité dans le pays.
Il a été élu, en 2014, président de la République, à la faveur d’un vote utile soutenu par une mouvance nationale (Front du salut national) avec 1,740 million de voix dont 1,2 million de « bajboujettes », et ce pour une communauté en âge de voter de 8 millions et une population totale de 11 millions. Sans commentaire. BM