Comprendre, analyser, connaître les causes du chômage. Ils sont plus de 70 000 nouveaux diplômés chômeurs chaque année, et ce, depuis 2011, a affirmé Habib Kazdaghli, doyen de l’université de La Manouba, faculté des Lettres, des Arts et des Humanités. Rencontré lors d’un séminaire intitulé “L’autonomisation des femmes”, il a évoqué plusieurs sujets. Interview:
– Comment expliquez-vous cette montée du chômage chez les jeunes étudiants?
En ce qui concerne la faculté où j’enseigne, nous avons en moyenne 600 étudiants qui obtiennent une licence chaque année, et puis se pose la question de leur sort. Ont-ils trouvé des emplois, ou ont-ils suivi des formations, malgré leurs diplômes, selon les besoins du marché de l’emploi?
Sur le plan économique, nous avons un taux de croissance qui varie entre 1 et 2% et nous comptons 15 000 opportunités nouvelles d’offres d’emploi. Mais quand on analyse plus les chiffres et la répartition des emplois entre les femmes et les hommes, nous constatons que la proportion des femmes s’élève à 63%, contrairement aux hommes qui représentent le 1/6 ième des effectifs. Mais quelques années plus tard, cette tendance s’inverse, nous avons à ce moment-là, plus de chômage du côté des femmes que des hommes, et là on comprend le rôle que joue la famille.
– Que voulez-vous dire par là?
Je m’explique, si on prend le cas d’une famille qui habite Gafsa ou n’importe quelle région en dehors de Tunis, la famille soutiendra plus le fils que la fille, car un homme peut se débrouiller tout seul, ce qui n’est pas le cas pour la femme, et là on lui cherche un mari plutôt qu’un emploi. Ce qui crée des conflits, parce que, à ce moment là, la fille se sent réprimée du fait d’être encore célibataire, mais une fois mariée, elle pense déjà que ce n’est pas l’homme qu’il lui faut et qu’elle s’est mariée sous un faux prétexte. Ce n’est pas la vie conjugale qui l’intéresse, mais elle se marie pour éviter le regard de la société.
Cela dit, elle avait une chance de faire un autre choix de vie et ceci grâce à l’éducation, par la suite cela s’est retourné contre elle. Bien souvent, elle se marie avec quelqu’un qui n’a pas le même niveau d’instruction qu’elle. On a beau se dire qu’on a évolué, en matière d’éducation, d’égalité des sexes, d’autonomisation, mais ceci ne suffit plus si l’Etat ne réagit pas, plus encore si la société elle même n’évolue pas dans sa façon de penser. Notre rôle d’intellectuel est de penser aux autres, il faudrait réfléchir comment encadrer les étudiants et les encourager à développer leur manière de réfléchir.
– En faisant un retour en arrière, comment était l’enseignement?
A une époque, l’école a servi de socle d’éducation à toute une génération de jeunes, mais ce n’est plus le cas en ce moment. Tout ce que j’ai appris, la galanterie par exemple, et autres, c’est à travers l’école que je les ai appris. Elle était à la fois un lieu d’ouverture et d’ascension sociale. Aujourd’hui on ne la reconnait plus. C’est pour cela que je m’adresse à cette jeunesse, aux plus pauvres, la pauvreté n’est pas un mal en soi, et chacun de nous peut réussir dans la vie. Je vous parle de mon vécu : quand j’étais enfant, j’étais en pensionnat durant sept ans, issu d’un milieu modeste et nous étions dans le même pensionnat riches ou pauvres, et on ne sentait pas cette différence parce qu’on avait tous le même tablier ; l’habit du riche, du pauvre, se cachait derrière le tablier, nous étions tous égaux face au savoir. Ce sont ces valeurs qui nous ont été inculquées, et que j’espère retrouver un jour.
– Ces valeurs humaines qui vous ont été transmises, et que malheureusement on ne retrouve plus, comment peut-on les ressusciter en quelque sorte?
Cela revient à nous de chercher les véritables causes de ce fossé qui malheureusement existe, il suffit de les réveiller. Quand on parle des quartiers pauvres ou populaires, c’était la même situation. Il y a 40 ans, on n’avait ni eau potable encore moins l’électricité. Aujourd’hui les quartiers populaires possèdent de l’eau potable, de l’électricité. Je ne justifie pas les inégalités, mais il faut avoir une prise de conscience et mobiliser « l’appareil critique ». C’est à l’étudiant de réfléchir, de penser, d’aller vers le fond des problématiques, et non pas de chercher l’option de facilité, où on voit un grand nombre de jeunes qui ont cette culture de la mort, de rejoindre les organisations terroristes telles que Daech.
– Lors du congrès des intellectuels contre le terrorisme, il y a quelques mois, on vous a reproché de ne pas avoir intitulé le congrès, “ Les Tunisiens contre le terrorisme”, parce que le citoyen se dit je ne suis pas un intello, mais je suis un Tunisien?
Le but du congrès était de faire une auto-critique, nous nous sommes dits en tant qu’intellectuels, nous avons failli à notre devoir. Nous nous sommes posés la question de savoir si nous avions été de bons citoyens ou pas. Nous avons écrit un manifeste adressé aux citoyens, c’est un appel à la société, nous avons voulu faire ce regard critique sur nous-mêmes.
– Il y aura prochainement un autre congrès de lutte contre le terrorisme, qui s’ouvrira à l’international ? Qu’en pensez-vous?
Oui, j’en ai entendu parler, pourtant j’aurais aimé voir un congrès national. Je comprends parfaitement que le terrorisme est international et ne se limite pas à nous. Mais ce qui s’est passé comme événements tragiques, c’est une guerre contre l’Etat tunisien, il faut que les Tunisiens aient conscience de cela. Malheureusement, le terrorisme a redoublé après la réussite des élections législatives et présidentielles, on n’a jamais eu autant de morts qu’après les deux derniers attentats terroristes, car pour ceux qui voulaient nuire à la démocratie, ou du moins à la transition démocratique, c’est loin d’être terminé. Plus nous réussissons dans ce processus, plus ils augmentent leur animosité, même si politiquement parlant, nous avons réalisé de grandes avancées, cela dit cette transition reste toutefois fragile.
Ceux qui soutiennent la démocratie, ce sont les couches moyennes, elles ont été laminées, elles ont perdu leur pouvoir d’achat, et voilà qu’on les entend dire: “ qu’avant c’était mieux”; ce qui impliquerait qu’ils peuvent soutenir n’importe quelle personne, un fasciste, un dictateur. Généralement, les dictateurs achètent la paix. Il est évident que nous devons améliorer avant tout la transition économique pour garantir cette pérennité de la démocratie.
– Que pensez-vous du projet de loi sur la réconciliation nationale?
Aujourd’hui, il y a la possibilité de se réconcilier. Ces personnes qui ont tiré profit sous le régime de Ben Ali ne peuvent plus le faire aujourd’hui. Nous sommes tournés vers l’avenir, le plus important est de réussir au présent et dans l’avenir. Mais pour redémarrer le climat des affaires, il faut trouver un terrain propice à l’investissement parce que les investisseurs étrangers ou du moins ceux qui veulent investir, veulent un climat favorable. Maintenant, nous voulons agir via le respect de la loi et non par peur. Je ne suis pas pour ce projet de loi tel qu’il est, mais pour son amendement. Il faut comprendre que les Tunisiens veulent sentir la rupture, c’est à dire le changement, une vraie naissance d’une deuxième République. Il faut se lancer à travers des initiatives. En rencontrant le président de la République, je lui ai clairement fait part de quelques recommandations, non pour le retrait de ce projet, mais pour le revoir, le nom peut changer pourquoi n’appellerai-t-on pas “ la loi de solidarité”, et ceci pour montrer aux Tunisiens que l’argent pris, sera consacré aux investissements dans les régions défavorisées. Il faut agir pour le pays, les Tunisiens seront optimistes et moi je le reste.
C’est l’enseignement privé qui est en train de rafler de plus en plus la mise…Les liens tissés entre les universités privées et les opérateurs industriels ou les grandes sociétés de services tendent à se renforcer en complémentarité pour devenir peu à peu la seule garantie d’avenir professionnel pour nos étudiants
Avec des enseignants plus motivés par leur portefeuille que par la mission d’enseignement dont ils sont en principe investis, le secteur d’enseignement public, même celui voué aux sciences et aux nouvelles technologies dépérit au profit des écoles, lycées et universités privées.
Soit on décide de valoriser les émoluments des enseignants méritants du secteur publics en appelant nos industriels, nos banques, nos compagnies d’assurances, etc.à contribuer à cet effort, et participer, notamment à la modernisation des infrastructures et à l’acquisition d’équipements scolaires et universitaires (acquisition de matériel informatique), soit on assistera de plus en plus vers une « sélection par l’argent » et un enseignement orienté par les desiderata du secteur privé, mettant ainsi en danger l’impartialité de l’administration.