Le projet de loi concernant la Cour constitutionnelle fait l’objet d’une polémique et de débats à l’Assemblée des représentants du peuple. La situation en Tunisie est quelque peu différente des autres pays. Pour comprendre, ce qui se passe à la commission de la législation, sur un plan purement juridique, leconomistemaghrebin.com a interrogé le professeur en droit constitutionnel, Amine Mahfoudh, l’un des auteurs de ce projet de loi proposé à l’ARP.
Pour Amine Mahfoudh: “Nous avons travaillé sur la question, nous avons fait de notre mieux pour que la Cour Constitutionnelle soit la garante de la suprématie de la Constitution, mais surtout pour protéger les piliers de notre régime politique, c’est à dire le régime républicain, le régime démocratique, mais aussi le respect des droits et libertés. C’est le rôle dévolu à une cour constitutionnelle dans un Etat de droit.
Il faut préciser qu’il y a deux modèles de contrôle de la Constitutionnalité : il y a le modèle américain selon lequel n’importe quel juge peut garantir la suprématie de la Constitution, et le dernier mot revient à la Cour suprême pour le contrôle de la constitutionnalité, c’est un contrôle diffus entre les différents organes juridiques”, a-t-il dit.
Et de poursuivre: “La Tunisie n’a pas choisi ce modèle là, mais a opté pour le modèle kelsénien. Il s’agit d’une Cour spécialisée, qui a un statut constitutionnel, organisé par une loi, et c’est elle qui a le dernier mot pour veiller au respect de la Constitution, que ce soit par le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Et tous ces pouvoirs doivent respecter la norme suprême”.
Interrogé sur le contenu du projet de loi de la Cour conditionnelle qu’il a présenté à l’ARP, il a répondu: “Il y a un esprit dans ce projet. C’est celui de protéger la République, le régime démocratique. C’est en ce sens là que le pilier de ce projet est l’article premier. Selon cet article, la Cour Constitutionnelle est une instance juridictionnelle, indépendante, démocratique, qui est la garante d’un régime républicain et démocratique.
Malheureusement, regardez un peu les débats au sein de la commission, il y a une certaine réserve de la part des députés du mouvement Ennahdha, en ce qui concerne le rôle dévolu à la Cour. Ils sont peut être sceptiques vis-à-vis du régime républicain et démocratique. Chose qu’on n’arrive pas à comprendre, surtout que la Tunisie a remporté le Prix Nobel de la Paix. J’ajouterais que c’est avec la démocratie et la paix que nous pouvons vivre ensemble, et garantir une paix à tout le monde. J’espère seulement qu’à travers cette récompense, le mouvement Ennahdha arrive à la raison et admet l’article premier, car celui-ci protégera tous les acteurs politiques qui sont dans une position de minorité.”
Soulignant entre autres que le mouvement Ennahdha pourrait ainsi marginaliser la future Cour, et ce, dans le but de laisser la porte ouverte à l’instauration d’un 6ème Califat et non un état démocratique. En ce sens le professeur M. Mahfoudh a précisé: “Ce sont des craintes, ces craintes sont sérieuses parce que probablement, ils voudront imposer un régime propre à eux, et là c’est à travers des comportements que j’analyse un phénomène politique, je me réfère toujours au texte dans un discours politique. Quand on revient au discours du secrétaire général du mouvement Ennahdha, Hamadi Jebali qui parle d’instaurer le 6 ème Califat, et aussi quand j’établis un lien avec les autres partis politiques comme Hezb Ettahrir, par exemple; le mouvement Ennahdha dans ce cas de figure ne peut pas rejoindre les républicains et les démocrates et ce, pour ne pas choquer ses sympathisants, bien qu’il ait été le seul parti politique islamiste, dans le monde arabo-musulman à réussir à s’imposer aux premières élections, un an après la révolution. Mais ce qu’il a voulu aussi démontrer c’est que l’islam n’est pas en contradiction avec la démocratie, raison de plus aujourd’hui pour le démontrer et pour dire qu’on n’a pas peur de la République, encore moins de la démocratie”.
“Ils ont également dit que la Cour Constitutionnelle peut être à l’origine d’un coup d’Etat, ce qui est impossible et impensable”, s’est-il insurgé.
Et d’ajouter: “C’est la raison pour laquelle on a évoqué l’article premier dans notre projet, et certains députés d’Ennahdha ont dévoilé leur intention de rejeter le régime républicain et démocratique. S’ils veulent être vraiment des démocrates non par opportunisme mais par conviction, aucune marge de manœuvre n’est possible, ils n’ont qu’à voter le premier projet de loi. J’attire votre attention sur le fait qu’en Allemagne on a profité du régime démocratique pour se retourner contre la démocratie, avec le régime nazi. Après avoir adopté la loi fondamentale 1949, il avait été prévu que la Cour Constitutionnelle soit en mesure d’interdire tous les partis politiques qui menaceraient le régime démocratique, chose qui a été faite puisque le parti néo-nazi a été dissout dans les années 50”.